Le baromètre de la fiscalité immobilière

Publié le 24/05/2018

Les professionnels de l’immobilier se montrent très attentifs aux enjeux fiscaux. Si les mesures fiscales du début du quinquennat les convainquent, celles relatives à la filière immobilière les inquiètent. Tour d’horizon.

Le cabinet d’avocats Arsene publie son sixième baromètre de la fiscalité immobilière. Ce baromètre est réalisé auprès des professionnels du secteur de l’immobilier  : promoteurs, fonds, foncières, gestionnaires d’actifs, etc. 63  % des sondés jugent positivement les mesures fiscales (loi de finances 2018, passage de l’ISF à l’IFI…) prises par le président Emmanuel Macron. En revanche, celles prises dans l’industrie immobilière ne comptent que 31  % des sondés satisfaits. L’assiette d’imposition de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) est désormais concentrée uniquement sur les actifs immobiliers non affectés à l’activité professionnelle (biens et droits immobiliers, parts de SCI, SCPI ou OPCI). Les actifs immobiliers affectés à l’activité professionnelle en sont exclus. L’abattement de 30  % sur la résidence principale est conservé, ainsi que le seuil d’assujettissement de 1,3 M €. Le contribuable peut déduire les dettes afférentes au patrimoine immobilier, comme les taxes foncières, certaines dépenses d’acquisition, d’amélioration et de réparation.

Priorité à la fiscalité

La tendance observée lors des précédents baromètres se confirme et les enjeux liés à la fiscalité deviennent de plus en plus centraux. En effet, les questions fiscales font partie des priorités lors des discussions des conseils d’administration pour presque 80  % des répondants. Les variations fréquentes de la législation et la sécurité fiscale étaient et restent les préoccupations majeures (tendances inchangées depuis la création du baromètre en 2011). De plus, l’inquiétude vis-à-vis du taux effectif d’imposition s’est accrue et se confirme encore cette année (2,96 pts en 2018, contre 2,76 pts en 2017, sur une échelle d’importance de 1 à 4), alors que la baisse du taux d’impôt sur les sociétés initiée l’an dernier est encore plus marquée cette année. Comme les années précédentes, la fiscalité internationale reste le domaine le moins bien maîtrisé. Les professionnels de l’immobilier anticipent pour 2018 des difficultés en matière d’impôt sur les sociétés, de TVA, de taxes immobilières et de prix de transfert.

Les mesures incitatives déçoivent

« Seulement 33  % des promoteurs pensent que les dispositifs d’incitation fiscale sont satisfaisants (reconduction du dispositif Pinel, exonération des plus-values de cession de foncier dans certaines zones ou pour construire du logement social), ce qui prouve que le secteur de l’immobilier est en attente d’évolution sur ces questions », commente François Lugand, associé chez Arsene avocats, responsable de la fiscalité immobilière. Le dispositif Pinel permettant de bénéficier d’une réduction d’impôt pour toute acquisition ou construction de logements neufs ou assimilés destinés à la location dans le secteur intermédiaire, a été reconduit pour une durée de 4 ans. Depuis le 1er janvier 2018, il est cependant recentré sur les seules zones A et B1 (soit l’Ile-de-France, la Côte d’Azur, les métropoles de plus de 250 000 habitants et quelques villes où les prix de l’immobilier sont élevés  : Bayonne, La Rochelle,…). Le dispositif du prêt à taux zéro ou PTZ a également été reconduit jusqu’en 2021, pour les acquisitions ou constructions de logements neufs partout en France, et pour les acquisitions de logements anciens dans les seules zones B2 et C. Le montant du PTZ est plafonné à 40 % du coût de l’opération sauf s’agissant de l’acquisition d’un logement neuf en zones B2 et C où il est limité à 20 %. À compter du 1er janvier 2020, le PTZ ne sera plus accordé dans les zones A et B1 que pour les acquisitions ou constructions de logements neufs. Il sera maintenu dans les zones B2 et C pour les seules acquisitions de logements anciens.

