Baignades urbaines : le grand plouf
L’été 2017 a vu la popularisation d’un phénomène encore difficile à concevoir il y a seulement quelques années de ça : le retour des baignades urbaines. Des bassins de la Villette jusqu’aux bords de la Marne, l’engouement pour piquer une tête dans les canaux et fleuves est réel. Alors, simple phénomène de mode ou tendance de fond ?
15 mai 1990, Jacques Chirac, alors maire de Paris, est l’invité de La Marche du Siècle sur France 3. Peu avare en promesses, il déclare sans ciller : « Dans trois ans, j’irai me baigner dans la Seine devant témoins pour prouver que la Seine est devenue un fleuve propre » ! Si l’image de l’ancien président se baignant en maillot de bain dans la seine est séduisante, celle-ci ne verra hélas jamais le jour et l’idée de se baigner au bas des immeubles haussmanniens est longtemps restée un fantasme ou une promesse d’homme politique en campagne. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas, au début des années 1900, la Seine et les fleuves avoisinants étaient particulièrement appréciés des Franciliens qui les prenaient d’assaut à chaque épisode de chaleur. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les 12 km de la traversée de Paris à la nage (entre le pont National et le pont de Garigliano) sont l’une des épreuves de natation mythique parmi les plus populaires. Même la libération de Paris en 1945 voit s’organiser des concours sauvages de plongeons dans la Seine depuis le pont d’Iéna pour célébrer la victoire. Mais avec l’industrialisation croissante, la qualité de l’eau va rapidement se détériorer et les interdictions de baignade se mettent en place (en 1923 pour la Seine bien que les baignades continuent jusque dans les années 50 et en 1970 pour la Marne). Peu à peu, les Franciliens oublient la longue tradition de baignades en fleuves durant l’été, aussi lorsque Anne Hidalgo présente son plan « nager à Paris » en 2014, beaucoup restent dubitatifs…
Le bassin de la Villette : première étape
Force est de constater que trois ans plus tard les choses évoluent dans le bon sens. Si la Seine baignable reste encore au stade d’objectif à atteindre, la mairie de Paris a inauguré le 17 juillet dernier trois espaces au sein du bassin de la Villette permettant de piquer une tête dans le canal de l’Ourcq. Le résultat d’un travail sur la durée qui a évidemment demandé l’amélioration de la qualité de l’eau, mais a aussi nécessité de convaincre les Parisiens d’entrer plus que leurs doigts de pieds dans l’eau du canal. Avec son Laboratoire des baignades urbaines expérimentales, Alexandre Voyer a largement participé à faire changer les mentalités. Accompagné d’un groupe de nageurs motivés, il organise depuis 2012 des sessions de baignades dans les canaux de Paris : « Au début les gens nous applaudissaient quand on piquait une tête, maintenant ils y vont tout seuls », remarque-t-il. En photographiant ces moments, ses clichés publiés sur les réseaux sociaux et par de grands médias ont fait le tour du monde. L’ouverture de la zone surveillée sur le bassin de la Villette a probablement fait disparaître une part du romantisme lié à l’exercice de la baignade sauvage, mais elle a dans le même temps permis de démocratiser la pratique et de l’ouvrir à tous. Car pour la mairie de Paris cette politique s’inscrit également dans un plan d’adaptation au changement climatique. « Avec l’augmentation des épisodes caniculaires, nous essayons de créer des îlots de fraîcheur dans la ville et les bassins de la Villette ont aussi été pensés dans cette optique », explique Christophe Ribet, collaborateur de Célia Blauel, adjointe au maire chargée de l’environnement. Pour lui, cet engouement pour les baignades urbaines dépasse le phénomène de mode et s’inscrit dans un mouvement plus large de redécouverte de notre environnement. « Depuis une vingtaine d’années les Parisiens ont progressivement redécouvert les cours d’eau et les canaux, on peut le voir avec le phénomène des pique-niques le long des canaux : les gens souhaitent retrouver un espace apaisé et plus frais ». Afin d’assurer la qualité de l’eau, trois prélèvements sont effectués quotidiennement et un quota de 1 000 personnes par jour est fixé pour éviter que les baigneurs ne contaminent eux-mêmes l’eau du bassin. « Au contraire de la Seine l’eau était déjà relativement propre et de bonne qualité au départ, nous avons donc principalement veillé au rejet des bateaux et obligé les bateaux à se raccorder au réseau d’assainissement et à installer des cuves pour les eaux grises et eaux noires », assure Christophe Ribet. L’opération qui a globalement été un succès (à l’exception de quelques jours de fermeture après les épisodes de fortes pluies) sera reconduite en 2018 de la mi-juin à septembre. Prochaine étape pour la mairie : le projet d’une piscine écologique dans le lac de Daumesnil, au sein du parc de Vincennes avec un traitement de phytoépuration par les plantes pour l’échéance 2019. Le vrai défi reste cependant de rendre la Seine baignable, et avec l’accueil des JO 2024 désormais acquis pour Paris, l’enjeu est d’autant plus important.
