Mouvement #saccageparis, une expérience démocratique inédite ?

Publié le 21/03/2023

Alors que le mouvement #saccageparis fête ce mardi ses deux ans d’existence, Marie-Caroline Arreto, professeur extraordinaire en droit public à l’ICP, analyse ce mouvement comme une entreprise de démocratie participative inédite. Son originalité ? Être d’initiative citoyenne et se fixer comme objectif de défendre l’intérêt général face à un pouvoir politique minoritaire. Explications. 

Mouvement #saccageparis, une expérience démocratique inédite ?
C’est grâce à la mobilisation d’un internaute, @Baptiste75004, membre actif de #saccageparis, que la Mairie a accepté de lancer plusieurs chantiers de rénovation Place de la Concorde, dont celui de la fontaine. (Photo : ©AdobeStock/Paris Photo)

La crise de la démocratie représentative appelle le développement de nouvelles formes de mobilisation dans l’espace politique. Pour y remédier, les théories de la démocratie participative et délibérative suggèrent la mise en place de formes de consultation des citoyens par le pouvoir politique. Convention citoyenne, budgets participatifs, consultations en tout genre sont les formes que chaque lecteur aura déjà croisées. Si l’idée d’un renouvellement de la démocratie, tout du moins de formes nouvelles de dialogue entre gouvernants et gouvernés, est au cœur de la réflexion en théorie politique, les formes préconisées par cette dernière supposent une mise en place par les gouvernants eux-mêmes – ou « top down ».

Une mobilisation « bottum up »

Or, il existe des initiatives spontanées au sein de la société civile qui méritent l’attention en raison de leur originalité. C’est le cas du mot-dièse #saccageparis, lancé en mars 2021 par un utilisateur de Twitter @PanamePropre sur ce même réseau. Dans cette mobilisation « bottum up », l’expérimentation s’émancipe de la théorie. Quelques membres très actifs de Twitter partageant les mêmes inquiétudes au sujet de la capitale française, ont réussi à s’unir pour donner naissance à un mouvement citoyen. En s’organisant et en se structurant, ce mouvement se pérennise puisqu’il fête ses deux ans d’existence – le premier tweet de @PanamePropre datant du 21 mars 2021 – et que la mobilisation ne semble pas faiblir.

Une véritable entreprise de démocratie participative

Plus de trois millions de tweets [1], un site internet proposant différents formats pour parler des conséquences des politiques menées par la municipalité [2] et une page Wikipédia plus tard [3], cette expérience démocratique inédite reste un phénomène difficile à saisir. Tantôt perçu comme une opération d’astroturfing pilotée par l’opposition politique [4], tantôt comme une manière conservatrice voire ringarde de voir la ville tout en cédant au « Hidalgo-bashing » [5], le mouvement #saccageparis s’est organisé progressivement autour d’un même combat : surveiller les décisions prises par la municipalité et tenter tant bien que mal de faire entendre sa voix, son avis sur les décisions prises par la Mairie. De notre point de vue, ce mouvement apparaît comme une véritable entreprise de démocratie participative : des citoyens se découvrent partageant un intérêt commun pour « rendre aux Parisiens le Paris qu’ils aiment » [6]. Ils décident alors de se réunir pour faire front, évaluant les conséquences potentielles des annonces de la municipalité.

Un pouvoir contre-minoritaire

Classiquement, la théorie démocratique repose sur le pouvoir de la majorité. Tocqueville nous avait mis en garde contre la tyrannie de cette majorité [7]. De ce constat, s’est progressivement imposée l’idée de développer des pouvoirs contre-majoritaires en garantissant la protection des droits contre la règle majoritaire [8], notamment par le biais de la justice constitutionnelle [9]. Pourtant, la pratique du régime de démocratie représentative semble révéler un changement de sens de ce régime : si la décision politique est censée être adoptée par la majorité, force est de constater que le régime démocratique tend à devenir une aristocratie, du fait du processus de désignation des représentants [10]. Cela explique dès lors que l’adoption des décisions politiques risque d’être réalisée par une minorité, ce phénomène étant bien plus renforcé lorsque ces décisions sont contestées et que le mode de scrutin favorise l’élection d’un gouvernement minoritaire sur le plan numérique [11]. Les mobilisations d’initiative citoyenne, à l’image de #saccageparis, tendraient alors à assumer un « pouvoir contre-minoritaire » s’opposant aux décisions de la municipalité parisienne. Si cette qualification pourrait être contestée parce que #saccageparis ne possède pas de véritable pouvoir décisionnel [12], soutenons au moins que la mobilisation se fait le défenseur de l’intérêt général, puisqu’il agit au nom de la sécurité [13], de la salubrité [14] et de la tranquillité publique [15], et même de la préservation d’une certaine esthétique de la capitale française [16] en exigeant le respect de la réglementation relative au patrimoine.