Un abattement exceptionnel sur les plus-values de cession de terrains a également été mis en place, réservé aux plus-values réalisées par les particuliers lors de la cession de terrains à bâtir ou de biens immobiliers bâtis dans les zones tendues (zone A et A bis) en vue de la construction de logements d’habitation collectifs bénéficient d’un abattement exceptionnel. L’abattement de droit commun est de 70 % et peut atteindre 85 % dans certaines hypothèses. L’abattement ne s’applique qu’à la double condition que la promesse ou le compromis de vente soit signé entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2020 et l’acte définitif soit régularisé au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la signature de l’avant-contrat.

Les stratégies d’investissement

Dans cet environnement, les grandes tendances en matière d’investissement évoluent. En 2018, les entrepôts et bureaux représentent 64 % des actifs ciblés, là où ils représentaient seulement 56 % en 2017. Ce changement d’intérêt se fait au détriment des commerces (16 % en 2017 contre 11 % en 2018) et des logements (28 % en 2017 contre 25 % en 2018). Pour Franck Llinas, avocat associé au sein du cabinet Arsene, dont il codirige le départmeent immobilier, cette dernière information est à relativiser. « Si on regarde la progression de l’appétit pour le logement sur ces six dernières années, elle est réelle, alors même que les investisseurs s’étaient largement détournés de ce type d’assets. L’intérêt qu’ils semblent manifester pour le portefeuille d’immeubles que la SNCF s’apprête à céder en est un bon témoignage ». Sans surprise, le niveau de prix reste, pour l’ensemble des sondés, le facteur le plus important en matière d’investissement, avec 3,45 points, sur une échelle de 1 à 4 où 4 représente le facteur plus important et 1 le facteur le moins important.

Contrôles fiscaux et relations avec les autorités fiscales

Alors que moins de la moitié des sondés (45 %) déclare avoir fait l’objet d’un contrôle fiscal au cours de l’année 2017, en légère baisse par rapport à 2016 (57 %) ; les résultats montrent qu’après une forte détérioration des relations exprimées l’an dernier, celles-ci semblent relativement se stabiliser avec l’administration fiscale (87 % jugent que les relations n’ont pas évolué). « Cette stabilisation ne doit pas être comprise comme un constat d’amélioration, avertit Franck Llinas. Elle signifie juste que les relations ne se sont pas davantage détériorées. En effet, à rebours de la communication du gouvernement sur la volonté de promouvoir la confiance entre contribuable et administration fiscale, les contrôles cristallisent de plus en plus des positions diamétralement opposées et difficilement conciliables. À titre d’exemple, nous sommes de plus en plus obligés de faire appel à l’interlocuteur départemental pour obtenir gain de cause sur des affaires où, en contentieux, le juge nous aurait donné raison ».

Ainsi, le baromètre 2018 affiche un recours aux pénalités sensiblement le même (30 %) que pour le précédent (32 %). De même, pour la grande majorité des acteurs interrogés, l’application des pénalités reste en 2017 un outil au service de la négociation globale des litiges. Les résultats du baromètre affichent également une nette amélioration de la perception des répondants sur la qualité de l’échange avec l’administration, dans le cadre d’une demande de rescrit (82 % contre 20 % en 2015). Pour Franck Llinas : « Le recours à la procédure de rescrit fiscal ou d’agrément est une procédure qui tend à se démocratiser. Extrêmement efficace et rapide pour certaines demandes notamment en matière de TVA ou de droit d’enregistrement, elle peut s’avérer beaucoup plus longue et aléatoire en matière de fiscalité internationale ou de réorganisation. Malgré la grande compétence des services de Bercy, on peut regretter que les changements de services et promotions des inspecteurs entraînent souvent un appauvrissement du service qu’ils quittent en raison de la mauvaise transmission des savoir-faire et des positions retenues par le passé », précise le fiscaliste. À cet égard, le baromètre enregistre également une amélioration dans l’efficacité du traitement de la demande (58 % des sondés jugent satisfaisant l’interlocuteur identifié ainsi que le jeu de questions/réponses), malgré des délais de réponse qui augmentent (entre 3 et plus de 6 mois pour 83 % des répondants). « Si on compare les délais de réponse en France, en matière de rescrit, avec ceux pratiqués au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, ceux-ci sont infiniment plus longs, imposant un calendrier incompatible avec la vie des affaires », ajoute Franck Llinas.

