L’université dérange le politique ? Tant pis !

Publié le 25/02/2021

Alors que la polémique déclenchée par la volonté de la ministre de l’enseignement supérieur Dominique Vidal de confier au CNRS une mission sur l’ »islamo-gauchisme » à l’université ne cesse d’enfler, Dominique Rousseau*, Professeur de droit constitutionnel, rappelle que le politique n’a pas à s’immiscer dans la recherche.

Place de La Sorbonne
Photo : AdobeStock.Sky_Diez

Socrate a été condamné à mort. Parce qu’il posait des questions qui dérangeaient. Parce qu’il invitait à chercher les raisons des choses au-delà de leur apparence. Parce qu’il déplaçait les pierres comme dit le poète. L’intellectuel dérange et le politique n’aime pas être dérangé.

Quand, en 1993, Bourdieu recueille les maux et les mots des ouvriers, des employés, des gens des villes, des banlieues et des campagnes, il dérange parce qu’il fait voir ce que les politiques ne voudraient pas voir mis au jour.

Respectons les gestes barrière entre le politique et l’universitaire

Quand, en 1972, des scientifiques publient un rapport recommandant de mettre fin à la croissance pour préserver la planète d’un effondrement écologique, ils dérangent parce qu’ils posent des questions que personne ne veut entendre. Quand, en 2021, des juristes font voir les lois et les pratiques des autorités publiques qui affaiblissent les droits et libertés, ils dérangent parce qu’ils attirent l’attention des publics sur les dérives illibérales d’une société.

Chacun son métier : le politique a ses raisons que les universitaires n’ont pas à faire leurs. Le politique avait peut-être raison ou avait ses raisons pour ne pas écouter les scientifiques du club de Rome ; mais les scientifiques avaient raison de dire qu’il fallait, dès 1970, limiter la croissance économique pour préserver la planète. Et pas besoin de les accuser de « climato-gauchisme ». Seulement respecter les « gestes barrières » (selon la formule d’aujourd’hui) entre les deux métiers en mettant une distance raisonnable entre l’un et l’autre.

Ce qui s’appelle l’indépendance des universitaires dans la conduite de leurs recherches. Non pour leur plaisir personnel, mais pour garantir aux citoyens que les recherches seront conduites en toute indépendance à l’égard des intérêts politiques, économiques ou financiers.

Oserait-on leur tendre la cigüe ?

Les intérêts de la recherche juridique, par exemple, sont des intérêts de connaissance. Un intérêt « technique » d’abord qui est de donner aux hommes les moyens de connaître et de maîtriser l’organisation et le fonctionnement de la Cité. Par leurs études sur le principe d’égalité, sur la justice pénale des mineurs ou sur la jurisprudence sociale de la Cour de cassation, les juristes fournissent des connaissances « utiles » qui permettent, le cas échéant, de produire les règles de droit qui vont organiser les sphères économique, familiale, culturelle de la société. Un intérêt « critique » ensuite qui est d’offrir un savoir permettant de discuter le sens du droit dans l’organisation d’une société. Une constitution n’est pas seulement un texte « technique » ; elle est un miroir magique qui fait advenir la figure du citoyen qu’elle expose dans ses valeurs, liberté, égalité, fraternité.

Les juristes font voir que les valeurs constitutionnelles permettent aux hommes de prendre conscience de leur statut de citoyen, c’est-à-dire, de sujets de droit autonomes, capables de s’autodéterminer, de maîtriser leur histoire, de la réfléchir, de la discuter et de la penser. Ça dérange le politique ? Et alors, on ne va pas leur tendre la cigüe !

 

 

*Auteur notamment de Droit du contentieux constitutionnel, 12e édition, LGDJ 2020.

 

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