Une mobilisation payante

Si le mouvement a tenté de se structurer et de se donner une visibilité grâce à différents outils offerts par les nouvelles technologies, les effets d’une telle mobilisation citoyenne peuvent paraître difficiles à identifier. Force est toutefois de constater que leur mobilisation arrive parfois à payer [17]. L’exemple le plus révélateur est celui de la mobilisation de certains membres pour « Sauver la Place de la Concorde » dont l’état inquiète : la pétition initiée par @Baptiste75004, en mai 2022, a recueilli 33 660 voix [18]. Quatre mois plus tard, la Mairie annonce le début d’une rénovation partielle de la célèbre « place de pouvoir où les têtes sont tombées » [19]. Le lien entre les deux événements est explicitement fait par les journalistes [20]. Certes, les quelques manifestations qui ont été organisées dans la vie réelle, ont brassé seulement quelques centaines de manifestants [21]. Plutôt que d’y voir une faible mobilisation, nous proposons au contraire d’aller jusqu’au bout de la logique de la mobilisation citoyenne qui se renouvelle en utilisant de nouveaux moyens, qui s’émancipent des méthodes traditionnelles d’expression du mécontentement, à l’image de la manifestation. D’ailleurs, tous les commentateurs de la vie politique sont frappés par le manque total de réaction politique face à la mobilisation dans la rue contre la réforme des retraites.

Le dévoiement de la fausse légitimation

L’exemple de #saccageparis est peut-être aussi une réponse citoyenne aux limites de la démocratie participative lorsqu’elle est, plus classiquement, à l’initiative des gouvernants. La convention citoyenne sur le climat a ainsi posé de nombreuses interrogations sur la capacité pour la démocratie participative de proposer un modèle corrigé au régime de démocratie représentative devenu malade [22]. Au titre de la rénovation de diverses places parisiennes, l’équipe municipale a ainsi ouvert une consultation de cinq mois afin que les Parisiens puissent soumettre leurs propositions de travaux du parvis de Notre-Dame. La municipalité a permis aux Parisiens de soumettre leurs propositions de travaux afin que chacun puisse voter pour celle de son choix. Saisissant l’opportunité, un des membres du mouvement #saccageparis a soumis une proposition prévoyant le maintien du parvis en l’état. Cette proposition a remporté 265 votes, soit 94 % des voix exprimées. La municipalité se retrouve ici dans une impasse : comment réaliser les travaux prévus par le provisionnement du budget de 50 millions d’euros, sans se dédire vis-à-vis de la consultation qu’elle a elle-même mis en place ? La Mairie a finalement décidé de poursuivre son projet de réaménagement des abords de Notre-Dame. Apparaissent ainsi les difficultés inhérentes aux procédures de démocratie participative, lorsqu’elles sont mises en place à l’initiative du pouvoir politique, dans le but de légitimer sa propre décision [23].

Si les outils tant de la science politique, que de la science juridique, peinent à appréhender l’impact réel de la mobilisation #saccageparis, il convient néanmoins de s’intéresser en détail à cette initiative citoyenne pour envisager les formes de réinvestissement dans la vie politique. À l’aune de cette expérience démocratique inédite, il serait intéressant de réévaluer les théories de la démocratie participative et délibérative pour parfaire l’analyse des remèdes à la crise démocratique que nous traversons.

[1] Chiffres à jour au 4 mai 2022 : cf. https://saccage-paris.com/fondateurs-et-partenaires/.

[2] https://saccage-paris.com/

[3] La page ne semble pas avoir été créée par un membre fondateur du mouvement : ni @PanamePropre, ni les dix membres fondateurs affichés sur le site internet du mouvement.

[4] Nicolas Vanderbiest, « #SaccageParis : astroturfing ou opération militante ? », Reputatio Lab, 9 avril 2021,

[5] Guillemette Faure, « Je ne veux pas tromber dans l’Hidalgo bashing, mais… » : les critiques contrits de la maire de Paris », M le mag – Le Monde, 14 janvier 2023. 

[6] Interview de Didier Rykner, Le Figaro, 17 juin 2022.

[7] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, rééd. F. Furet, GF Flammarion, 1981, p. 89-100.

[8] Fareed Zakaria, “The Rise of Illiberal Democracy”, Foreign Affairs, vol. 76, n°6, nov.-déc. 1997, p. 22-43.