L’impact grandissant de la fiscalité internationale

En effet, les répondants mettent en avant l’importance des normes fiscales internationales pour le secteur. 61 % d’entre eux jugent le développement des normes fiscales internationales, depuis quelques années, important voire très important. La moitié dit avoir été affectée par la précédente réforme du traité France-Luxembourg alors que ce dernier vient tout juste d’être modifié, le 20 mars dernier. La nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg qui entrera prochainement en vigueur va inciter les investisseurs à revoir leur structure d’investissement, en particulier ceux qui utilisent les OPPCI. Ils sont d’ailleurs 60 % des répondants utilisant des holdings d’investissement étrangers à prêter beaucoup d’attention au niveau de substance requis en employant notamment du personnel compétent localement. Moins de 10 % reconnaissent avoir une substance insuffisante. Plus de la moitié des répondants pense que le Brexit a eu un impact sur le marché français et 84 % pensent qu’il peut avoir un impact dans les 12 prochains mois. À l’opposé, l’année dernière, 6 % des sondés exprimaient que la perspective du Brexit n’avait pas (encore) eu d’impact. « L’environnement fiscal international est source d’incertitude pour les entreprises, y compris pour les acteurs du secteur de l’immobilier. Dans ce contexte changeant, les stratégies sont amenées à évoluer. C’est le cas par exemple de la mise en place du véhicule OPPCI, dont 70 % pensent qu’il constitue un dispositif incontournable pour investir en France dans les prochains mois. L’efficacité de ces régimes est jugée un peu plus sévèrement cette année par les répondants mais ils conservent toutefois un net avantage pour les acteurs », ajoute Stéphanie Hamis, avocate associée au sein du cabinet Arsene, département fiscalité immobilière.

« Cela étant, de grandes lames de fond en matière de normes fiscales internationales restent encore très peu connues, plus de la moitié (61 %) n’a, par exemple, jamais entendu parler du Multilatéral Instrument, qui vient se superposer aux conventions fiscales bilatérales », explique Franck Llinas. Le Multilatéral Instrument (communément appelé MLI) est une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Le 7 juin 2017, plus de 70 ministres et hauts représentants ont pris part à la cérémonie de signature de cette convention multilatérale qui offre des solutions concrètes aux gouvernements pour fermer les brèches dans les règles internationales actuelles en transposant les mesures développées dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE et du G20 dans les conventions fiscales bilatérales. Le texte du Multilatéral Instrument et sa note explicative ont été adoptés dans le cadre de négociations auxquelles plus de 100 pays et juridictions ont participé, suite au mandat conféré par les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales des pays du G20 lors de leur réunion de février 2015. Le Multilatéral Instrument et sa note explicative ont été adoptés en anglais et en français, les deux textes faisant également foi. Le Multilatéral Instrument peut modifier l’application de milliers de conventions fiscales bilatérales conclues afin d’éliminer les situations de double imposition. Pour que le Multilateral Instrument déroge aux dispositions d’une convention fiscale bilatérale, encore faut-il que les États concernés en aient fait le choix. Aussi convient-il de regarder convention par convention si le Multilateral Instrument peut y être substitué. Celui-ci met également en œuvre les standards minimums adoptés afin de prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales et d’améliorer le règlement des différends tout en garantissant un degré suffisant de souplesse pour ainsi prendre en compte les politiques fiscales spécifiques relatives aux conventions fiscales.

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