La qualité des produits dans l’Union européenne. À propos des appellations et indications protégées
L’Union européenne, au-delà des grands débats et interrogations sur sa nature politique, construit, peu à peu, pierre après pierre, un droit protecteur des consommateurs. La qualité des produits en est un exemple par excellence. Les mesures prises en faveur de la reconnaissance de la qualité des produits visent à la fois à protéger les savoir-faire des terroirs de l’Union européenne et à apporter une visibilité aux consommateurs sur la qualité des produits mis à leur disposition.
La philosophie de la construction européenne, fondée initialement sur la réalisation d’une union douanière et d’un marché commun, a entraîné, par l’effet du spill over voulu par les pères fondateurs de l’Europe politique, de nouvelles compétences et de nouvelles exigences. La politique de qualité des produits s’inscrit dans cette logique.
C’est un règlement du Conseil du 20 mars 20061 qui établit les règles relatives à la protection des appellations d’origine et des indications géographiques (AOP et IGP). Ce règlement organise un système d’enregistrement communautaire des dénominations géographiques qui leur assure une protection juridique dans l’Union européenne. Un autre règlement de la même année vise à protéger les spécialités traditionnelles2. Il s’agit du règlement du 20 mars 2006 relatif aux spécialités traditionnelles garanties des produits agricoles et des denrées alimentaires. Il a été modifié par le règlement 2251/2012 entré en vigueur le 3 janvier 2013. Ce règlement modifie le régime adopté six ans plus tôt et fusionne les deux anciens textes au sein d’un cadre juridique unique (cons. 13 et 14). Il modifie et harmonise les dispositions relatives à l’enregistrement, la protection et les contrôles des AOP, IGP et STG, renforce notamment le rôle des groupements chargés de la défense et de la gestion des signes (cons. 57) et introduit un nouveau système de qualité en adoptant les « mentions de qualité facultatives » (cons. 44). Ce règlement ne s’applique qu’aux produits agro-alimentaires dans la mesure où les vins et boissons spiritueuses font l’objet d’une règlementation particulière.
Les textes européens visent ainsi à apporter des définitions précises quant à la qualité des produits (I), permettant la lisibilité grâce à l’inscription dans un registre (II).
I – Des définitions précises quant à la qualité des produits
Deux types d’appellations sont désormais connus et étendues, ce sont les appellations d’origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP) (A), tandis que la notion de spécialité traditionnelle garantie (STG) (B) apporte une reconnaissance davantage axée sur la tradition.
A – Les AOP et IGP
L’appellation d’origine protégée (AOP) désigne un produit dont les principales étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, qui donne ses caractéristiques au produit. C’est un signe européen qui protège le nom du produit dans toute l’Union européenne.
L’appellation d’origine contrôlée (AOC) désigne des produits répondant aux critères de l’AOP et protège la dénomination sur le territoire français. Elle constitue une étape vers l’AOP, désormais signe européen. Elle peut aussi concerner des produits non couverts par la règlementation européenne (cas des produits de la forêt par exemple).
C’est la notion de terroir qui fonde le concept des appellations d’origine. Un terroir est une zone géographique particulière où une production tire son originalité directement des spécificités de son aire de production. Espace délimité dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir-faire collectif de production, le terroir est fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Là se trouvent l’originalité et la typicité du produit.
Les règles d’élaboration d’une AOP sont inscrites dans un cahier des charges et font l’objet de procédures de contrôle, mises en œuvre par un organisme indépendant agréé par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité). Les procédures d’enregistrement sont un peu simplifiées par le règlement de 20123 afin de diminuer les délais très longs que supposait jusqu’ici l’enregistrement de dénominations géographiques (cons. 61). Ainsi, les délais d’examen et d’opposition ont été allégés. La Commission s’engageait, dans l’article 6 du règlement n° 510/2006, à prendre une décision à propos de l’enregistrement de la dénomination géographique dans un délai de 12 mois à compter de la réception de la demande et ouvrait au public un délai de 6 mois durant lequel toute personne ayant un intérêt légitime pouvait formuler une opposition à l’enregistrement (règl.n° 510/2006, art. 7). Ces délais ont été respectivement portés à 6 et 3 mois avec la nouvelle règlementation (règl. n° 1151/2012, art. 8 et 9).
Par ailleurs, l’enregistrement de dénominations géographiques transfrontalières a été facilité (cons. 62). Ces noms géographiques dont l’aire couvre plusieurs territoires nationaux feront l’objet de dispositions spécifiques qui n’apparaîtront que dans des « actes délégués définissant les règles d’exécution » notamment relatifs aux délais nationaux d’opposition qui courront sur les territoires concernés (règl. n° 1151/2012, art. 49, § 7).
En outre, l’enregistrement de dénominations géographiques d’États tiers a été simplifié (cons. 59) pour les indications géographiques déjà protégées dans l’Union européenne en vertu d’un accord auquel l’Union est partie qui seront automatiquement inscrites le registre des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées (règl. n° 510/2012, art. 11, § 2).
La question de la portée des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées est au cœur de ce règlement et il faut noter plusieurs changements importants par rapport aux règles édictées en 2006. Il faut en premier lieu citer la question très débattue de l’utilisation de dénominations géographiques dans la composition d’un produit a été tranchée et il est ainsi désormais très explicitement interdit d’utiliser ou d’imiter un produit bénéficiant d’un de ces signes de qualité « y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédient » (règl. n° 1151/2012, art. 13, § 1, a et b). De nombreuses affaires mettaient en effet en cause la mention sur certains produits de la présence dans leur composition, d’une dénomination géographique protégée au titre des AOP ou IGP. Cela a par exemple été le cas du « Foie gras de canard aux deux poivres et au Champagne » (TGI Paris, 15 mars 2012, n° 11/04203), des sandwichs « Mc Cheese », recette au Beaufort fondu, sauce au Reblochon et sauce à la tomme de Savoie fondue, proposés à la vente par McDonald’s4 ainsi que du « Saint-Môret au Roquefort5 ».
