Seine-Saint-Denis (93)

Philippe Sturm : « La France est une nation de sportifs. Elle n’est pas pour autant une nation sportive » !

Publié le 26/05/2023

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris commenceront le 26 juillet 2024, et se tiendront en partie dans le département de Seine-Saint-Denis (93). Pour le moment, les habitants subissent surtout les nuisances des divers chantiers. Philippe Sturm président du Comité départemental olympique et sportif (CDOS) de la Seine-Saint-Denis (93), espère qu’ils seront l’occasion de développer les pratiques sportives dans le département. Rencontre.

Actu-Juridique : En tant que président du Comité départemental olympique et sportif de la Seine-Saint-Denis, quelles sont vos impressions par rapport à ces Jeux olympiques ?

Philippe Sturm : On se félicite évidemment d’avoir obtenu en 2017 l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Le département de la Seine-Saint-Denis (93) accueillera 35 % des épreuves sportives pour les valides, un peu plus pour les non-valides. La Seine-Saint-Denis espère bénéficier de l’accueil des Jeux. C’est une occasion de changer l’image du 9-3. Nous souffrons dans le département d’une carence en équipements sportifs et en licenciés. La Seine-Saint-Denis, pourtant le département le plus jeune du pays, est aussi celui qui compte le moins de licenciés ! Nous espérons que ces Jeux seront l’occasion d’un rattrapage, que la fracture territoriale et sociale qui pénalise le 93 soit réduite. Le président de la République nous écoute. Nous espérons qu’il nous entend, et que nos revendications porteront au-delà des Jeux de 2024. Ceux-ci vont se finir en septembre 2024. Que se passera-t-il ensuite ? Que va-t-on hériter de cet événement ? Va-t-il changer le regard des gens sur la Seine-Saint-Denis ? Va-t-il y avoir plus de licenciés dans les clubs ? C’est le but aussi… Les Jeux olympiques et paralympiques, c’est pour beaucoup une histoire de fric. Si vous vous déplacez sur le site de Paris 2024, vous verrez des plafonds à 6 mètres de hauteur, beaucoup de bling-bling. Les habitants se fichent de cela. Ils ont beaucoup d’attentes, qui vont bien au-delà. Je suis sur le terrain tous les jours en Seine-Saint-Denis. Quand le bling-bling va disparaître, nous, les habitants, allons rester…

AJ : Quel est votre rôle dans cette préparation des JO ?

Philippe Sturm : Au niveau sportif, tout se joue entre le ministère du Sport et le Comité international olympique. On n’intervient pas beaucoup. Le COJO, le Comité d’organisation, a pris la main. Nous sommes sollicités pour des événements quand ce comité a besoin d’avoir des relais, des réseaux avec les clubs de terrain.

AJ : Parle-t-on assez de la Seine-Saint-Denis à l’occasion de la préparation de ces JO ?

Philippe Sturm : On note une tendance à oublier que la Seine-Saint-Denis faisait partie du projet d’obtention de ces Jeux. On occulte un peu son rôle quand on parle de « Paris 2024 » ! C’est un peu normal : les candidatures auprès du CIO se font au nom d’une ville, et pas d’un groupement de villes. Sur les épreuves qui devaient avoir lieu en Seine-Saint-Denis, certaines ont disparu : le tir a été déplacé, les épreuves de natation ont également été déplacées à l’Arena de La défense. Ce sont des choix politiques que je ne discute pas. Les mouvements sportifs sont consultés mais ils ne sont pas décisionnaires et ont une marge d’intervention limitée.

AJ : Comment les habitants de Seine-Saint-Denis vivent-ils l’arrivée des Jeux ?

Philippe Sturm : Je suis habitant de Saint-Denis depuis toujours. J’habite entre le futur centre nautique, le village des athlètes et la gare du Grand Paris. Je suis tous les jours sur le terrain puisque je suis entraîneur du club de boxe de Saint-Denis. La zone en ce moment est difficile, du fait des nuisances sonores, des embouteillages et de la pollution engendrés par les travaux. Quand j’interroge les habitants qui sont à proximité du village des athlètes, je me rends compte que les JO, cela ne leur parle pas beaucoup. Pour le moment, ils subissent la situation et ne voient pas bien ce qu’elle peut leur apporter. Il va y avoir 6 000 logements construits au village olympique, pour les athlètes et pour le staff. Ils vont être mis ensuite à des prix dont on entend dire qu’ils vont dépasser la moyenne du prix au mètre carré à Saint-Denis. Ces 6 000 appartements vont également apporter des véhicules, au moins un par appartement. 6 000 véhicules en plus par jour dans le quartier, cela va créer des embouteillages… Pendant les JOP, les voies de circulation vont être coupées, il faudra des accréditations. Il faut aussi penser à l’emploi, une des priorités du département, et au développement durable. Les habitants vont-ils profiter de ce développement de l’emploi? Aujourd’hui, ils sont partagés. On a comme référence les JOP de Londres en 2012. Le quartier où se passaient les Jeux avaient vu les prix de l’immobilier multipliés par deux. Les habitants historiques avaient dû plier valise. À Rio, les Jeux olympiques de 2016 n’ont rien changé pour les habitants des favelas, qui sont toujours aussi mal-lotis. Je ne pense pas qu’on en soit là ; mais on a tout de même des craintes et des interrogations.