[9] Alexander Bickel, The Least Dangerous Branch: The Supreme Court at the Bar of Politics, Yale University Press, New Haven and London, 1962, p. 16-23. Il envisage le pouvoir de la Cour suprême américaine, comme une counter-majoritarian difficulty car il n’est pas évident que dans un régime démocratique, le juge puisse décider en lieu et place du législateur.

[10] Pierre-Marie Raynal, « L’État de droit comme forme de gouvernement. Essai de classification », Civitas Europa, 2016/2, n°37, p. 27-46.

[11] Virginie Martin, « La loi « Paris-Lyon-Marseille » : un scrutin opaque, complexe et peu démocratique », The Conversation, 8 mars 2020. Cette position minoritaire s’est aussi manifestée dans le résultat à l’élection présidentielle de Mme Hidalgo.

[12] Lina Megahed, Le contre-pouvoir populaire. Recherche sur le pouvoir du peuple en corps à partir du cas français, th. Univ. de Bordeaux, dactyl., 2022, 445 p.

[13] Mentionnons le problème de « Stalincrack », recouvrant les usagers de crack, notamment autour de la place et du métro Stalingrad. Cf. « #SaccageParis, « Stalincrack », mobilier urbain : Anne Hidalgo nie toute responsabilité », Valeurs actuelles, 22 mai 2021.

[14] Le combat de #SaccageParis pour la propreté de la ville est assez évident, puisque c’était initialement le premier, parfois le seul, élément que les journalistes retenaient du mouvement. Cf. notamment « #SaccageParis : le hashtag qui montre du doigt l’état de propreté inquiétant de la capitale », Zig Zag Paris, 7 avril 2021 ; Angélique Négroni, « #SaccageParis confronte Anne Hidalgo à la réalité de la propreté », Le Figaro, 29 avril 2021.

[15] Citons par exemple la mobilisation contre les terrasses éphémères, mises en place pendant la pandémie de Covid afin de compenser la réduction du nombre de places dans les cafés et restaurants, créant ainsi une nuisance pour les riverains de ces terrasses. Ces derniers avaient alors lancé un mot-dièse complémentaire #Terrassesestivales. Christine Henry et Florent Hélaine, « « La situation des terrasses est devenue ingérable ! » : À Paris, les maires d’arrondissement sous la pression des riverains », 5 octobre 2021.

[16] Christine Henry, « Propreté, esthétique, drogue… #SaccageParis a rassemblé des centaines de personnes devant l’Hôtel de Ville », Le Parisien, 10 octobre 2021. 

[17] Théo Moy, « #SaccageParis : après avoir crié à la manipulation, l’équipe d’Anne Hidalgo tire les leçons », Marianne, 6 juillet 2021 ; « Contre #SaccageParis, la ville présente son plan pour embellir Paris », France Bleu Paris, 18 janvier 2022  ; « #SaccageParis, de paria à interlocuteur de la mairie de Paris », ID, L’info durable #TousActeurs, 25 mars 2022 ; Léandre Herman-Kasse, « Comment #SaccageParis a influencé la politique de la Ville de Paris », Challenges, 1er avril 2022  ; Marie-Anne Gairaud, « #SaccageParis : en un an, le cri de colère des réseaux sociaux a chamboulé la politique parisienne », Le Parisien, 1er avril 2022.

[18] Pour la consulter, c’est ici.

[19] « La Concorde, une place aux multiples facettes », Site internet de la ville de Paris, dernière mise à jour le 29 décembre 2022.

[20] Pauline Darvey, « « Elle est dans un piteux état : à Paris, la place de la Concorde va bientôt être rénovée », Le Parisien, 13 septembre 2022, en ligne :

[21] Marion Kremp, « SaccageParis : avec 200 manifestants dans la rue, le mouvement peine à mobiliser hors de Twitter », Le Parisien, 26 juin 2022.

[22] Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin, « Un trou noir démocratique. Ce que nous dit la Convention citoyenne pour le climat », Fondation du Pont-neuf, 20 juillet 2020.

[23] Autre illustration plus récente : la consultation des Parisiens sur le sort à réserver aux trottinettes alors que concomitamment Mme le Maire annonce que sa décision est déjà prise. Cf. Benjamin Illy, « Transports : Anne Hidalgo favorable à l’arrêt des trottinettes en libre-service, les Parisiens partagés », France Info, 15 janvier 2023.

 

Sur le même sujet, lire notre dossier sur l’explosion de la rue de Trévise, notre enquête sur la situation de la rotonde de la Villette ici et , ainsi que le récit d’un procès lié au trafic de crack dans le quartier de Stalingrad à Paris. 

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