Ensuite, la question de l’utilisation d’un terme générique intégré à une AOP ou une IGP a été soulevée à plusieurs reprises et est tranchée par le nouveau règlement. La question qui se posait était la suivante : lorsqu’un signe géographique comprend plusieurs mots, est-ce que tous font chacun l’objet de la même protection ? Jusqu’ici, le droit français estimait que chaque mot était protégé de manière autonome et que, par conséquent, il n’était pas possible d’utiliser l’un des mots composant le signe de qualité. Mais le règlement n° 1151/2012 revient sur cette position (art. 13, § 1, al. 2). Ainsi, la décision qui a conduit à interdire l’utilisation du mot « Fourme » en dehors de l’appellation d’origine « Fourme d’Ambert »6, de même que l’arrêt condamnant l’utilisation de la dénomination « Époisse » autrement que dans l’appellation « Époisse de Bourgogne »7, ne pourraient plus être rendus sous l’empire de la nouvelle législation.
En ce qui concerne les contrôles, on peut aussi souligner quelques changements. Il faut citer en premier lieu un point important qui concerne ce que l’on appelle les coûts de contrôle. Traditionnellement, ces coûts étaient à la charge des opérateurs bénéficiant des signes de qualité (règl. n° 510/2006, art. 11, § 1, al. 2). Le nouvel article 37, § 1, alinéa 2, dispose désormais que les coûts de contrôle « peuvent être supportés par les opérateurs », mais poursuit en précisant que « les États peuvent aussi contribuer à la prise en charge de ces coûts ». L’autre modification est plus formelle. La plupart des dispositions relatives aux contrôles dans le règlement n° 510/2006 renvoyaient au règlement n° 882/2004 relatif aux contrôles officiels applicable aux signes de qualité. Plusieurs dispositions figurent désormais dans le nouveau règlement et notamment celles concernant la nature de la mission des États membres et les possibilités de délégations de ce pouvoir de contrôle (règl. n° 1151/2006, art. 38 et 39).
Enfin, les moyens de défense des deux signes ont été renforcés. D’abord, le nouveau règlement rend obligatoire l’utilisation des mentions, symboles et logos des AOP et des IGP (cons. 28) et en précise les conditions et obligations. Il ajoute également plusieurs dispositions relatives notamment à la reproduction sur l’étiquetage de la représentation de l’aire géographique du produit (règl. n° 1151/2012, art. 12, § 4) ou à l’emploi de marques collectives géographiques (règl. n° 1151/2012, art. 12, § 5). Ensuite, l’article 13, § 3, prévoit que les États doivent prendre les mesures nécessaires à la protection des dénominations géographiques protégées, ce que ne faisait pas le règlement n° 510/20068. En somme il s’agit d’un règlement qui reprend les bases juridiques préexistantes en rassemble des règles relatives tant aux AOP et OGP qu’aux spécialités traditionnelles garanties (STG).
B – Les STG
S’agissant des « STG », ou spécialités traditionnelles garanties, le règlement initial de 2006 apporte les définitions suivantes : la « spécificité » vise la caractéristique ou l’ensemble de caractéristiques par lesquelles un produit agricole ou une denrée alimentaire se distingue nettement d’autres produits ou denrées similaires appartenant à la même catégorie. L’adjectif « traditionnel » correspond à la manière dont l’utilisation sur le marché communautaire pendant une période faisant apparaître une transmission entre générations a été prouvée ; cette période devrait correspondre à la durée généralement attribuée à une génération humaine, à savoir au moins vingt-cinq ans. La « spécialité traditionnelle garantie » désigne un produit agricole ou une denrée alimentaire traditionnel dont la Communauté a reconnu la spécificité par son enregistrement conformément au règlement. Le « groupement » désigne toute organisation, quelle que soit sa forme juridique ou sa composition, de producteurs ou de transformateurs concernés par le même produit agricole ou la même denrée alimentaire. Ces caractéristiques peuvent être liées aux propriétés intrinsèques du produit telles que ses propriétés physiques, chimiques, microbiologiques ou organoleptiques, à sa méthode de production ou à des conditions spécifiques qui prévalent durant la production. La présentation d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire n’est pas considérée comme une caractéristique au sens du règlement.
De même, la spécificité ne peut se limiter ni à une composition qualitative ou quantitative, ni à un mode de production prévu par la législation européenne ou nationale, ni à des normes établies par des organismes de normalisation, ou par des normes volontaires ; cependant, cette disposition ne s’applique pas lorsque la législation ou les normes considérées ont été établies pour définir la spécificité d’un produit.
La Commission tient un registre des spécialités traditionnelles garanties reconnues au niveau européen conformément au règlement de 2006. Le registre comprend deux listes de spécialités traditionnelles garanties, selon que l’usage du nom du produit ou de la denrée alimentaire est réservé ou non aux producteurs qui respectent le cahier des charges. Le règlement précité adopté en 2012 reprend ce principe.
Pour figurer au registre précité, un produit agricole ou une denrée alimentaire doit, soit être produit à partir de matières premières traditionnelles, soit se caractériser par une composition traditionnelle ou par un mode de production et/ou de transformation correspondant à un type de production et/ou de transformation traditionnel. Ne peut être enregistré un produit agricole ou une denrée alimentaire dont la spécificité réside dans la provenance ou l’origine géographique. Cependant, l’utilisation de termes géographiques dans les noms est autorisée. Le règlement pose plusieurs obligations pour l’enregistrement d’un nom. Pour être enregistré, le nom, soit est spécifique en soi, soit exprime la spécificité du produit agricole ou de la denrée alimentaire. Le nom spécifique est traditionnel et conforme à des dispositions nationales ou est consacré par l’usage.
Ne peut être enregistré un nom exprimant la spécificité, qui fait référence uniquement à des allégations d’ordre général utilisées pour un ensemble de produits agricoles ou de denrées alimentaires ou à celles prévues par une réglementation européenne particulière ; est trompeur un nom qui fait référence à une caractéristique évidente du produit ou à une caractéristique ne correspondant pas au cahier des charges, et qui risque ainsi d’induire le consommateur en erreur quant aux caractéristiques du produit.
Le nom d’une variété végétale ou d’une race animale peut être utilisé dans le nom d’une spécialité traditionnelle garantie, à condition qu’il n’induise pas en erreur quant à la nature du produit.
