Question de rhétorique : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » ?

Publié le 30/03/2021

« S’il se trouve que vient à cet atelier une femme blanche, un homme blanc, il n’est pas question de la ou le jeter. En revanche, on peut lui demander de se taire, d’être spectateur ou spectatrice silencieux » a déclaré Audrey Pulvar, candidate socialiste aux régionales en Ile-de-France lors de son entretien samedi dernier sur BFM TV, avec la journaliste Apolline de Malherbe. Guillaume Prigent, auteur de Avoir raison avec Schopenhauer (1), nous explique quel procédé rhétorique se joue dans cette distinction délicate et peu évidente.

loup
Photo : ©AdobeStock/Igor

Le constat : pourquoi c’est si tentant ?

 « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », disait le Cardinal de Retz dans ses Mémoires. Et c’est une expérience peu agréable dont chacun peut éprouver l’inconfort que de devoir se positionner sur un sujet dont sait qu’il n’occasionnera que des coups à prendre et pas une once de remerciements ou de gratitude. Dit autrement, en essayant de comprendre le principe des deux solutions existantes tout en regrettant la forme, on s’engage sur un chemin de crête délicat. C’est l’équivalent du « sur le fond tu n’as pas tort, mais ainsi formulé c’est difficile à entendre ».

Audrey Pulvar s’est précisément retrouvée dans cette situation d’équilibriste lorsqu’elle a été  interrogée sur l’affirmation faite le 17 mars 20201, par la présidente de l’UNEF, de son soutien à l’organisation de réunions interdites d’accès à des personnes en raison de leur « race » suposée ou de leur sexe, en l’espèce de réunions interdites aux personnes considérées comme « blanches ».

Face à la question d’Apolline de Malherbe sur cette position de l’UNEF, elle répond ceci : « S’il se trouve que vient à cet atelier une femme blanche, un homme blanc, il n’est pas question de la ou le jeter. En revanche, on peut lui demander de se taire, d’être spectateur ou spectatrice silencieux ».

Le procédé rhétorique : opérer une distinction pour créer une troisième voie

 Lorsqu’on sent venir le moment où l’on risque de se retrouver « coincé » entre deux camps irréconciliables qui vous somment de prendre parti, une option consiste à opérer une distinction, plus ou moins subtile, qui vous permette d’ouvrir une troisième voie dans laquelle vous engouffrer. Vous aurez ainsi répondu à la question posée tout en évitant soigneusement de donner raison à un camp plutôt qu’à un autre.

Le procédé tout entier consistant à sortir de l’opposition binaire dans laquelle on veut vous enfermer, il fonctionne comme suit.

D’abord récuser poliment les deux positions en présence, en indiquant qu’on est contre l’interdiction faites à des personnes de ne pouvoir assister à une réunion en raison de leur couleur de peau… tout en ne donnant pas raison à ceux qui souhaitent interdire toute réunion en non mixité.

Ensuite, opérer une distinction qui donne un peu raison aux deux camps opposés. Ici, défendre le droit de toute personne de se rendre aux réunions évoquées, tout en lui demandant de ne pas parler, se privant ainsi d’une autre liberté qui est celle d’expression.

Enfin, dire que c’est à titre personnel que l’on adopte cette position et ainsi éviter tout débat de principe puisqu’il s’agit bien d’un point de vue qui n’engage que vous. C’est à cette fin que, dans un tweet publié dimanche dernier, Audrey Pulvar précise « Oui, dans une réunion non-mixte LGBTQI +, en tant qu’hétéro, je me taierais, j’écouterais. »

Le risque : se faire deux ennemis au lieu d’un

Sur des sujets sensibles, voire inflammables, il peut être louable de chercher une solution de compromis et d’apaisement qui tente de trouver un « juste milieu » entre les camps en présence. C’est un art subtil que la négociation pour des accords de paix entre belligérants a porté à son plus haut niveau.

Si tenir un propos nuancé sur un sujet obscur ne risque pas d’engendrer des débats dantesques, il est certain que lorsque cela concerne un enjeu de société fort, celui ou celle qui se place en position d’arbitre se retrouve pris entre deux feux. Ici, la distinction opérée ne résoud en aucune façon le problème initial et donne un prétexte aisé pour relancer la polémique au lieu de la clore.

Cet épisode vient nous rappeler que l’excès de conciliation entraîne parfois celui qui s’y essaye dans des entrelacs byzantins dont on ne ressort jamais indemne. Dit autrement, en essayant de rester sur la défensive avec une position qui  tente de rappeler le in medio stat virtus, on est sûr de finir sur le banc des accusés.

En l’espèce, et comme l’a d’ailleurs rappelé Audrey Pulvar au début de son intervention, ces débats ne concernent pas les domiciles privés. Et rien ne devrait permettre « d’interdire » l’accès à un lieu public à une personne en raison de sa couleur de peau ou de son sexe, mais pour autant ce n’est pas au législateur ou au Gouvernement de décider des modalités de tenue de réunions dans tous les lieux qui ne sont pas des domiciles privés en France…

Dans Le Misanthrope, Oronte rappelle à son ami Alceste : « A force de sagesse on peut être blâmable »…

Cet épisode-ci montre qu’à force de nuance, on finit par être jugé coupable. A tort très certainement.

 

(1) Librio Philosophie – novembre 2017

Pour lire les autres chroniques de Guillaume Prigent, c’est par ici.

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