Les évolutions nécessaires en droit du tourisme suite au rapport Huchon de septembre 2016 sur « La destination France après les attentats »

Publié le 06/01/2017

L’attractivité mondiale de la France sur le plan du tourisme culturel et les événements dramatiques liés aux attentats terroristes ont révélé la nécessité d’une réforme profonde du droit du tourisme, esquissée par le rapport Huchon rendu en septembre 2016 et présenté le 25 novembre dernier à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Ce rapport préconise notamment un changement de gouvernance et une évolution de l’accueil des touristes.

La prise en compte des problématiques autour du tourisme a souvent entraîné dans l’opinion commune et la classe politique une absence de prise de sérieux liée à une dispersion des décideurs en la matière au mieux ou au pire d’un défaut de considération à l’égard de l’activité touristique1, jugée peu sérieuse.

Pourtant, la nécessité d’adopter une politique cohérente n’est plus à démontrer compte tenu de l’importance du tourisme hexagonal qualifié de « pétrole de la France », qui représente 7,5 % du PIB et deux millions d’emplois directs ou indirects2 ; la France reste par ailleurs depuis les années 1980 la destination mondiale la plus importante de par l’importance du tourisme culturel et de la richesse de ses territoires, même si en définitive elle arrive en quatrième place en termes de recettes3. Toutefois, « le tourisme nécessite un encadrement juridique d’autant plus précis qu’il assorti une production immatérielle à une distribution de plus en plus dématérialisée »4.

Malgré cela, la France n’a pas adopté de vision d’ensemble au niveau central d’une politique uniforme en matière de tourisme, à la différence de beaucoup d’États notamment européens qui ont adopté une économie du tourisme cohérente au plus haut niveau dotée de moyens importants5, à l’image de l’Espagne ou de l’Angleterre, en développant une politique nationale faite de renforcement des modalités d’accueil des touristes, de puissants partenariats publics/privés et parfois d’une police du tourisme dédiée, comme à Londres.

La manne financière menacée par suite des attentats survenus à Paris et à Nice nécessitait une réflexion préalable à un changement profond de la politique du tourisme et de son code qui parfois n’est qu’une compilation de textes épars.

Le rapport rédigé par Sharon Elbaz et Jean-Paul Huchon en septembre 2016 fut présenté le 25 novembre dernier à l’occasion du petit-déjeuner organisé à l’appartement Decanal par l’Association des juristes et fiscalistes du Master 2 Droit du tourisme de l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Le rapport qui a été remis au Premier ministre esquisse les réformes nécessaires à mener pour améliorer le tourisme et en faire une cause nationale avec à la clé la réforme de son code. Ces solutions portent sur la nécessité préalable d’une stratégie globale (I) et l’amélioration du droit des touristes (II).

I – Sur la nécessité de l’adoption préalable d’une stratégie globale

A – De la faiblesse de la politique actuelle balkanisée et éparpillée institutionnellement

Le paradoxe mis en lumière par le rapport Huchon tient au constat que le tourisme, qui bénéficie d’un potentiel d’attraction très fort, souffre pourtant d’une absence d’organisation chronique et d’une balkanisation de l’économie touristique.

Cet éclatement est le fruit d’une gouvernance atomisée, d’une multiplicité d’organisations professionnelles chacune compétente dans leurs domaines. Cette absence de cohérence aboutit à ce que la France peine à conserver son statut de première destination mondiale et ne peut surtout convertir son statut en recettes sonnantes et trébuchantes6.

La promotion du tourisme relève actuellement d’un opérateur étatique doté de faibles moyens, Atout France, d’opérateurs de collectivités locales (comités régionaux ou départementaux et offices de tourisme) ainsi que de grands groupes privés investissant des sommes importantes pour inviter à la promotion de la destination France7.

À l’heure où le tourisme culturel représente une force essentielle considérable, un plan de relance de la destination France a été adopté par le Gouvernement avec la réunion d’un « comité d’urgence économique ». De même, sous la direction de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, une politique de délivrance de courts visas a permis d’améliorer les tracasseries administratives des ressortissants étrangers notamment asiatiques qui souhaitaient venir consommer en France8.

Pourtant ces efforts restent insuffisants à l’heure des conséquences des attentats et de la nécessité de développer une coordination de l’action publique qui peut se matérialiser par la création d’une cellule de gestion de crise dédiée au tourisme, des actions destinées à protéger la réputation de la destination France et la marque France9.

B – De la réforme nécessaire de la gouvernance

Le point central du rapport tient au changement de la gouvernance liée au développement du tourisme en France. Le rapport propose la mise en place d’une politique ambitieuse au niveau étatique, rompant ainsi avec une gouvernance trop complexe au niveau de l’État et des collectivités locales rendant très hypothétique une politique touristique nationale10.

De même, réformer la gouvernance suppose au préalable la capacité à mieux appréhender la réalité statistique de l’activité touristique en créant un Observatoire national du tourisme. Cette création est nécessaire pour effectuer des baromètres quantitatifs et qualitatifs et permettre des remontées directes d’associations professionnelles pour mieux appréhender les problématiques liées à la réception des touristes et de leurs difficultés11.

De même, une autre idée est de créer une structure de gestion de crise permanente déterminant les actions devant être entreprises par les autorités en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe naturelle et destinées à évaluer les mesures économiques de soutien au secteur12.

De même, une piste essentielle est de développer des partenariats publics/privés en rassemblant ensemble des divers acteurs du tourisme (État, collectivités locales, tours-opérateurs, clientèles précises, commerçants, etc.) destinés à permettre une mutualisation des moyens et des objectifs partagés de promotion mondiale13, faute pour l’État de pourvoir seul aux besoins financiers du secteur.