Un cahier des charges est prévu par le règlement de 2006, avec des exigences renforcées par le règlement de 2012, comme on l’a évoqué plus haut. Celui-ci doit être respecté pour être reconnu en tant que spécialité traditionnelle garantie (STG), par un produit agricole ou une denrée alimentaire. Ce cahier des charges doit comporter une série d’éléments. En premier lieu doit être mentionné le nom ainsi qu’une mention indiquant si le groupement demande l’enregistrement avec ou sans réservation du nom sachant que pour les noms dont l’enregistrement est demandé dans une seule langue, le groupement peut prévoir dans le cahier des charges que, lors de la commercialisation du produit, il est possible de faire figurer sur l’étiquette, outre le nom du produit dans la langue originale, une mention dans les autres langues officielles précisant que le produit a été obtenu conformément à la tradition de la région, de l’État membre ou du pays tiers dont la demande émane. Doit aussi être mentionnée la description du produit agricole ou de la denrée alimentaire, avec indication de ses principales propriétés physiques, chimiques, microbiologiques ou organoleptiques ; la description de la méthode de production à appliquer par les producteurs, y compris, le cas échéant, la nature et les caractéristiques des matières premières ou des ingrédients utilisés et la méthode d’élaboration du produit agricole ou de la denrée alimentaire ; ainsi que les caractéristiques essentielles de la spécificité du produit ainsi que les éléments essentiels qui prouvent son caractère traditionnel.
Une fois le cahier des charges rempli, le demandeur doit suivre une procédure définie par le règlement. En premier lieu, seul un groupement, émanant d’un ou plusieurs États membres, peut déposer une demande d’enregistrement auprès d’un des États de résidence du groupement, qui transmet à la Commission s’il estime le cahier des charges rempli. Un groupement établi dans un État tiers peut déposer une demande directement à la Commission afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions fixées au présent règlement. Cet examen ne devrait pas durer plus de douze mois. Chaque mois, la Commission rend publique la liste des noms ayant fait l’objet d’une demande d’enregistrement, ainsi que la date de leur dépôt auprès de la Commission. Cette dernière décide de publier les demandes acceptées au Journal officiel de l’Union européenne. Des demandes d’oppositions peuvent être présentées devant la Commission, qui organise des échanges de vue et tranche. Lorsqu’un produit est accepté comme étant porteur d’une spécialité traditionnelle garantie, il est publié au Journal officiel de l’Union européenne.
La Commission veille à ce que le cahier des charges soit respecté, sans quoi elle peut procéder à l’annulation de l’inscription. Ainsi, si elle estime que le respect des conditions du cahier des charges d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire enregistré comme spécialité traditionnelle garantie n’est plus assuré, elle engage une procédure en vue de l’annulation de l’enregistrement, qui fait l’objet d’une publication au Journal officiel de l’Union européenne.
Lorsqu’il est fait référence à une spécialité traditionnelle garantie sur l’étiquetage d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire fabriqué(e) sur le territoire européen, le nom enregistré accompagné soit du symbole communautaire soit de la mention « spécialité traditionnelle garantie » y figurent. La mention est facultative sur l’étiquetage des spécialités traditionnelles garanties produites en dehors du territoire européen.
Le contrôle du respect des engagements a posteriori est concrètement décentralisé au sens où il est exercé par les États membres. Les États membres désignent ainsi la ou les autorités compétentes qui sont responsables des contrôles relatifs aux exigences établies par le règlement. Les États membres veillent à ce que tout opérateur qui respecte les dispositions du règlement ait le droit de bénéficier d’un système de contrôles officiels. La Commission, quant à elle, rend publics et actualise périodiquement le nom et l’adresse des autorités et organismes concernés.
Les États membres prennent les mesures nécessaires pour garantir une protection juridique contre toute utilisation abusive ou trompeuse de la mention « spécialité traditionnelle garantie », de l’abréviation « STG » et du symbole européen associé, ainsi que contre toute imitation des noms enregistrés et réservés conformément à l’article 13, paragraphe 2. Les noms enregistrés sont protégés contre toute pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur, notamment les pratiques donnant à penser que le produit agricole ou la denrée alimentaire est une spécialité traditionnelle garantie reconnue par la Communauté. Les États membres prennent toutes les mesures utiles pour s’assurer que les dénominations de vente utilisées au niveau national ne puissent pas être confondues avec les noms enregistrés et réservés conformément au règlement.
En somme, le règlement de 20129 modifie et harmonise les dispositions relatives à l’enregistrement, la protection et les contrôles des AOP, IGP et STG, renforce notamment le rôle des groupements chargés de la défense et de la gestion des signes (cons. 57) et introduit un nouveau système de qualité en adoptant les « mentions de qualité facultatives » (cons. 44). Ce règlement ne s’applique qu’aux produits agro-alimentaires dans la mesure où les vins et boissons spiritueuses font l’objet d’une règlementation particulière.
Le point commun de ces diverses procédures tient dans l’existence de cahiers des charges avec contrôle pointu, ainsi que l’ouverture de procédures d’opposition. Pour l’illustrer de manière concrète, on peut citer un exemple récent publié au Journal officiel de la République française ; ainsi au Journal officiel du 28 décembre 2016 était publiée l’information suivante : « L’organisme de défense et de gestion de l’indication géographique “Génépi des Alpes” a déposé, en application de l’article L. 641-11-1 du Code rural et de la pêche maritime, auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) une demande de modification du cahier des charges de l’indication géographique “Génépi des Alpes”. En réponse aux observations de la Commission européenne formulées dans le cadre de son examen de la fiche technique de cette indication géographique établie, les modifications envisagées du cahier des charges de l’indication géographique “Génépi des Alpes” sont soumises à une procédure nationale d’opposition d’une durée de quinze jours, à compter de la publication du présent avis au Journal officiel de la République française. Le projet de cahier des charges de l’indication géographique “Génépi des Alpes” peut être consulté dans le délai prévu ci-dessus : sur rendez-vous à l’Institut national de l’origine et de la qualité : INAO, 12, rue Henri-Rol-Tanguy, 93100 Montreuil-sous-Bois ; INAO, 37 boulevard Henri-Dunant, 71040 Mâcon ; ou sur le site internet de l’INAO au lien suivant https://www.inao.gouv.fr/fichier/PNOCDCgenepidesAlpes-20161122.pdf. Pendant ce délai, toute personne ayant un intérêt légitime peut émettre, par courrier, une opposition motivée sur le cahier des charges proposé de l’indication géographique “Génépi des Alpes” auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité, à l’adresse suivante : INAO, 37, boulevard Henri-Dunant, CS 80140, 71040 Mâcon ». Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres. Ainsi sur l’année 2016, en France, on recense une cinquantaine d’avis du même type portant sur des produits variés, allant de la crème d’Isigny, aux rillettes de saumon, en passant par des plants de géranium10. Ces avis portent tant sur la reconnaissance en elle-même d’un produit que sur des modifications apportées aux cahiers des charges.
