Explosion rue de Trévise à Paris : « Les investigations nécessaires ont été réalisées » estime Me Clarisse Serre

Publié le 05/01/2022

Estimée « incompréhensible » par des parties civiles et la Ville de Paris, la décision des juges de clôturer l’instruction de l’explosion survenue rue de Trévise (IXe arrondissement) est pourtant fondée en droit. Selon Me Clarisse Serre, avocate de victimes, « les investigations nécessaires ont été réalisées » et « rien n’empêche l’examen des appels interjetés et des nullités soulevées ».

explosion rue de Trévise
Explosion rue de Trévise (Crédits : DR)

 

En vertu de l’article 175 du Code de procédure pénale (1), les trois juges d’instruction du pôle spécialisé en matière d’accidents collectifs de Paris (il en existe un second à Marseille) ont signifié, le 13 décembre dernier aux différentes parties, la clôture du dossier de l’explosion qui a dévasté la rue de Trévise samedi 12 janvier 2019. Cette déflagration comparable à la mise à feu de 30 kilos d’explosifs a tué deux pompiers, une touriste espagnole et une infirmière ; 66 hommes et femmes ont été blessés. Notamment Inès, une étudiante en droit de 25 ans qui subira, ce 5 janvier, sa 42e opération chirurgicale. Le drame a aussi privé de toit quelque 400 riverains, dont la majorité attend de réintégrer son logement, trois ans après les faits.

L’ordonnance des magistrats est « étayée et motivée »

La notification de l’article 175 avant l’examen de l’appel formé par la Ville de Paris, qui sera plaidé devant la chambre de l’instruction le 26 janvier, a suscité « l’incompréhension » de Me Sabrina Goldman, défenseure de la municipalité mise en examen en septembre 2020. La mairie est poursuivie pour « homicides et blessures involontaires ; destruction, dégradation ou détérioration par l’effet d’une explosion ou d’un incendie ». Le syndic de copropriété du 6, rue de Trévise (Société CIPA), où le sinistre s’est produit, est mis en cause sous les mêmes chefs de prévention. L’entreprise Fayolle, qui a effectué des travaux à la demande de la Voierie, a bénéficié du statut intermédiaire de témoin assisté. Enfin, contre le distributeur de gaz GRDF, dont la canalisation a cédé sous l’effondrement du trottoir, aucune charge n’a été retenue dans la procédure pénale, ce qui déçoit des victimes. Mais il y a aussi une procédure civile. « Il faut que les victimes comprennent que l’une et l’autre sont distinctes. Les mécanismes juridiques de responsabilité sont différents entre le civil et le pénal », rappelle Clarisse Serre, l’avocate du Barreau de Seine-Saint-Denis qui représente la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs) et des adhérents de l’association VRET (Victimes et Rescapés de l’Explosion de la rue de Trévise). « Le pénal ne les réconforte pas forcément, ne répond pas à toutes leurs attentes, quand la procédure civile peut, elle, leur ouvrir d’autres droits », précise-t-elle.

Dans un entretien à l’AFP, repris par plusieurs médias, Me Goldman a fait part de sa surprise à l’annonce de la notification de l’article 175 : « Il ne me paraît pas opportun de clôturer l’instruction sans que la cour d’appel ait statué sur la demande de contre-expertise (…) Dans un dossier de cette ampleur et de cette complexité, le minimum est qu’on puisse avoir un avis différent. » Elle pense que « les experts se sont trompés ».

Au contraire, le parquet général près la cour d’appel de Paris estime que l’ordonnance des trois juges en charge de l’affaire est « étayée et motivée ». Le ministère public requerra d’ailleurs le 26 janvier « la confirmation des ordonnances qui ont rejeté les demandes de contre-expertise ». L’avocat général considère qu’elles ne souffrent « aucune critique ». Il ajoute que le collège des quatre experts désignés, et les trois sapiteurs mandés pour les éclairer, étaient « qualifiés dans les spécialités requises ».

La Ville de Paris soumet neuf requêtes à la cour d’appel

 Par la voix de son conseil, la Ville a formé deux recours : contre l’expertise du 8 octobre 2020, puis contre un complément d’expertise rendu le 8 juin 2021. Elle souhaite de nombreuses vérifications : les causes de l’infiltration d’eau dans le sol, le volume d’eau déversé dans le sous-sol après la fuite du collecteur de l’immeuble du numéro 6, la distance entre le collecteur et l’affaissement du trottoir, de nouveaux sondages géotechniques, le calcul de la résistance de la canalisation de gaz et son état, l’éventuelle présence de courants vagabonds (sources de corrosion), l’hypothèse de surcharges sur la voie (par exemple un poids-lourd), la possibilité d’une fuite de gaz à l’intérieur de l’immeuble. Soit neuf requêtes…

A toutes ces questions, les juges et les experts ont précisément répondu. Il est « de bonne guerre de contester leurs conclusions », concède Me Serre. « Libre à mes contradicteurs de faire ce qu’ils veulent devant la chambre de l’instruction. Mais une nouvelle expertise se heurterait à des écueils : il faudra trouver les personnes qualifiées dans de brefs délais. Ensuite, des travaux de réfection ont été effectués ». L’avocate n’envisage pas que la chambre infirme l’ordonnance des juges : « Franchement, une instruction qui dure trois ans, pour une telle affaire et dans un contexte pandémique, c’est rare. Leur rythme de travail, soutenu, a permis d’aboutir à un résultat satisfaisant au regard d’accidents collectifs où les victimes ont attendu des années pour obtenir un jugement définitif [19 ans dans le cas de l’usine AZF, Ndlr]. Ce qu’ont accompli les magistrats et les experts permettra un procès dans un délai raisonnable, peut-être en 2023, sauf si de nouveaux recours sont exercés. »

« Les juges ont rendu une ordonnance précise, argumentée »

 Il reste enfin à purger une nullité soulevée par la société CIPA, arguant de rapports non signés lors de sa mise en examen. Quelle que soit la décision de la cour d’appel, Me Clarisse Serre espère que la mairie ne se pourvoira pas en cassation : « Elle démontrerait alors sa bonne foi. » Aller devant la Cour de cassation ralentirait nécessairement le calendrier et reporterait le procès à 2024. Mais ce pourrait être une option politique pour la Ville qui éviterait dès lors un télescopage avec l’échéance électorale. En effet, dans l’hypothèse où le procureur prendrait ses réquisitions avant la fin du mois de mars, puis que les juges ordonneraient dans la foulée un renvoi devant le tribunal correctionnel, cela gênerait la candidature d’Anne Hidalgo à la présidentielle.

Selon un observateur du monde judiciaire, l’issue serait probablement la même devant la juridiction suprême « car dans ce dossier, les juges ont su faire la part des choses, ils ont rendu une ordonnance précise, argumentée et subtile. Lorsqu’ils ont rejeté des demandes de contre-expertise, ils l’ont fait de manière détaillée ».

En attendant, après plusieurs déconvenues (nos articles des 14, 23 et 28 décembre ici), c’est ce mercredi 5 janvier, en fin de journée, que le médiateur réunira les parties (payeurs et avocats des associations). Avec, pour objectif, la signature de l’accord-cadre qui autorisera le déblocage tant espéré de l’indemnisation des victimes. A sept jours de la troisième commémoration de la tragédie.

 

 

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