Les parrainages
Instituée pour sélectionner les candidats à l’élection présidentielle, l’actuelle procédure dite des parrainages constitue une singularité du droit électoral français. Elle a trouvé une forme d’équilibre depuis son instauration il y a 40 ans, en dépit des nombreuses modifications qui l’ont affectée à la veille d’une des six élections présidentielles dont elle a jusqu’à maintenant toujours constitué le préalable. La prochaine élection comporte son lot d’innovations dont les effets réels restent à apprécier, notamment au regard du bilan des précédents scrutins.
La loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle constitue la dix-huitième modification apportée au texte de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel depuis la réforme de 1976 qui a institué le cadre général actuellement en vigueur. Certaines innovations concernent les parrainages. Qu’apportent-elles donc de si nouveau ?
I – Les principales règles encadrant la réception des parrainages n’ont pas été modifiées
A – Les parrainages ont été établis en même temps que la Ve République
1 – Une singularité durable du droit électoral
Les parrainages de l’élection présidentielle constituent un préalable juridique inusité ailleurs dans le droit électoral français. Dans tous les autres scrutins, se porter candidat résulte d’une initiative exclusive du ou des candidats. Elle se traduit par la déclaration préalable de candidature, individuelle ou collective en fonction du mode de scrutin, déposée auprès de l’autorité compétente de l’État, le plus souvent le préfet, sous la forme prévue par la loi. Ladite autorité vérifie l’éligibilité des candidats, enregistre et publie les candidatures.
Dans le cas de l’élection présidentielle, c’est en parallèle à la réception des présentations que le Conseil constitutionnel s’avisera de demander confirmation de chaque candidature (une simple lettre rédigée sur papier libre) en même temps qu’il vérifiera le dépôt d’une déclaration de patrimoine et de l’engagement écrit d’en publier une en fin de mandat si le candidat est élu. Le Conseil constitutionnel s’assure également de l’éligibilité de chaque candidat, sans pour autant que celui-ci ait à produire le moindre document. En pratique, le Conseil vérifie que le candidat n’est frappé par aucune incapacité électorale, en particulier qu’il n’est sous le coup d’aucune décision définitive de justice en ce sens. En réalité, la procédure essentielle, sans équivalent ailleurs, réside dans l’obligation de bénéficier d’une série de présentations par des élus, les fameux « parrainages ».
2 – La réforme du 25 avril 2016 ne remet nullement en cause le seuil des 500 parrainages
L’ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958, la première historiquement à encadrer l’élection présidentielle sous la Ve République, disposait que la liste établie par le Conseil constitutionnel regroupait les candidats présentés par au moins 50 membres d’un collège électoral ad hoc largement inspiré de celui des sénateurs. Cet échantillonnage des élus a paru à la fois représentatif de l’opinion, car procédant d’une élection, et moins susceptible de pressions émanant des partis politiques. La loi du 6 novembre 1962 s’est bornée à porter à 100 le nombre de parrainages nécessaires, les mandats électifs restant globalement ceux de 1958.
L’élection présidentielle de 1974, pourtant survenue dans le contexte d’un intérim, a vu s’affronter 12 candidats au premier tour de scrutin. Par sa déclaration du 24 mai 19741, le Conseil constitutionnel a recommandé une sélection plus rigoureuse des candidatures, prolongeant ainsi une proposition de loi adoptée en ce sens le 19 décembre 1973 par le Sénat qui prévoyait de porter le minimum requis des présentations à 500 élus.
Cette volonté de réforme s’est traduite par la loi organique n° 76-528 du 18 juin 1976 qui a défini le cadre général dans lequel se sont déroulées toutes les élections présidentielles postérieures : pour être candidat, il faut désormais avoir obtenu 500 signatures émanant d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, sans que plus du dixième de ces 500 signatures (soit 50) proviennent d’un même département. Ces présentations doivent être exprimées par le biais d’un formulaire officiel spécifique et parvenir dans un délai précis au Conseil constitutionnel. De ce point de vue, l’élection de 2017 se présente dans le prolongement des six précédentes de 1981, 1988, 1995, 2002, 2007 et 2012.