Une fois les produits reconnus dotés de l’appellation sollicitée, des catalogues dressent la liste des produits concernés. Ce qui permet à la fois la lisibilité de ces démarches qualités et le suivi d’éventuelles modifications.
II – Des catalogues accessibles de produits de qualité
Un registre appelé DOOR recense la liste des produits enregistrés et publiés. Il contient les noms de produits alimentaires enregistrés comme appellation d’origine protégée (AOP), indication géographique protégée (IGP) et spécialité traditionnelle garantie (STG), ainsi que les noms pour lesquels un enregistrement a été demandé. La page du site est interactive et offre un tableau présentant la dénomination du produit, le pays d’appartenance et l’état de l’appellation. Le site indique si la demande est déposée, enregistrée ou publiée. Est aussi inscrit le numéro de la demande de sorte que chacun puisse accéder aux détails. À titre d’illustration, en janvier 2017, plusieurs produits font l’objet de demandes : on trouve notamment pour la France, l’huile d’olive de Corse, le Brillat-Savarin, le Picodon ou encore le cidre breton. Le Royaume-Uni a fait une demande pour des sardines ou une sorte de pain « Welsh Laverbread ». La Turquie est aussi autorisée à faire des demandes d’enregistrement de ses produits en vertu de ses accords avec l’Union européenne.
Les références contenues dans ce registre peuvent porter soit sur des premières demandes soit sur des modifications au cahier des charges. L’ensemble est publié au Journal officiel de l’Union européenne. Ainsi par exemple, à propos du fromage Picodon, on peut lire les éléments suivants de modifications au cahier des charges publié au Journal officiel. Afin de mieux caractériser le produit, il a été précisé que le « Picodon » est en forme de petit palet « à bords arrondis », ce qui est plus précis. En revanche, le caractère « circulaire » du fromage a été retiré, car il est induit par la forme de « palet » de celui-ci. Afin de préserver la flore native du lait et d’approfondir le lien avec l’aire géographique du « Picodon », le type de lait utilisé a été précisé : lait de chèvre entier « cru, non standardisé et non homogénéisé ».
Le « Picodon » est élaboré à partir d’un caillé de type lactique obtenu essentiellement par l’activité des bactéries lactiques, avec utilisation de peu de présure. Ceci caractérise ce fromage, aussi les termes « obtenu par coagulation du lait de chèvre entier avec addition d’une faible quantité de présure », présents dans la rubrique « Méthode d’obtention » ont été ajoutés à la rubrique « Description du produit » et il a été précisé que la coagulation est de type « lactique ».
Les dimensions et le poids du « Picodon » étant jugés en sortie de la phase d’affinage, il a été précisé que ces caractéristiques du fromage s’appliquaient à 12 jours minimum après emprésurage. De façon à rendre compte du fait que la fine croûte du « Picodon » présente des flores variées, la description de son aspect « uniforme ou tacheté, avec des couleurs blanches, ivoires, bleues, grises ou marrons selon le stade d’affinage » a été ajoutée. Cette variété des flores de surface s’observe d’autant plus que la transformation fermière est bien représentée dans cette filière, ce qui signifie une utilisation importante des flores lactiques et flores d’affinage propres à chaque exploitation. De façon à préciser les caractéristiques du produit, la texture « homogène et fine »11.
Le catalogue en ligne « E-bacchus » contient les indications géographiques protégées dans l’Union européenne de vins originaires d’États membres et de pays non membres de l’UE. La base de données « E-Bacchus » consiste en un registre des appellations d’origine et des indications géographiques protégées dans l’Union européenne en vertu du règlement (UE) n° 1308/2013. Elle comporte la liste des indications géographiques et appellations d’origine de pays tiers protégées dans l’Union européenne en application d’accords bilatéraux sur le commerce des vins conclus entre celle-ci et les pays tiers concernés. Elle répertorie les mentions traditionnelles protégées dans l’Union européenne en vertu du règlement (UE) n° 1308/2013.
La base de données « E-Spirit Drinks » contient les indications géographiques protégées dans l’Union européenne pour les boissons spiritueuses originaires d’États membres et de pays non membres de l’UE, ainsi que les nouvelles demandes de protection.
Sur cette base, la Cour de justice de l’Union européenne a eu à se prononcer sur plusieurs litiges, compte tenu des enjeux financiers et de renommée de cette politique de qualité des produits.
Elle a en premier lieu dû apporter des précisions sur les actes susceptibles de recours.
Une affaire concernant la région viticole de Tokaj qui se situe à la fois en Hongrie et en Slovaquie a permis à la cour d’apporter des précisions. À la demande de la Slovaquie, la Commission a inscrit l’appellation d’origine protégée « Vinohradnícka oblasť Tokaj » dans la liste des vins de qualité produits dans des régions déterminées (v.q.p.r.d.). Cette liste, qui a été dressée sur la base des législations nationales régissant les conditions d’utilisation des appellations d’origine contrôlée, a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 17 février 2006, puis le 10 mai 2007.
Le 31 juillet 2009, soit un jour avant l’entrée en vigueur du nouveau régime vitivinicole et l’introduction du « registre électronique des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées relatives aux vins » (base de données « E-Bacchus »), une nouvelle liste de v.q.p.r.d. a été publiée. À cette occasion, l’appellation d’origine protégée publiée dans les listes antérieures a été modifiée, à la demande de la Slovaquie, pour devenir « Tokajská/Tokajské/ Tokajský vinohradnícka oblast’ ».