Sur les berges de la Marne
Mais Paris n’est pas seule à vouloir ramener l’élément aquatique dans la vie de ses citadins. À Champigny-sur-Marne (94), Bry-sur-Marne (94) ou Joinville-le-Pont (94), les initiatives se multiplient pour retrouver le plaisir des baignades dans la Marne. Le 9 juillet dernier, c’était Saint-Maur-des-Fossés (94) qui organisait son Big Jump pour fêter la Journée européenne de la baignade en rivière et lac : promenades en canoë-kayak, découverte du paddle et piste de ventriglisse étaient organisées pour attirer le plus grand nombre. À la sortie de l’eau, transats et groupe de jazz juxtaposent les stands pédagogiques installés sur les berges pour en apprendre plus sur la qualité de l’eau et son impact sur la faune et la flore. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que le maire de la commune, Sylvain Berrios, est aussi président du syndicat Marne Vive qui se bat depuis une vingtaine d’années pour la préservation et l’amélioration du bassin de la Marne. Pour les Petites Affiches, il a accepté de nous en dire plus sur son combat pour faire autoriser la baignade dans la Marne et la transformer en un lieu de vie et de partage.
Le Big Jump
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Les Petites Affiches – L’intérêt pour l’élément aquatique semble avoir disparu pendant une longue période, comment expliquez ce soudain regain d’intérêt ?
Sylvain Berrios – En réalité, nous avons assisté à plusieurs phases historiques sur le fleuve et la rivière. Au début du siècle dernier, les bords de Seine et de la Marne étaient des lieux de grande qualité dans lesquels on se baignait. Peu à peu, l’industrialisation a empiété sur la baignade et la convivialité initiale de ces lieux, d’une Marne baignade on est donc passé à une Marne industrieuse stérile et polluée. On garde encore en mémoire les images catastrophiques de poissons qui nagent sur le dos. Ces images ont au moins permis une prise de conscience environnementale au milieu des années 1980. On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas entièrement tourner le dos à un élément fondateur de notre géographie. Il était capital de réaliser que soigner l’eau signifie également soigner le territoire et maîtriser l’urbanisation dans ce qu’elle comporte de respect de l’environnement. C’est à ce moment-là qu’est né le syndicat mixte Marne Vive avec lequel nous nous battons pour un retour à la baignade et une maîtrise des rejets industriels et des rejets liés aux eaux usées.
LPA – Y a-t-il eu une accélération de ce processus au cours des dernières années ?
S. B. – Sur la Marne, nous avons beaucoup travaillé sur l’assainissement afin que les normes industrielles soient acquises, c’est-à-dire l’interdiction du rejet dans la rivière des eaux usées. Les villes se sont peu à peu mises en mouvement pour que l’assainissement soit un élément concret de leur politique. Il s’agit d’un travail de longue haleine sur 30 ans qui porte aujourd’hui ses fruits puisque nous avons atteint une qualité d’eau qui rend la Marne baignable. L’impression d’accélération est probablement due à l’événement planétaire des Jeux olympiques 2024, événement sur lequel je n’ai pas hésité à m’appuyer en tant que vice-président de la métropole pour porter cet objectif de baignade.