3 – Les candidats doivent recueillir des présentations dans au moins 30 départements sans pouvoir bénéficier de plus de 50 par département
Cette règle tend évidemment à promouvoir des candidatures représentatives sur le plan national. La loi du 6 novembre 1962 explicite ce qu’il faut entendre par département en cas d’équivoque. Par exemple, les conseillers régionaux sont réputés élus dans la section départementale au titre de laquelle ils se sont présentés et ont été proclamés élus, la Nouvelle-Calédonie compte pour un seul département, etc. Au total, les élus peuvent être répartis dans 109 départements, à savoir l’un des 96 départements de métropole ou des trois d’outre-mer (Guadeloupe, La Réunion et Mayotte), l’une des sept collectivités d’outre-mer à statut particulier (Guyane, Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Polynésie française, Wallis-et-Futuna), la Nouvelle-Calédonie comptant pour un département en plus, et deux « départements virtuels » regroupant, l’un, les personnes élues à l’étranger ou représentant les Français établis hors de France, l’autre, les représentants au Parlement européen habilités à présenter un candidat.
Dans le même temps, les présentations émises dans un même département comptent dans le calcul des 500 parrainages à concurrence de 50 : en d’autres termes, un candidat qui bénéficie de 80 parrainages, par ailleurs parfaitement réguliers, ne peut utilement compter que sur 50 d’entre eux : c’est ce qu’on appelle « l’écrêtement ».
B – Le nombre des élus titulaires du droit de présenter un candidat s’accroît lentement mais régulièrement
La liste des mandats électoraux et des fonctions électives énumérés à l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 habilitant à présenter une candidature a fait l’objet de nombreuses modifications depuis son adoption. Les mandats dont les titulaires se voyaient dotés en 1976 d’un pouvoir de présentation étaient les parlementaires et les élus des assemblées des différentes collectivités territoriales, à l’exception des communes pour lesquelles seul le maire détenait une telle prérogative. L’ordre de grandeur des mandats ainsi concernés tournait autour de 40 000, compte non tenu des cumuls de mandats.
D’une élection à l’autre, le nombre de mandats s’accroît pour des raisons multiples mais convergentes dans leurs effets. Une première cause d’accroissement résulte de l’augmentation globale du nombre des mandats existants par suite des redistributions de sièges à pourvoir par département, assorti, le cas échéant, de redécoupages de circonscriptions. Le nombre de sièges de députés est passé ainsi depuis 1976 de 490 à 577, le nombre de sénateurs de 283 à 348. Par ailleurs, quelques séries massives de redécoupages cantonaux sont intervenues dans ces mêmes années (75 décrets en 1973, 60 décrets en 1982, 30 décrets en 1985, 98 en 2014). En outre, la plupart des réformes statutaires, notamment des assemblées de certaines collectivités d’outre-mer se sont accompagnées d’un accroissement d’effectifs ; par exemple, la création des collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en 2007, les réformes statutaires successives de Mayotte ou de la Polynésie française, etc.).
Enfin, dans un souci d’actualisation, le législateur organique complète périodiquement la liste des mandats en vigueur. Ainsi, en 1988 s’y ajoutent les conseillers régionaux, en 2001, les représentants au Parlement européen, les maires délégués ou d’arrondissement, les membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger, etc. La dernière mise à jour résultant de la récente loi organique du 25 avril 2016 ne déroge en rien à cette tradition en ajoutant à la liste antérieure les conseillers métropolitains de Lyon et les maires délégués des communes déléguées.
À l’heure actuelle, en définitive environ 47 000 mandats sont concernés. Le tableau suivant indique ce qu’était la répartition de ces mandats en 2012, à la veille de la réception des parrainages par le Conseil constitutionnel2. Il souligne l’écrasante majorité des élus municipaux, au premier chef les maires qui représentent à eux seuls pas loin de 80 % de l’ensemble des élus concernés. Une même personne titulaire de plus d’un mandat ne dispose que d’une présentation : il faut donc réduire cet effectif d’environ 10 % du fait des cumuls de mandats.