AJ : Les habitants de Seine-Saint-Denis pourront-ils assister aux Jeux ?

Philippe Sturm : C’est une question que beaucoup se posent aujourd’hui. Il ne faudrait pas que les habitants de Saint-Denis se sentent lésés. Ils ont des épreuves olympiques chez eux, mais vont-ils pouvoir y assister? Il y a eu une polémique sur le prix des billets. Il ne faudrait pas que ça devienne les Jeux des riches, et que les pauvres doivent se contenter de les regarder à la télé. Le département a acheté 40 000 places, des municipalités en ont acheté également. C’est une bonne initiative d’acheter des places si c’est pour les distribuer à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut être vigilant.

AJ : Le département va en tout cas bénéficier de nouveaux équipements. Quels sont-ils ?

Philippe Sturm : De nouveaux équipements sont en effet en construction. Le plan annoncé par le président de la République, c’est 5 000 équipements au niveau national. L’État investit, le département aussi, qui promet d’allouer un euro de plus à chaque euro dépensé par l’État. Le département fait beaucoup de choses pour tirer parti des Jeux. Saint-Denis se taille la part du lion, avec le Stade de France et le stade nautique. Le Bourget accueillera l’escalade. La ville de Bobigny accueillera le Prisme, projet de grande envergure, financé principalement par le département : ce sera un bâtiment unique en Europe, le premier à être vraiment inclusif et à permettre aux personnes handicapées de faire du sport dans de bonnes conditions. À Tremblay-en-France, il y a la construction du Colisée Grand Paris, une grande salle multifonctionnelle de 7 000 places prévue pour accueillir des événements sportifs mais aussi des concerts ou des spectacles. Porte de la Chapelle, l’Arena, une autre salle de 8 000 places, doit être livrée au printemps 2024. D’autres villes du département n’ont en revanche aucune épreuve olympique. Tous ces équipements vont rester. On va avoir trois piscines supplémentaires en Seine-Sant-Denis et on espère qu’elles serviront à l’apprentissage de la nage : dans le département, un enfant sur deux rentre en sixième sans savoir nager ! Quand j’étais enfant, on allait à la piscine en car, il y avait des créneaux horaires stricts à respecter. Tout cela n’a pas tellement évolué en cinquante ans. C’est impossible que des enfants ne sachent pas nager, que cela cause des noyades tous les étés. Comment seront gérés ces équipements appelés à perdurer ? On espère qu’il y aura des tarifs attractifs pour les habitants des villes de Seine-Saint-Denis.

AJ : Qu’attendent les fédérations sportives de Seine-Saint-Denis ?

Philippe Sturm : Cinquante-deux comités sportifs sont affiliés au 93. On espère des retombées dans les clubs. La France est une nation de sportifs, qui a de plus en plus de résultats lors des compétitions internationales. Elle n’est pas pour autant une nation sportive. Il faut inverser le cours des choses en mettant le sport dans le quotidien des habitants. En Seine-Saint-Denis, il y a beaucoup d’obésité, de sédentarité. Le Covid a permis de mettre en évidence le rôle de la pratique sportive dans l’équilibre psychique. Nous espérons amener des licenciés dans nos clubs. La compétition, c’est bien. Mais la pratique quotidienne, c’est encore mieux. Il y a beaucoup de familles monoparentales dans le département. Les femmes seules ont du mal à accompagner les enfants au sport, en plus du travail, du ménage. S’il y avait plus d’équipements, plus facilement accessibles, cela les aiderait. On se prive de toute une génération. Après ces Jeux olympiques, on s’attend à un afflux d’adhérents vers les clubs. Sera-t-on capable d’absorber ce flux de nouveaux licenciés ? Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens et les installations sportives pour les accueillir. En définitive, on s’interroge à savoir si la fracture sociale et territoriale sera réduite par les JO ? ». Affaire à suivre.

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