Plusieurs axes de réflexions de gouvernance restent en suspens et ne sont pas abordés dans le rapport : faut-il, au lieu du rattachement actuel au Quai d’Orsay, nommer un ministre spécial dédié au tourisme ? Un ministre ou un secrétaire d’État délégué au Premier ministre ? Il semble difficile de vouloir renforcer la place de l’État et des collectivités locales sans incarner davantage ce pouvoir. Mais la vraie difficulté est liée à la transversalité de la matière que constitue le tourisme. En effet, le droit du tourisme constitue en soi un domaine à part entière, sans pour autant être doté d’une autonomie propre. Par conséquent, le droit du tourisme se nourrit de tous les autres domaines du droit, ce qui le rend également complexe.

II – Sur l’amélioration nécessaire de la place des touristes

A – Du renforcement de la sécurité des touristes à travers le « tourisme sûr »

Le rapport préconise des améliorations dans l’adoption de mesures de sécurité à travers un plan nommé « tourisme sûr » à l’image du dispositif dont s’est doté l’Espagne en 201114.

La question essentielle est de pouvoir rassurer le touriste sur la situation sécuritaire réelle en France et les conséquences de l’état d’urgence actuellement pratiqué en France.

La difficulté tient à la question des dispositifs à mener à l’heure de la sortie inévitable de l’état d’urgence et de la communication à mener. En effet, l’existence de cet état d’exception au droit est pour beaucoup de touristes un frein à l’idée d’une destination sûre.

Le rapport préconise ainsi d’améliorer la communication faite sur les effectifs mis en place par l’État et ses collectivités et ce afin de rassurer les touristes.

Plus largement, la communication doit intégrer des dispositifs de réponse à la délinquance quotidienne visant les touristes qui peuvent être un frein objectif au développement du tourisme et les moyens mis en place, à l’image des mesures prises par le préfet de Paris au printemps 2013 et qui préconisait quatre axes, à savoir : la présence accrue de policiers dans sept zones touristiques prédéterminées, une campagne de communication en sept langues, un partenariat avec les ambassades des États dont sont originaires les touristes, l’amélioration de l’accueil des victimes étrangères.

Les critiques sur la sécurité des touristes, pas toutes rationnelles dans un contexte post-attentat, doivent être prises en compte dans le cadre d’un plan concerté tendant à un « tourisme sûr ».

B – Sur la nécessaire amélioration future des droits des touristes

On peut regretter que le rapport très complet sur la question de la politique nationale n’insiste pas sur les blocages concrets des touristes et des solutions juridiques à mettre en place.

Ainsi, dans le cadre de l’amélioration de l’accueil, celle-ci ne peut uniquement se faire au moment des questions administratives liées à l’obtention des visas mais doit s’élargir à la question de l’hospitalité, qui demeure un problème pour beaucoup de touristes.

Dans les plans de formation à mettre en place au niveau étatique, il semble nécessaire de prévoir des sessions de formations régulières des commerçants destinées à la qualité du service commercial donné aux touristes. De même, cette formation paraît nécessaire au titre de l’accueil par les chambres d’hôtes, codifié depuis la loi du 14 avril 2006, dont on pourrait penser qu’il conditionne les dispositifs fiscaux avantageux (Censi-Bouvard, qui se termine au 31 décembre 2016), ou le crédit impôt tourisme (communément appelé CIT), permettant de retirer de ce mode d’accueil des touristes un avantage fiscal.

De même, à propos du succès des plates-formes de locations de meublés touristiques telles qu’Airbnb, il apparaît que l’offre quantitative de logements est, en région parisienne, insuffisante en termes de place d’accueil mais également que le rapport qualité/prix est perçu comme médiocre par les touristes. Comment s’étonner qu’avec le prix important des chambres d’hôtels, les touristes soient tentés par ces plates-formes ? Là encore c’est la qualité de l’accueil qui est en cause.

Enfin, une autre suggestion serait de développer les modes alternatifs de règlements des litiges et ainsi renforcer la place du médiateur du tourisme et des voyages en cas de litige, qui aujourd’hui ne rend que des avis.

En effet, les incessants litiges entre les touristes et les compagnies aériennes par suite de retards, grève ou autres pourraient être traités par le médiateur de la République doté de pouvoirs de contraintes plus forts et permettre une amélioration de la qualité du voyage des touristes en France.

La formidable richesse française du tourisme, « pétrole de France », ses 38 sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco, ses 8 000 musées, ses 45 000 monuments historiques classés ou inscrits ne demande qu’à être valorisée par une politique audacieuse menée au niveau national.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Huchon J.-P. et Elbaz S., Rapport au Premier ministre sur la destination France après les attentats. Diagnostic et propositions, sept. 2016, p. 18 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000582.pdf.
  • 2.
    Ibid., p. 13.
  • 3.
    Ibid., p. 13 à 15.
  • 4.
    Jégouzo L., « Le touriste et ses droits », Touriscopie mai 2009 : http://www.avocat-droit-du-tourisme.fr/le-touriste-et-ses droits.pdf.
  • 5.
    Huchon J.-P. et Elbaz S., Rapport au Premier ministre sur la destination France après les attentats. Diagnostic et propositions, préc., p. 18.
  • 6.
    Ibid., p. 4.
  • 7.
    Ibid., p. 8.
  • 8.
    Ibid., p. 20 et 21.
  • 9.
    Ibid., p. 6.
  • 10.
    Ibid., p. 18.
  • 11.
    Ibid., p. 40 à 43.
  • 12.
    Ibid., p. 43 et 44.
  • 13.
    Ibid., p. 59.
  • 14.
    Ibid., p. 56.
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