Mandats (au 23 février 2012) |
En nombre |
En pourcentage |
---|---|---|
Député |
560 |
1,18 % |
Sénateur |
347 |
0,76 % |
Conseiller régional ou conseiller à l’Assemblée de Corse |
1 886 |
3,98 % |
Conseiller général (y compris Mayotte) ou conseiller de Paris |
4 212 |
8,88 % |
Maire (y compris outre-mer) |
36 702 |
77,39 % |
Maire délégué d’une commune associée |
674 |
1,42 % |
Président du conseil d’une communauté urbaine, d’une communauté d’agglomération oude communes |
2 567 |
5,41 % |
Autres mandats (essentiellement outre-mer) |
465 |
0,98 % |
Total |
47 413 |
100 % |
C – Le formulaire de parrainage permet au Conseil constitutionnel de valider la quasi-totalité des présentations
1 – L’usage de formulaires spécifiques résulte de la réforme de 1976
La présentation d’un candidat, liée à la détention d’un mandat, ne comporte en droit strict ni obligation, ni sanction : c’est un « acte personnel et volontaire »3. Outre le souci de représentativité des candidatures, le dispositif des parrainages cherche à conforter la liberté de choix (ou d’abstention) des élus sans interférence partisane et dénie toute compétence en ce sens aux formations politiques. Il s’agit encore moins de recueillir un minimum d’adhésions de groupes de citoyens dans une démarche qui s’apparenterait à celle d’une pétition. En dépit des similitudes apparentes (caractère personnel, nominatif, non obligatoire du choix opéré) et susceptibles d’interprétations parfois hâtivement faites par l’opinion publique, le formulaire n’est pas un bulletin de vote. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs naguère rappelé sans ambiguïté4.
Ces documents sécurisés sont adressés aux seuls élus destinataires. Pour s’assurer de la validité du contenu de ceux qui lui sont adressés, le Conseil constitutionnel dispose de l’accès au Répertoire national des élus, base de données gérée par le ministère de l’Intérieur5. Celle-ci fait l’objet d’une mise à jour quotidienne immédiatement avant et pendant la période des parrainages de façon à détecter les interruptions de mandats et les remplacements susceptibles d’affecter les sièges vacants (décès, démissions, élections partielles, etc.).
Cet accompagnement est indispensable pour assurer la validité des mandats par la comparaison des informations que cette base de données recense et de celles contenues dans chaque formulaire. Certains cas de figure appellent une instruction particulière avant validation définitive : par exemple, un état civil ne coïncidant pas, un nom de présentateur malaisément lisible, un mandat coché mais non détenu ou une pluralité de mandats cochés alors qu’un seul est déterminant, etc.
2 – Le nombre des présentations invalidées demeure très restreint, voire négligeable
Au total, sur plus de 15 000 présentations reçues, la proportion des parrainages non conformes ou invalidés s’établit à quelques dizaines, en toute hypothèse moins d’une centaine, soit moins de 1 % de l’ensemble, proportion stable d’une élection à l’autre.
La cause la plus fréquente d’invalidation (environ les trois quarts des cas) réside dans la neutralisation par son auteur, le plus souvent délibérée, du nom de candidat (nom de candidat volontairement barré, emplacement réservé sur le formulaire laissé vierge, mentions « néant », ou « aucun candidat », etc.). Dans un cas sur cinq environ, l’identification du présentateur s’avère impossible (formulaire entièrement vierge, absence de nom de présentateur et de données permettant de l’identifier par ailleurs comme le sceau de la mairie, etc.). À quoi s’ajoutent quelques cas résiduels très marginaux (usage de formulaires non réglementaires, parrainages multiples signés d’un même élu, présentation par une personne non habilitée par la loi, etc.).
Quoi qu’il en soit, le nombre de ces invalidations est chaque fois trop faible pour modifier le contenu de la liste des candidats.
3 – En définitive, les nombres de présentations validées et de candidats présentés se sont avérés relativement stables dans le passé
En termes non plus de droit de présentation mais d’exercice de ce droit par les élus, toutes catégories confondues, bon an, mal an, entre un tiers et deux cinquièmes des élus parrainent un candidat, soit en moyenne, 16 000 parrainages pour 11 candidats. L’ordre de grandeur des présentations reçues par le Conseil constitutionnel est donc globalement stable dans la durée.