LPA – Comment la ville de Saint-Maur-des-Fossés s’implique-t-elle dans cette reconquête de la Marne par ses habitants ?
S. B. – La première chose a été de veiller au respect de ces berges du bord de Marne, de leurs faune et flore, puis de les aménager. La partie du travail la plus importante a été réalisée sur le volet assainissement, nous avons mis en place un réseau d’eau usée extrêmement performant. Nous sommes maintenant dans la dernière étape : celle de se tourner vers la Marne et de reprendre la tradition de baignade. Les habitants se baignent déjà et sont précurseurs de cette tendance, c’est un fait indéniable et la pratique est finalement venue avant la politique. Depuis la fin de l’année scolaire, j’ai de jeunes collégiens et lycéens qui se donnent rendez-vous chaque jour au panneau « Baignade interdite » pour aller nager dans la Marne. Et les activités sont multiples : on a du canoë, du kayak, du paddle… On redécouvre notre rivière et on se rend compte que baignade et navigation ne sont pas incompatibles.
LPA – La baignade reste interdite depuis 1970, quelles sont les conditions qui permettraient de lever cette interdiction ?
S. B. – En effet, la préfecture refuse pour l’instant de revoir cet arrêté. Les conditions sont pourtant remplies puisque nous sommes dans une eau propre et qui respecte les seuils bactériologiques exigés par la réglementation européenne pour une eau baignable. Au moment où je vous parle, la Marne est baignable, je m’y suis moi-même baigné et nous pourrions très bien envisager un arrêté préfectoral l’autorisant sur des périodes définies. Je ne vois pas de réels obstacles à part celle d’une autorité qui n’a pour l’instant pas pris la mesure des choses. Mais je pense que la volonté des habitants fera évoluer la situation.
LPA – En dehors de Saint-Maur-des-Fossés, quelles sont les autres communes du Grand Paris à vouloir développer les activités aquatiques ?
S. B. – Le syndicat mixte Marne Vive couvre plus de 1,2 million d’habitants. Nous avons identifié sept lieux de baignades que nous dévoilerons en octobre prochain. Et au sein de la Métropole du Grand Paris, nous faisons en sorte de prolonger ce travail sur la Seine. On parle beaucoup du bassin de la Villette qui a été ouvert à la baignade, je tiens à ce titre à rappeler qu’il est alimenté par l’eau de la Marne. On peut aussi parler de Joinville-le-Pont, Champigny-sur-Marne ou Nogent-sur-Marne, toutes ces villes-là participent elles aussi à l’effort collectif depuis 30 ans. Le syndicat mixte Marne Vive porte l’ambition et les moyens, il contribue aux études et au financement avec l’agence de l’Eau et a rassemblé les communes autour de cet objectif de baignade.
LPA – Vous organisiez le forum « Objectif baignade » le 6 juillet dernier avec le syndicat Marne Vive, quels ont été les enseignements de cette journée ?
S. B. – Nous avons expliqué pourquoi la baignade est un objectif qui emporte tous les autres. Il emporte la qualité, potabilité et même la sécurité puisqu’il signifie que l’on a anticipé les risques d’inondation. Il était aussi intéressant de constater qu’il existe de nombreuses autres capitales européennes où l’on se baigne, cela signifie qu’il s’agit d’un mouvement européen de fond où les métropoles redécouvrent leurs fleuves et rivières. Les entreprises françaises ont d’ailleurs une carte à jouer en la matière et une capacité à porter au niveau mondial des techniques exemplaires.
LPA – Est-ce que cela peut aussi être un moyen de recréer du lien social ?
S. B. – J’en suis persuadé ! Nous avons tourné le dos à nos rivières et nos fleuves pour vivre à l’intérieur des terres alors qu’ils étaient une source de développement touristique économique et urbain. Il faut se promener au bord de la Marne et de la Seine pour comprendre l’engouement que ce soit pour se baigner, manger en terrasse dans un restaurant au bord de l’eau. On y vit, on s’y prélasse… C’est un élément exceptionnel de bien vivre en métropole ! Je suis donc particulièrement fier d’œuvrer à cet objectif depuis 30 ans, car nous touchons enfin du doigt cette conjugaison des ambitions et des usages.