La base de données E-Bacchus a remplacé la publication des listes des v.q.p.r.d. Conformément à la nouvelle liste du 31 juillet 2009, l’appellation d’origine protégée « Tokajská/Tokajské/ Tokajský vinohradnícka oblast’ » a été reportée dans la base de données E-Bacchus pour désigner le vin provenant de la région viticole de Tokaj en Slovaquie.
Le 30 novembre 2009, la Slovaquie a adressé une lettre à la Commission dans laquelle elle lui demandait de remplacer l’appellation d’origine protégée « Tokajská/Tokajské/Tokajský vinohradnícka oblasť » par « Vinohradnícka oblasť Tokaj » dans la base de données E-Bacchus. À cet égard, la Slovaquie indiquait que l’appellation « Tokajská/Tokajské/Tokajský vinohradnícka oblasť » avait été mise sur la liste des v.q.p.r.d. par erreur et que c’était bien la dénomination « Vinohradnícka oblasť Tokaj » qui figurait dans sa législation nationale.
Après s’être assurée qu’au jour de l’introduction de la base de données E-Bacchus, la législation slovaque en question contenait la dénomination « Vinohradnícka oblasť Tokaj », la Commission a fait droit à la demande de la Slovaquie en modifiant les informations contenues dans la base E-Bacchus.
Toutefois, la Hongrie a contesté cette modification en référence à l’expression « Tokajská vinohradnícka oblasť » figurant dans la nouvelle loi slovaque sur les vins adoptée le 30 juin 2009 et entrée en vigueur le 1er septembre 2009. La Hongrie a alors saisi le Tribunal afin d’obtenir l’annulation de l’inscription de l’appellation d’origine protégée « Vinohradnícka oblasť Tokaj » dans la base de données E-Bacchus.
« Vinohradnícka oblasť Tokaj » était déjà protégée par un règlement de l’Union avant son inscription dans la base de données E-Bacchus, l’inscription en tant que telle n’était pas à même de produire des effets juridiques. Le Tribunal a jugé que le recours introduit par la Hongrie était irrecevable, étant donné qu’il est uniquement compétent, en vertu du traité, pour contrôler la légalité des actes des organes de l’Union destinés à produire des effets juridiques.
La Hongrie a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt du Tribunal.
Dans son arrêt12, la Cour explique, tout d’abord, en s’appuyant notamment sur le contenu et sur le contexte juridique de l’inscription contestée, que le nouveau régime vitivinicole a, pour des motifs de sécurité juridique, prévu un régime transitoire afin de maintenir la protection dont jouissaient les dénominations de vins protégées avant le 1er août 2009 en vertu du droit national et, partant, du droit de l’Union.
Ensuite, la Cour relève que l’inscription par la Commission de ces dénominations de vins dans la base de données E-Bacchus n’a aucune incidence sur la protection dont bénéficient celles-ci au niveau de l’Union en vertu du régime transitoire. En effet, la Commission n’était autorisée ni à octroyer la protection ni à décider de la dénomination de vin qui devait être inscrite dans la base de données E-Bacchus.
Partant, la Cour conclut que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que ces dénominations de vins sont automatiquement protégées depuis le 1er août 2009 en vertu du régime transitoire.
Dans ces circonstances, la Cour, après avoir rappelé que seules les dispositions adoptées par les institutions de l’Union et destinées à produire des effets de droit obligatoires peuvent être attaquées devant les juridictions de l’Union, conclut que l’inscription contestée ne constitue pas un acte attaquable.
Enfin, s’agissant de l’argument de la Hongrie selon lequel la nouvelle réglementation lui permettrait d’introduire un recours à l’encontre des inscriptions effectuées par la Commission dans la base de données E-Bacchus, la Cour juge que le régime transitoire et le nouveau régime de protection ne sont pas comparables si bien qu’ils peuvent être traités de manière différente.
Dans ces conditions, la Cour rejette le pourvoi de la Hongrie dans son intégralité13.
La Cour a encore apporté des précisions sur les conditions optimales de réalisation du cahier des charges eu égard à la nature de chaque produit. Ainsi, par exemple, La Commission a adopté, en 1996, un règlement relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des AOP. Il porte enregistrement, notamment, du fromage italien « Grana Padano » et du jambon italien « Prosciutto di Parma ». Le cahier des charges de l’AOP « Grana Padano » vise expressément le droit italien qui exige que le râpage et l’emballage soient faits dans la région de production. Le cahier des charges de l’AOP « Prosciutto di Parma » exige expressément que le tranchage et l’emballage aient lieu dans la région de production, se référant, sur ce point, également à la loi italienne.
La société française Ravil importe, râpe, préemballe et distribue en France, entre autres, le fromage « Grana Padano », qu’elle commercialise sous la dénomination « Grana Padano râpé frais ». La société italienne Biraghi, producteur du fromage « Grana Padano » en Italie, et la société française Bellon, importateur et distributeur exclusif des produits de Biraghi pour la France, demandent que Ravil cesse toute distribution, en faisant valoir devant les tribunaux français que la loi italienne subordonne l’utilisation de la dénomination Grana Padano à la condition que le râpage et l’emballage soient effectués dans la région de production. La Cour de cassation a posé à la Cour de justice une question préjudicielle sur la compatibilité de la législation italienne avec le droit communautaire (aff. C-469/00). Les supermarchés Asda, au Royaume-Uni, vendent du jambon portant l’appellation « jambon de Parme ». Asda l’achète auprès de Hygrade, qui, à son tour, achète le jambon désossé mais non découpé auprès d’un producteur italien membre du Consorzio del Prosciutto di Parma. Hygrade coupe le jambon en tranches et l’emballe hermétiquement au Royaume-Uni. Le Consorzio del Prosciutto di Parma a introduit au Royaume-Uni une procédure judiciaire contre Asda et Hygrade en demandant qu’elles cessent leurs activités, lesquelles seraient contraires aux règlements applicables au « jambon de Parme ». La House of Lords a posé une question préjudicielle à la Cour de justice sur l’interprétation des règlements communautaires sur l’AOP14.
La Cour souligne, d’abord, que le cahier des charges détermine l’étendue de la protection uniforme que le règlement de 1992 (alors en vigueur) instaure dans la Communauté. Ce règlement ne s’oppose pas à que certaines règles techniques particulières, applicables aux opérations aboutissant à différentes présentations sur le marché d’un même produit, soient déterminées afin de satisfaire les critères de qualité et d’offrir la garantie d’une origine géographique certaine. En conséquence, le râpage, le tranchage et l’emballage du produit peuvent être subordonnés à une exigence de réalisation de ces opérations dans la région de production, dès lors que les conditions correspondantes sont prévues dans le cahier des charges.