Élection présidentielle |
Nombre de parrainages validés |
Nombre de candidats |
---|---|---|
1981 |
16 444 |
10 |
1988 |
15 744 |
9 |
1995 |
14 462 |
9 |
2002 |
17 815 |
16 |
2007 |
16 900 |
12 |
2012 |
15 047 |
10 |
En 2012, le nombre de présentations reçues s’est élevé à 15 047, soit 35,8 % des personnes habilitées, alors au nombre d’environ 42 000 titulaires de 47 413 mandats, différence qui s’explique, d’une part par des cumuls de mandats, d’autre part par des circonstances aléatoires (sièges vacants, successions pour un même mandat, etc.). Cette proportion est quasiment celle de l’élection de 2007 (35,6 %).
II – Les innovations instaurées par la loi organique du 25 avril 2016 portent sur des aspects particulièrement voyants de la procédure
La loi organique précitée du 25 avril 2016 a largement repris la teneur des propositions du Conseil constitutionnel6 publiées au lendemain de l’élection présidentielle de 2012. Elle a innové sur trois points de portée inégale.
A – La règle d’acheminement des parrainages privilégie désormais délibérément la voie postale
1 – Le caractère exclusif de l’acheminement postal en métropole
L’interdiction du dépôt physique, soit à titre personnel, soit surtout par les équipes des candidats, met fin à un usage que la réglementation antérieure n’excluait pas sans pour autant l’encourager. Mais le Conseil constitutionnel a considéré que le dépôt direct ne permettait pas d’écarter un risque « de possible instrumentalisation de cette procédure dans le débat public, du fait de la diffusion de rumeurs tendant à suggérer tantôt que telle personne dispose de présentations en nombre suffisant, (…) tantôt, à l’inverse, de faire accroire qu’elle en dispose en quantité insuffisante, afin d’influer sur les éventuels présentateurs »7. L’innovation est relative en ce sens que par le passé, en règle générale, une bonne moitié des élus faisaient déjà parvenir leurs parrainages par voie postale.
2 – Toutefois, le recours au dépôt physique est maintenu outre-mer
Depuis 1958, le dépôt des formulaires peut s’opérer outre-mer dans les services du représentant de l’État, à charge pour ce dernier de procéder à l’acheminement à destination du Conseil constitutionnel des documents par les moyens les plus rapides à sa disposition. Les techniques récentes de transmissions électroniques ont beaucoup facilité l’exercice de ce droit de présentation par les élus ultra-marins, qui comporte toutefois une conséquence en termes de délais : si la date limite de réception locale est la même (le sixième vendredi précédant le premier tour), le décalage horaire, notamment avec les collectivités du Pacifique, conduit à retarder en réalité au samedi 18 mars au matin la date limite de réception par le Conseil constitutionnel des parrainages déposés par certains élus d’outre-mer.
Cette innovation pose implicitement deux questions, l’une relative à la durée de réception des parrainages, l’autre à la fiabilité supposée de l’acheminement postal.
3 – La durée de réception des parrainages
La loi du 6 novembre 1962, modifiée sur ce point en 2006, détermine le terme de réception des présentations à 18h, le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin. Pour la prochaine élection, le Gouvernement ayant fixé celui-ci au 23 avril 20178, la date limite de réception tombe mécaniquement le vendredi 17 mars. En revanche, le début de cette période est fixé par référence à une date qui peut se déplacer dans le temps : le décret n° 2001-213 du 6 mars 20019 la fixe au jour de la publication du décret de convocation des électeurs, acte qui n’est lui-même encadré dans le temps par aucune autre disposition. C’est donc par un usage coutumier que cette période est fixée à environ trois semaines. Par conséquent, les élus devraient recevoir leur formulaire dans la semaine du 20 février 2017.
Dans le délai ainsi déterminé, quatre opérations se succèderont dans le temps :
-
l’envoi des parrainages aux élus habilités, le plus souvent à partir des préfectures ;
-
la réception personnelle par chaque élu d’un formulaire unique ;
-
l’expédition de ce formulaire dûment rempli à l’adresse du Conseil constitutionnel, les élus gardant le choix de l’opérateur postal ;
-
la réception de ces plis postaux par le Conseil constitutionnel.
