Paris (75)

« Les entreprises du tourisme ont une marge de progression »

Publié le 05/10/2021

Le tourisme francilien représente 22 milliards d’euros. Dans ce secteur, très touché par la crise sanitaire, la reprise s’annonce incertaine. Pour la deuxième année consécutive, la saison estivale a été très décevante. Didier Kling, le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France (CCI), appelle les professionnels du tourisme à moderniser leur offre pour relancer l’activité.

Actu-juridique : Comment s’est déroulée la saison estivale de 2021 pour les professionnels du tourisme ?

Didier Kling : D’après l’Office du tourisme et des congrès de Paris (OTCP), il y a eu entre 3,6 et 4,7 millions de touristes dans le Grand Paris entre juin et août 2021. C’est un peu mieux que l’année précédente, où l’on en avait recensé 2,6 millions entre juin et août 2020. C’est en revanche beaucoup moins qu’en 2019, année de référence avant la Covid-19. Plus de 10,2 millions de visiteurs étaient alors présents sur le territoire du Grand Paris. La baisse de la fréquentation touristique est de l’ordre de 60 % entre 2019 et 2021.

AJ : De manière plus générale, quels sont les chiffres du tourisme en Île-de-France, après dix-huit mois de pandémie ?

D.K. : L’impact a été plus fort sur le tourisme que sur l’ensemble de l’activité. Chaque année, nous accueillons 50 millions de touristes en Île-de-France et 80 millions sur le plan national. Cette année, nous en avons perdu en Île-de-France 33 millions, soit près de 80 %. 88 % de la clientèle internationale n’est pas venue en 2020. Les estimations montrent une perte de 15 milliards pour les touristes, dont 11 milliards venant des touristes internationaux. Le château de Versailles ou le musée d’Orsay ont enregistré 76 % de visiteurs de moins que les années précédentes, le Louvre et le Centre Pompidou, 72 %. À la CCI, nous sommes opérateurs des congrès. Nous avons annulé 317 salons sur une année qui aurait dû en compter 350 en moyenne par an. Le choc a été violent en 2020, ainsi qu’au premier trimestre 2021. L’activité des salons redémarre. Nous avons pu organiser Vivatech au mois de juin, mais avec une formule en partie digitale et une jauge à 5 000 personnes.

AJ : Les professionnels du tourisme peuvent-ils rester optimistes ?

D.K. : Il y a, en France et dans le monde, de l’appétit, de l’envie de se déplacer à nouveau. Mais Paris pâtit de la fermeture des frontières, qui vont la priver des flux de touristes américains ou venant du Sud-Est asiatique. La pandémie n’est pas tuée. Avec l’apparition de nouveaux variants, des pays sont amenés à refermer leur frontières, laissant penser que le retour des touristes internationaux n’interviendra peut-être pas avant la fin de l’année. Nous espérons qu’il n’y aura pas une nouvelle vague qui vienne compliquer les choses, même si l’arrivée et la diffusion des vaccins devraient nous épargner de revivre la même situation.

AJ : Que peuvent faire les professionnels du secteur ?

D.K. : La France est le premier pays touristique mondial. Nous avons cependant une marge de progression. Les chiffres montrent, en effet, que beaucoup de touristes viennent dans notre pays mais le traversent en moins de 3 jours. Il faut les retenir. Pour cela, nous avons deux conditions à remplir. Tout d’abord, il faut proposer des circuits touristiques un peu différents. La France a une diversité de sites et d’environnements qui constitue un atout exceptionnel. Nous devons l’optimiser. Il est dommage que les touristes qui viennent à Paris se contentent de voir le château de Versailles et la Tour Eiffel. Il faut, par exemple, les inciter à aller à Giverny suivre les traces des impressionnistes. D’autre part, nous avons certainement des efforts à faire pour faciliter leur venue et leur confort, les accueillir de manière plus aimable. Il est nécessaire qu’on parle leur langue, ou au moins l’anglais, qu’il y ait une consigne où ils puissent déposer facilement leurs bagages. Nous devons également travailler sur l’accessibilité, que ce soit dans les transports en commun ou dans les lieux que fréquentent les touristes. C’est certes compliqué pour les restaurants situés en plein Paris, avec des toilettes au sous-sol, mais les touristes attendent cela. Il faut enfin qu’ils se sentent en sécurité. Quand un visiteur se fait voler son portefeuille, des articles de journaux dans le Sud-Est asiatique relatent l’affaire et disent que la France n’est pas un pays sûr. Nous devons travailler sur ces différents fronts pour que les touristes se sentent bien en France. Dans les enquêtes de satisfaction, un certain nombre d’entre eux nous disent aujourd’hui : « Comme vous avez le plus beau pays du monde, vous ne faites pas beaucoup d’efforts ! ». Pourtant, des progrès ont été accomplis. Aujourd’hui, sur les Champs Elysées, des serveurs parlent anglais. Ce n’était pas le cas, il y a encore quelques années.

AJ : Y’a-t-il des efforts à faire sur le plan sanitaire ?

D.K. : Il faut que le touriste retrouve des conditions sanitaires analogues à celles qu’il connaît chez lui. Lorsqu’il arrive à Roissy, il est soumis à des contrôles sanitaires stricts. Il faut que ceux-ci soit exactement de même qualité lorsqu’il prendra les transports en commun, et pendant tout son séjour. S’il prend un taxi, le chauffeur doit être aimable et dire quelques mots d’anglais, et sa voiture être très propre. Accumulés, ces petits remèdes devraient aider.

AJ : Faut-il développer le numérique ?

D.K. : C’est également un axe sur lequel nous devons travailler. Ne serait-ce qu’en pensant aux modes de paiement. Dans un certain nombre de pays étrangers, la monnaie n’existe plus. Certains touristes ne paient que par carte ou avec d’autres instruments numériques. Ces dispositifs ne sont pas acceptés partout en France. Certes, chaque pays a sa culture. Mais si le touriste ne peut pas payer, c’est tout de même compliqué.

AJ : Quel est, dans ce contexte, le rôle de la Chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France ?

D.K. : La mission d’une CCI est d’aider les commerçants et de chercher les aides dont ils peuvent bénéficier. Nous participons également à la gouvernance d’IDF Mobilités, syndicat des transports en Île-de-France qui organise les déplacements dans le département. Ces projets prennent du temps. Aujourd’hui, chaque département a son office du tourisme. Cela serait sans doute plus simple si les professionnels du secteur pouvaient avoir un seul interlocuteur au niveau national, en capacité de répondre à la fois aux hôteliers des différentes régions et aux bateliers de la Seine. Nous avons fait cette proposition qui semble avoir été reçue avec intérêt par le secrétaire d’État en charge du Tourisme.

AJ : La crise sanitaire peut-elle accélérer la progression de l’offre touristique ?

D.K. : Rien ne change radicalement, et le monde d’après ressemble au monde d’avant. Cependant, les crises profondes, comme celles que nous traversons, permettent souvent d’accélérer les prises de conscience et les évolutions. Les chefs d’entreprises qui n’ont pas travaillé depuis dix-huit mois ont une forte envie de retravailler. Cette période de latence peut également leur avoir donné envie de changer leurs pratiques. Le rôle de la Chambre est de les accompagner sur le plan moral et de leur donner les bons outils.

X