Mais la Cour constate aussi que de telles conditions restreignent les courants d’exportation du fromage portant l’AOP « Grana Padano » et du jambon portant l’AOP « jambon de Parme ». En effet, seul le fromage Grana Padano râpé et emballé dans la région de production ainsi que le « jambon de Parme » tranché et emballé dans la région de production conservent leur droit à leurs AOP respectives. Ces conditions constituent donc des mesures d’effet équivalant à une restriction quantitative, interdites par le principe de la libre circulation des marchandises prévu au TFUE. La question était alors de savoir si de telles restrictions pouvaient être justifiées. La Cour rappelle que le TFUE prévoit des exceptions à la libre circulation des marchandises pour des motifs tels que la protection de la propriété industrielle et commerciale.
Elle relève que la législation communautaire manifeste une tendance générale à la mise en valeur de la qualité des produits dans le cadre de la politique agricole commune, afin de favoriser la réputation des produits grâce, notamment, à l’emploi d’AOP. Ces AOP constituent des droits de propriété industrielle et commerciale qui confèrent aux bénéficiaires une protection contre une utilisation abusive desdites appellations par des tiers désirant profiter de la réputation qu’elles ont acquise. C’est ainsi qu’elles visent à garantir que le produit concerné provient d’une zone géographique déterminée et présente certains caractères particuliers très appréciés par les consommateurs. Ainsi les appellations « Grana Padano » et du « jambon de Parme » sont conformes au droit communautaire à condition qu’elles soient nécessaires et proportionnées aux fins de la protection des AOP « Grana Padano » et « jambon de Parme ».
La Cour souligne que le râpage du fromage ainsi que le tranchage du jambon et leur emballage constituent des opérations importantes susceptibles de nuire à la qualité, à l’authenticité et, par suite, à la réputation de l’AOP si ces exigences ne sont pas respectées.
En effet, les cahiers des charges du fromage « Grana Padano » et du « jambon de Parme » fixent des contrôles et des interventions détaillés et rigoureux en vue de préserver la réputation de ces deux produits.
Les AOP de ces produits ne seraient pas protégées d’une manière comparable par une obligation d’informer les consommateurs, imposée aux opérateurs établis en dehors de la région de production, par un étiquetage approprié indiquant que le râpage, le tranchage et l’emballage ont été effectués en dehors de cette région. Il n’existe donc pas de mesures alternatives moins restrictives pour atteindre l’objectif poursuivi.
Toutefois, la Cour constate que la protection conférée par une AOP ne s’étend pas habituellement à des opérations telles que le râpage, le tranchage et l’emballage du produit. La Cour souligne que ces opérations ne sont interdites aux tiers en dehors de la région de production que si cela est prévu expressément dans le cahier des charges. Le principe de sécurité juridique exige une publicité adéquate desdites interdictions – mention dans le règlement de 1996 – afin de les porter à la connaissance des tiers. En l’absence d’une telle publicité, ces interdictions ne peuvent pas être invoquées devant une juridiction nationale15. La Cour de justice a aussi été saisie des juges nationaux en cas de difficulté d’interprétation des textes régissant la qualité des produits. Elle a ainsi pu préciser la compétence étendue de la Commission et l’impossibilité pour un État de changer une dénomination postérieurement à l’enregistrement par la Commission. Il s’agissait d’une question préjudicielle posée par une juridiction française. Le tribunal de grande instance de Dijon avait posé deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation du règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires16. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de procédures pénales poursuivies à l’encontre de deux personnes pour avoir commercialisé, en violation de la réglementation nationale applicable, des fromages en utilisant une appellation d’origine protégée. Était en cause un décret français du 14 mai 1991, relatif à l’appellation d’origine « Époisses de Bourgogne »17, qui a institué cette appellation et a défini les fromages susceptibles d’en bénéficier. Le gouvernement français a demandé l’enregistrement de cette appellation conformément à la procédure simplifiée de l’article 17 du règlement de 1992 et la Commission a procédé à son enregistrement dans le cadre du règlement de 1996. Par un décret du 14 avril 1995, relatif à l’appellation d’origine contrôlée « Époisses » (JORF p. 6271), le décret de 1991 a été modifié, le nom « Époisses de Bourgogne » ayant été remplacé par celui d’« Époisses » dans toutes ses dispositions. Le gouvernement français a indiqué dans ses observations que, par lettre du 25 avril 1997, il avait demandé à la Commission, conformément à l’article 9 du règlement de 1992, une modification du cahier des charges de l’appellation d’origine protégée « Époisses de Bourgogne ». Deux individus, qui étaient des producteurs de fromage qui sont poursuivis pour avoir « utilisé le nom “Époisses”, appellation d’origine protégée créée par le décret de 1995, réservée aux fromages dont les caractéristiques sont définies par le décret de 1991 relatif à l’appellation d’origine “Époisses de Bourgogne” ». Les prévenus au principal n’ont pas contesté l’absence de conformité des produits fabriqués par eux aux exigences de ce dernier décret. Ils ont cependant notamment fait valoir qu’ils pouvaient légalement utiliser la dénomination « Époisses » pour leurs fromages, au motif que le décret de 1995 était contraire au règlement de 1992. Selon eux, ce règlement réserve à la Commission la compétence exclusive pour conférer une protection aux appellations d’origine et interdit aux États membres de légiférer en la matière. Ils ont rappelé qu’ils n’avaient pas contrevenu au décret de 1991 et que la dénomination qui avait été enregistrée conformément à la demande des autorités françaises par le règlement de 1996 était « Époisses de Bourgogne » et non « Époisses ». Le Syndicat de défense de l’Époisses et l’Association nationale d’appellation d’origine laitière française ont contesté l’argumentation tirée de l’illégalité du décret de 1995. Ils ont soutenu que le terme « Époisses » est protégé au même titre que celui « Époisses de Bourgogne ». À cet égard, ils ont notamment renvoyé au règlement de 1996 qui contient en annexe la liste des appellations d’origine protégées ayant été enregistrées. Y figurent, notamment : Époisses de Bourgogne, Camembert de Normandie, Chabichou du Poitou. Concernant ces deux derniers fromages, pris à titre d’exemple, un renvoi en bas de page précise expressément que la protection des termes « chabichou » et « camembert » n’est pas sollicitée. Il résulterait donc d’une interprétation a contrario de l’absence de précision à cet égard que la partie « Époisses » de l’appellation « Époisses de Bourgogne » serait protégée en tant que telle. Dans ces conditions, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : « En premier lieu, le règlement n° 2081/92, du 14 juillet 1992, exclut-il, à compter de son entrée en vigueur, toute compétence résiduelle des États membres pour modifier une appellation d’origine préexistante ? En second lieu, les indications figurant sous forme de renvois en bas de page de l’annexe du règlement n° 1107/96, du 12 juin 1996, constituent-elles une liste exhaustive des parties de dénominations comprenant plusieurs termes, exclues de la protection ? ».