4 – Le cas de la force majeure
Que se passe-t-il en cas d’impossibilité d’acheminement postal ? Le Conseil constitutionnel a pris soin de donner son interprétation du nouveau dispositif dans les termes suivants10 : il pourra « prendre en considération des circonstances de force majeure ayant gravement affecté l’expédition et l’acheminement des présentations dans les jours précédant l’expiration du délai de présentation des candidats ».
En fonction de circonstances dont il apprécierait à la fois la gravité et la portée, le Conseil ne s’interdit nullement d’admettre comme par le passé un mode d’acheminement non exclusivement postal. Si le contexte ainsi visé paraît se référer implicitement à des mouvements sociaux empêchant un acheminement régulier du courrier, il n’exclut pas a priori la circonstance d’une élection anticipée. En effet, le calendrier imposé par l’article 7 de la Constitution conduirait alors à réduire considérablement la période de réception des parrainages qui commencerait au jour du constat de vacance de la présidence de la République fixé par le Conseil constitutionnel pour s’achever le troisième mardi précédant le scrutin. La période de réception des parrainages serait alors comprise entre huit jours ouvrables au minimum et quatorze jours ouvrables au maximum.
B – La publication de la totalité des parrainages : une « longue marche » de plus de 40 ans
À l’origine, l’ordonnance précitée du 7 novembre 1958 disposait que « les noms et les qualités des membres du collège qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste ne sont pas rendus publics ». Ils ne le sont pas davantage après la réforme de 1962. Par sa décision précitée du 24 mai 1974, le Conseil constitutionnel a pris une position nettement favorable à la transparence dans les termes suivants : « La présentation d’un candidat à l’élection du président de la République est un acte politique grave. Il importe donc de l’entourer de toute la solennité nécessaire. À cette fin, il y aurait lieu (…) de rendre publique, pour chaque candidat, la liste des auteurs de présentation ». Cette proposition a été dans l’immédiat seulement partiellement suivie.
Dans la réforme de 1976, une publicité des noms des présentateurs est pour la première fois prévue mais de façon limitative. Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel « dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature », c’est-à-dire dans la limite de 500. En d’autres termes, pour un candidat qui bénéficiait de 3 000 présentations, un sixième des noms de leurs auteurs étaient rendus publics. Au contraire, les noms de présentateurs d’un compétiteur moins chanceux qui a en avait obtenu à peine plus de 500 étaient publiés quasiment en intégralité.
Ce souci apparent d’égalité de traitement étroitement statistique se justifiait certes en principe par la volonté d’éviter des pressions sur les élus notamment ruraux. Mais il masquait aussi (et surtout) la préoccupation de voir la publication de ces noms interprétée comme une sorte de sondage pré-électoral opéré en grandeur nature, d’autant plus fortement ressentie qu’elle intervenait dans les derniers jours de la campagne électorale. Or ce caractère prévisionnel prêté à la répartition des présentations entre candidats, s’il a pu être envisagé comme un risque potentiel, n’a jamais été ni établi, ni démontré. Autrement dit, les écarts entre les nombres de présentations recueillies par les candidats ne préjugent en rien les écarts de suffrages constatés entre ces mêmes candidats lors des scrutins suivants.
En termes plus ou moins insistants mais chaque fois réitérés avec constance, le Conseil constitutionnel a repris la teneur de sa recommandation initiale dans les observations qui ont suivi chaque élection présidentielle, jusqu’en 2012 inclusivement. Il est même allé un temps jusqu’à procéder à l’affichage des noms des élus dans son hall d’entrée, ce local étant momentanément ouvert au public. Cette démarche a eu l’effet inverse de celui escompté : au lieu d’encourager le législateur organique à modifier la lettre de la loi, celui-ci y a vu une sorte d’usage justifiant le statu quo, à telle enseigne que le Conseil constitutionnel a renoncé à cette pratique lors de l’élection présidentielle de 2007.
La liste définitive de l’ensemble des présentateurs sera désormais publiée sur le site internet du Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour du scrutin. D’une manière générale, les considérations qui précèdent conduiraient plutôt à relativiser l’effet de la publication intégrale de la liste des présentateurs.
