Prix Guy Carcassonne : « Enfants de djihadiste mais enfants de la République »

Publié le 16/07/2019

Le 6e prix Guy Carcassonne du meilleur article constitutionnel, créé par le Club des juristes, a été remis le 19 juin à Hassani Mohamed Rafsandjani, doctorant contractuel en droit public à l’université de Toulon, pour un article consacré au sort des enfants de djihadistes.

Chaque année, le prix Guy Carcassonne récompense l’auteur d’un article inédit de 5 000 signes sur une question constitutionnelle. Cet article doit aider à faire comprendre au plus grand nombre les enjeux juridiques, politiques et sociaux posés par la question abordée, au choix du candidat. L’édition 2018 du prix avait été remportée par Farid Belacel, chargé d’enseignement à l’université de Perpignan Via-Domitia pour son article sur le mouvement #MeToo : « C’est en protégeant les droits des “cochons” que l’on préservera la liberté des femmes de les accuser ». Cette année, c’est un doctorant de nationalité comorienne, âgé de 31 ans qui l’a remporté pour un article intitulé : « Enfants de djihadiste mais enfants de la République ». Le jury, composé de 7 personnalités dont Olivier Duhamel, président du jury Guy Carcassonne et président de la Fondation nationale des sciences politiques, Marc Guillaume, Secrétaire général du gouvernement, Julie Benetti, professeur de droit et rectrice de l’Académie de Corse, Jean-Baptiste Jacquin, journaliste au Monde, Wanda Mastor, professeur de droit constitutionnel à l’université Toulouse 1 Capitole, Géraldine Muhlmann, journaliste politique et professeur de sciences politiques à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, Dyveke Vestergaard Johansen, journaliste politique indépendante.

Cette année, les organisateurs ont reçu pas moins de 106 articles, lesquels ont été examinés après anonymisation. Le lauréat, quant à lui, en était à sa cinquième participation. Dans son exposé, il défend l’idée que le droit impose à l’État français de rapatrier les enfants et conclut par ces mots « Ces enfants ne sont ni instigateurs ni acteurs de ces conflits, mais des victimes. Les djihadistes renient ce qui fait nos sociétés démocratiques, il nous incombe de ne pas répondre à la terreur par le reniement de nos valeurs, mais par le respect du droit ». Lors de la cérémonie présidée par le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, le lauréat a reçu du secrétaire général du Club des juristes, Nicolas Molfessis, un chèque de 1 500 euros. Son article sera publié sur le site du Club des juristes sur celui de la Revue Pouvoirs et dans Le Monde. Nous avons voulu en savoir plus sur son auteur. Rencontre avec Hassani Mohamed Rafsandjani.

Les Petites Affiches

Pourquoi avez-vous choisi de traiter le sort des enfants de djihadistes ?

Hassani Mohamed Rafsandjani

Parce que je veux replacer le droit dans la cité et ne pas le cantonner uniquement à un discours scientifique prononcé dans un amphithéâtre. La question des enfants de djihadistes intéresse la cité car elle touche à nos valeurs. Je pense qu’il ne faut pas politiser ce sujet, mais revenir simplement à nos valeurs et au droit et c’est comme ça qu’on résoudra la question. Il ne faut pas trahir notre droit et les principes généraux qui le fondent. J’ai pensé que c’était un bon sujet pour le concours et une manière de participer à un débat de société.

LPA

Quelle thèse défendez-vous ?

H. M. R.

J’essaie de montrer que la question est juridique et que c’est sur ce terrain-là qu’elle doit être traitée. Or, au regard du droit, la France est tenue de trouver une solution, elle doit rapatrier ces enfants en vertu de ses engagements internationaux : la convention internationale des droits de l’enfance et la CÈDE. Mais c’est aussi une exigence de droit interne car le Conseil d’État a rappelé que l’État avait un devoir général de protection de ses citoyens. Par ailleurs, le 21 mars dernier le Conseil constitutionnel a consacré l’intérêt supérieur de l’enfant comme une exigence de valeur constitutionnelle. Juridiquement, il n’y a donc pas débat.

LPA

C’est votre 5e participation, pourquoi tant d’acharnement à remporter ce prix, qu’a-t-il de spécial à vos yeux ?

H. M. R.

Il a de spécial qu’il s’appelle Guy Carcassonne ! Je n’ai pas été son étudiant mais j’ai beaucoup d’admiration pour le professeur de droit public qu’il était, un professeur qui écrivait sur la chose publique et qui essayait de participer au débat pour éclairer le citoyen. Mon ambition n’était pas tant de gagner que de lui rendre hommage. Être lauréat cette année est en quelque sorte un bonus.

LPA

Quels sujets aviez-vous choisi les années précédentes ?

H. M. R.

J’avais jusqu’ici choisi des sujets beaucoup plus institutionnels : la VIe République contre laquelle en tant que disciple de Guy Carcassonne je défendais la Ve, le fait majoritaire et la confusion des pouvoirs. Cette année, j’ai décidé de changer de positionnement et d’opter pour une question qui parlait au plus grand nombre de manière à participer à un débat de société en étant le plus audible possible.

LPA

Ce thème est très éloigné de votre sujet de thèse qui porte sur les réformes constitutionnelles en Afrique et la limitation des mandats…

H. M. R.

Depuis les années quatre-vingt-dix, on essaie d’amorcer un tournant démocratique en Afrique. Mais on observe en réalité que toutes les révisions constitutionnelles constituent des retours en arrière. Après 30 ou 40 ans de tentative de démocratisation c’est dommage de reculer d’autant plus que ces constitutions sont rigides et donc en principe protectrices. Mais en pratique on observe qu’il est très facile de les modifier pour servir le pouvoir. C’est cette dialectique entre la lettre des constitutions et ce qu’on en fait qui m’intéresse.

 LPA

À quel métier vous destinez-vous ?

H. M. R.

À l’enseignement et à la recherche.

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