La Cour a apporté une réponse très protectrice de la compétence de la Commission européenne. En premier lieu, la Cour indique que le règlement de 1992 a instauré l’obligation d’enregistrement communautaire des dénominations géographiques pour que ces dernières puissent bénéficier d’une protection dans tout État membre et a défini le cadre communautaire appelé à régir désormais cette protection, qui ne s’obtient qu’à l’issue d’une procédure contraignante de notification, de vérification et d’enregistrement. Les autorités françaises ont demandé, dans le délai de six mois prescrit audit règlement, l’enregistrement de l’appellation d’origine « Époisses de Bourgogne », protégée conformément au décret de 1991, selon la procédure « simplifiée » prévue à l’article 17 du règlement de 1992, ce qui implique notamment que l’enregistrement a été fait sans la phase d’opposition prévue à l’article 7 du règlement de 1992 dans le cadre de la procédure « normale » d’enregistrement18. Ainsi un État membre qui a utilisé la procédure d’enregistrement prévue à l’article 17 peut, conformément au paragraphe 3 de cette disposition, maintenir la protection nationale de l’appellation en cause jusqu’à la date à laquelle une décision sur l’enregistrement est prise.
Or la protection uniforme des appellations d’origine instituée par le règlement de 1992 implique que l’État membre, qui estime appropriée une modification de l’appellation d’origine dont l’enregistrement est demandé conformément au règlement, respecte les procédures instituées à cette fin. Une éventuelle modification d’un élément du cahier des charges, tel que la dénomination du produit, à savoir l’appellation d’origine enregistrée, ne saurait donc être obtenue que dans le cadre des modalités et procédures communautaires fixées par le règlement de 1992, et en particulier dans le respect de la procédure prescrite à l’article 9 du règlement, renvoyant à la procédure de l’article 6.
Or dans cette affaire le gouvernement français soutenait que, au moins tant qu’aucune décision relative à la demande d’enregistrement n’a été prise, il doit être reconnu aux États membres, selon le système du règlement, la possibilité d’octroyer une protection nationale provisoire. Il soutient que sa position est corroborée par la nouvelle disposition insérée à l’article 5 du règlement de 1992 par le règlement de 1997, introduisant la possibilité, pour un État membre ayant demandé un enregistrement, d’accorder « une protection au sens du présent règlement, au niveau national… à la dénomination ainsi transmise », protection qui peut également être accordée « dans le cadre d’une demande de modification du cahier des charges ». À cet égard, la Cour constate, tout en rappelant que la nouvelle disposition insérée à l’article 5 du règlement de 1992 par le règlement de 1997 ne s’applique pas à la procédure d’enregistrement prévue à l’article 17, que, avant l’entrée en vigueur du règlement de 1997, une compétence telle que celle invoquée par le gouvernement français ne trouvait aucun fondement dans le règlement de 1992. Contrairement à ce que soutient ce gouvernement, il ressort précisément du règlement de 1997 que, dans le système institué par le règlement de 1992, lorsque les États membres disposent de la compétence pour prendre des décisions, même provisoires, dérogeant aux dispositions du règlement, cette compétence résulte de règles expresses. La Cour de justice de l’Union répond donc à la première question que le règlement de 1992 doit être interprété en ce sens que, après son entrée en vigueur, un État membre ne peut, en adoptant des dispositions nationales, modifier une appellation d’origine pour laquelle il a demandé l’enregistrement conformément à l’article 17 et la protéger au niveau national.
En second lieu, elle souligne que si, dans le règlement de 1996, il a été estimé nécessaire, dans un certain nombre de cas, de préciser par des renvois en bas de page que la protection d’une partie de la dénomination concernée n’a pas été demandée, il convient d’en tirer comme conséquence que, pour cette partie de la dénomination, les intéressés ne peuvent faire valoir de droits en vertu du règlement de 1992. Par ailleurs, le règlement de 1996 ne contient aucun élément permettant de connaître les raisons pour lesquelles les États membres ont décidé de ne pas demander la protection, que ce soit parce qu’il s’agit d’une partie devenue générique, parce que la partie en cause n’est pas protégée sur le plan national au moment de l’introduction de la demande en vertu de l’article 17 du règlement de 1992 ou encore pour d’autres raisons. En effet, il ressort simplement du huitième considérant du règlement de 1996 que « certains États membres ont fait savoir que, pour certaines parties de dénominations, la protection n’était pas demandée et qu’il convient d’en tenir compte ». Même s’il peut s’avérer exact, ainsi que le souligne la cour, qu’il découle de l’article 13 du règlement de 1992 que, à défaut de circonstances spécifiques allant dans le sens contraire, la protection conférée par cette disposition couvre non seulement l’appellation composée en tant que telle, mais également chacune de ses composantes, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un terme générique ou d’un terme commun, cette même disposition ne saurait constituer une base suffisante pour interpréter le règlement de 1996 en ce sens que, s’il n’existe pas de renvoi en bas de page, chacune des composantes de la dénomination composée est protégée. En effet, il n’existe selon le juge européen aucune indication dans le règlement de 1996 – adopté par la Commission selon la procédure du comité prévue à l’article 15 du règlement de 1992 – que l’utilisation du système des renvois en bas de page avait un tel objectif. En outre, dans le système de protection créé par le règlement de 1992, les questions relatives à la protection à accorder aux différentes composantes d’une dénomination, et notamment celles de savoir s’il s’agit éventuellement d’un nom générique ou d’un composant protégé contre les pratiques visées à l’article 13 du règlement de 1992, relèvent d’une appréciation qu’il appartient au juge national d’effectuer sur la base d’une analyse détaillée du contexte factuel présenté devant lui par les parties intéressées. La Cour répond donc à la seconde question que, s’agissant d’une appellation d’origine « composée », le fait qu’il n’existe pas pour celle-ci d’indication figurant sous forme de renvoi en bas de page de l’annexe du règlement de 1996 précisant que la demande d’enregistrement n’est pas sollicitée pour une des parties de cette appellation n’implique pas nécessairement que chacune de ses parties est protégée.
