Paris (75)

Baromètre des droits : la maternité, première cause de discrimination chez les avocates

Publié le 13/10/2021

Alors que les droits des Français ont été bouleversés par l’état d’urgence sanitaire, le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, a lancé une mission « Sentinelle des libertés ». Jusqu’à la fin de l’année 2021, le barreau de Paris publiera des baromètres des droits, pour alerter sur les éventuelles atteintes aux libertés fondamentales. En septembre 2021, les avocats parisien ont pris le pouls des discriminations dans le pays, en proposant un sondage réalisé auprès de deux cibles : d’une part, un millier de personnes de plus de 18 ans, d’autre part, 500 avocats du barreau de Paris. Ses résultats ont été rendus publics lors d’une conférence de presse donnée à la Maison du barreau le 9 septembre dernier. Anne-Laure Casado, membre du Conseil de l’ordre, promotrice de l’égalité femme-homme au sein de la profession, nous a présenté les résultats.

Actu-juridique : En quoi consistent ces baromètres des droits réalisés par le barreau de Paris ?

Anne-Laure Casado : L’idée est de faire des sondages, sur différentes thématiques, à la fois dans la population globale et celle des avocats. Ce troisième baromètre depuis le début de l’opération « Sentinelles des libertés », lancée en mai 2020, porte sur les discriminations et le harcèlement. Nous avons posé aux deux groupes de population les mêmes questions sur les discriminations liées à l’état de santé, aux origines, au milieu social, à la religion, à la grossesse et à la parentalité. Les résultats des avocats ne sont pas tout à fait les mêmes que celles des personnes issues de l’ensemble de la société. Cela nous permet, d’une part, de voir comment se situent les avocats par rapport au reste de la population, et, d’autre part, d’identifier les sujets sur lesquels nous devons nous pencher davantage pour défendre les justiciables.

AJ : Quelles sont les discriminations dont souffrent les avocats ?

A.-L.C. : Chez les avocats, la première cause de discrimination est celle de la maternité. Ce n’est pas le cas dans le reste de la société. On peut envisager pour cela différentes explications : peut être qu’il y a dans la société une majorité de salariés, qui sont mieux protégés que les avocats – même s’il existe, pour les salariées, un risque d’être placardisées au moment de la grossesse.

Chez les avocates, ce sujet est en tout cas prégnant. C’est une vraie difficulté que l’on rencontre.

Baromètre des droits : la maternité, première cause de discrimination chez les avocates
Baromètre des droits © Barreau de Paris

AJ : Comment expliquer que la grossesse soit encore un frein si puissant dans la profession ?

A.-L.C. : Quasiment la moitié des avocats sondés disent avoir été victime ou témoin de discrimination en raison de la maternité. Cela peut se manifester par une placardisation, un licenciement, une absence de primes, des discriminations à l’embauche. Les avocats ont un statut particulier. Les collaboratrices exercent en libéral, les cabinets ne sont donc pas soumis au droit du travail. Notre déontologie est censée nous protéger, mais cela ne semble pas suffire. La maternité est un vrai sujet à travailler pour atteindre l’égalité. Les chiffres montrent que les avocates sont plus difficilement associées, accèdent à des rémunérations moins élevées et sont assez absentes des contentieux à fort enjeu financier. Tout cela alors même que la profession se féminise.

AJ : Quelles sont les discriminations dont souffre le plus le reste de la population ?

A.-L.C. : Pour la population générale, les discriminations liées aux origines, qu’il s’agisse du milieu social dont on est issu ou de la couleur de peau, ressortent davantage. Viennent ensuite des discriminations par rapport à l’âge et à la religion. Celles-ci sont moins visibles parmi les avocats que nous avons sondés. De même, les discriminations par rapport à l’orientation sexuelles sont faibles chez les avocats, alors qu’elles ressortent largement dans le reste de la société. Racisme et discrimination religieuse ont tendance à progresser dans la société, mais sont moins présents chez les avocats.

AJ : En dehors des questions de maternité, les avocats semblent plutôt bon élèves en matière de discrimination…

A.-L.C. : C’est vrai que les autres discriminations ressortent moins. En ce qui concerne les discriminations en raison de l’origine, il faut néanmoins nuancer les résultats en questionnant l’accès à la profession. Il est, en effet, possible que ces discriminations interviennent au moment des études ou de passer des examens, donc avant l’entrée dans la profession. Nous savons par ailleurs, car nous en avons des remontées à l’ordre, que des discriminations sur les origines sociales existent au sein des cabinets. Des témoignages nous font dire qu’avoir une adresse en Seine-Saint-Denis, par exemple, peut nuire au recrutement. On voit que notre profession est moins diversifiée que l’ensemble de la société. De plus en plus de cabinets mettent en place des référents pour que ces discriminations n’aient pas lieu. En ce qui concerne l’orientation sexuelle, il est possible que ce sujet ne soit pas ouvertement abordé au sein des cabinets. Ce tabou pourrait paradoxalement expliquer que ce type de discrimination ressorte plus fortement du sondage sur l’ensemble de la population.

AJ : Votre baromètre pointe également le harcèlement qui s’exprime sur les réseaux sociaux…

A.-L.C. : Il y a une très grande progression dans la société depuis cinq ans du harcèlement sur les réseaux sociaux. Les enfants et les adolescents en sont les premières victimes, comme on a pu le voir notamment par le biais de procès médiatiques. Ce harcèlement touche aussi notre profession. Des confrères qui interviennent dans les procès médiatiques ou sont actifs sur les réseaux font également l’objet de cyber-harcèlement. On a également vu apparaître de la part de certains confrères des attitudes qui n’étaient pas conformes à notre déontologie sur les réseaux. Nous avons créé une commission réseaux sociaux à l’ordre. On peut traduire des avocats devant le conseil de l’ordre s’ils ne respectent pas la déontologie.

AJ : Vous évoquez, en ce qui concerne l’ensemble de la société, des discriminations liées à une « vulnérabilité économique »…

A.-L.C. : Faire valoir ses droits a un coût et nécessite un savoir. Tout le monde ne se rend pas compte qu’il est victime de discrimination. Beaucoup de gens ne font pas les démarches nécessaires. C’est en effet une discrimination qui existe dans notre société de manière puissante.

AJ : Qu’allez-vous faire de ces résultats ?

A.-L.C. : En ce qui concerne le sondage fait dans la profession, nous allons en tirer des leçons pour les avocats. Pour ce qui concerne les discriminations vécues par le reste de la société, nous allons en parler aux parlementaires pour qu’ils y soient sensibilisés et portent ces sujets devant l’Assemblée nationale.

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