C – En revanche, la publication des parrainages au fil des réceptions constitue une vraie innovation
Celle-ci résulte d’une initiative du seul législateur organique, le Conseil constitutionnel n’étant jamais allé aussi loin dans ses recommandations.
Les formes de communication antérieurement usitées, sans être absentes, restaient confidentielles. Depuis l’élection de 2002, sur leur demande expresse, les candidats avaient la possibilité d’être informés quotidiennement du nombre de parrainages en leur faveur que le Conseil considérait comme valides. Cette communication, réservée personnellement au candidat destinataire, ne comportait aucune mention nominative. Elle indiquait toutefois l’effet éventuel de l’écrêtement en mentionnant séparément le nombre de parrainages validés et celui pris en compte pour le calcul des 500 présentations.
La publication des noms des présentateurs au fil des réceptions comporte une tout autre portée et constitue à ce titre une réelle innovation. Elle a déjà fait l’objet d’une décision d’application du Conseil constitutionnel11.
La liste des élus qui ont valablement présenté un candidat sera publiée sur le site internet du Conseil deux fois par semaine, le mardi et le vendredi. Seuls seront rendus publics le nom et la qualité des élus dont la présentation a été jugée valide au jour de cette publication. Les noms des présentateurs seront classés par ordre alphabétique avec le nom des candidats présentés. Une liste consolidée de l’ensemble des noms des élus ayant valablement présenté un candidat sera également rendue publique deux fois par semaine sur le site internet du Conseil constitutionnel. Pour chacun des candidats cette publication classera les élus selon le département ou la collectivité d’outre-mer dans lequel ils ont été élus.
Ces modalités de publication auront pour effet principal de permettre au public le plus large de suivre la « progression » de chaque candidat pendant toute la durée de réception des parrainages au Conseil constitutionnel.
On peut s’interroger en conclusion sur la portée prévisible de ces innovations. Le cadre général dans lequel ces présentations sont reçues et validées a, on l’a vu, évolué lentement. Sauf à imaginer des comportements d’élus qui découleraient plutôt d’une sociologie nouvelle ou d’un rapport nouveau à la vie politique, il est probable que l’innovation essentielle, tant pour le grand public que pour les élus, dépendra de l’impact des toutes premières publications mises en ligne par le Conseil constitutionnel. Comment seront-elles alors interprétées ? Faut-il envisager des élus en définitive plutôt satisfaits, par la publication de leur nom, d’une forme de visibilité nouvelle de leur présence dans la vie politique nationale constituant un encouragement pour les autres élus ? Ou, à l’inverse, un effet dissuasif à l’endroit d’élus rendus prudents par cette innovation ? Ou même une combinaison savante des deux effets dans le prolongement du constat de stabilité établie sur la base des précédentes élections ?
Notes de bas de pages
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1.
V. Déc. Cons. const., 24 mai 1974, n° 74-33 PDR (déclaration du Conseil constitutionnel à l’occasion de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 1974).
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2.
Source : ministère de l’Intérieur.
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3.
V. Déc. Cons. const., 21 juin 2012, n° 2012-155 PDR (observations du Conseil constitutionnel sur l’élection présidentielle des 22 avril et 6 mai 2012).
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4.
V. Déc. Cons. const., 22 févr. 2012, n° 2012-233 QPC, Mme Marine Le Pen.
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5.
V. D. n° 2014-1479, 9 déc. 2014, relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus » (art. 7).
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6.
V. Déc. Cons. const., 21 juin 2012, n° 2012-155 PDR, préc.
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7.
V. Déc. Cons. const., 21 juin 2012, n° 2012-155 PDR, préc.
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8.
V. communiqué du conseil des ministres, 4 mai 2016.
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9.
Tout comme le décret antérieur D. n° 64-231, 14 mars 1964.
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10.
V. Déc. Cons. const., 21 avr. 2016, n° 2016-729 DC, relative à la loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (cons. 6).
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11.
V. Déc. Cons. const., 8 sept. 2016, n° 2016-135 ORGA (détermination par tirage au sort de l’ordre de la liste des candidats à l’élection du président de la République et modalités de publication du nom et de la qualité des citoyens qui présentent des candidats à l’élection du président de la République).