Il faut enfin ajouter qu’un nouveau logo bio européen existe depuis le 1er juillet 2010, afin de garantir la protection du consommateur et le respect de normes communes. La Cour a de nouveau eu à se prononcer sur les conditions de la notion de « bio ». Dans un arrêt du 5 novembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu à une question préjudicielle posée par l’Allemagne, sur l’interprétation de l’article 27, paragraphe 1, sous f, du règlement (CE) n° 889/2008 du 5 septembre 2008, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 834/2007 du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l’étiquetage et les contrôles. Selon l’article 27, paragraphe 1, sous f, du règlement (CE) n° 889/2008 du 5 septembre 2008, les minéraux et les vitamines sont autorisés dans les produits biologiques uniquement si leur emploi est exigé par la loi. Les questions suivantes ont donc été posées à la CJUE : La formule « exigé par la loi » employée à l’article 27, paragraphe 1, sous f, du règlement (CE) n° 889/2008 du 5 septembre 2008 veut-elle dire qu’une disposition nationale ou européenne doit prescrire expressément l’ajout de la substance (vitamines et minéraux) devant être incorporée dans la denrée alimentaire contenant la mention « produit biologique » ?
Ou, celle-ci peut-elle être comprise de façon plus implicite ? Peut-on ainsi considérer que l’ajout de ces substances dans une denrée portant la mention produit biologique est « exigé par la loi » dès lors que celui-ci est commercialisé en tant que complément alimentaire et/ou que l’étiquette mentionne une allégation de santé et qu’afin de respecter ces mentions, la substance doit être incorporées à cette denrée alimentaire ?
La CJUE indique que l’emploi d’une substance visée à l’article 27, paragraphe 1, sous f, du règlement (CE) n° 889/2008 du 5 septembre 2008 n’est exigé par la loi qu’à la condition qu’une règle du droit européen ou nationale impose directement l’ajout de ladite substance dans une denrée alimentaire. Le fait que des substances telles que des vitamines et minéraux soient utilisées dans une denrée alimentaire comprenant la mention produit biologique, commercialisée en tant que complément alimentaire, avec une allégation nutritionnelle ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, ne correspond pas à une exigence de la loi au sens de ladite disposition. La Cour précise qu’il appartient aux opérateurs économiques de déterminer la composition de leurs produits et de décider sous quelle désignation ils souhaitent les commercialiser19. S’ils souhaitent commercialiser ces produits comme complément alimentaire, avec des allégations nutritionnelles ou de santé, ou comme une denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, ils doivent remplir les obligations prévues en la matière par la réglementation applicable de l’Union, ce qui peut aboutir à l’interdiction de commercialisation en tant que produit de l’agriculture biologique20.
Les règlements tels que modifiés successivement constitue en somme la charte qualité des produits de l’Union européenne. La lisibilité pour le citoyen s’en trouve renforcée de même que la sécurité alimentaire.
Notes de bas de pages
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1.
Règl. (CE) n° 510-2006, 20 mars 2006.
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2.
Règl. (CE) n° 509-1006, 20 mars 2006.
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3.
Préc. cit.
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4.
Cass. crim., 30 juin 2009, n° 08-86919.
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5.
Cass. com., 5 juill. 1994, n° 92-17534.
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6.
Cass. com., 26 oct. 1993, n° 91-20472.
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7.
Cité par https://programmelascaux.wordpress.com/2013/02/08/les-nouveautes-du-reglement-n-11512012-relatif-aux-systemes-de-qualite-applicables-aux-produits-agricoles-et-aux-denrees-alimentaires/.
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8.
https://programmelascaux.wordpress.com/2013/02/08/les-nouveautes-du-reglement-n-11512012-relatif-aux-systemes-de-qualite-applicables-aux-produits-agricoles-et-aux-denrees-alimentaires/.
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9.
Règl. (UE) n° 1151/2012, 21 nov. 2012 du Parlement, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, préc. cit.
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10.
http://www.inao.gouv.fr/Textes-officiels/Procedures-nationales-d-opposition2.
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11.
Demande d’approbation d’une modification non mineure concernant le cahier des charges d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée.
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12.
Demande d’approbation d’une modification conformément à l’article 53, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement (UE) « Picodon », http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/ ?uri=CELEX :52017XC0125(02)&from=EN.
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13.
Communiqué de presse n° 17/14 de la CJUE du 13 février 2014 : « La Cour déclare que l’inscription de la dénomination de vin slovaque’Vinohradnícka oblasť Tokaj’dans le registre électronique des appellations d’origine protégées E-Bacchus ne constitue pas un acte attaquable », http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2014-02/cp140017fr.pdf.
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14.
Communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union européenne.
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15.
Aff. n° C-108/01.
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16.
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2009-03/cp0342fr.pdf.
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17.
JOUE L 208, 24 juill. 1992, p. 1, et JOUE L 148, 12 déc.1992, p. 1.
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18.
JO, 15 mai 1991, p. 65.
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19.
CJUE, pts 25 et s.
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20.
http://www.journaldelenvironnement.net/article/precisions-de-la-cjue-sur-l-utilisation-de-la-mention-produit-biologique-pour-des-denrees-alimentaires-composees-des-vitamines-et-mineraux,55183.
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21.
CJUE, 5e ch., 5 nov. 2014, n° C-137/13 (demande de décision préjudicielle du Bayerisches Verwaltungsgericht München — Allemagne) : JOUE C 7, 13 janv. 2015.