Yvelines (78)

La maison d’arrêt de Versailles : de pension à « prison des femmes »

Publié le 10/02/2022

Les Yvelines comptent trois établissements pénitentiaires : une maison centrale et deux maisons d’arrêt. Également appelée « prison des femmes », l’établissement le plus ancien est la maison d’arrêt de Versailles ; celle-ci existe, en effet, depuis 1789. Avec moins de 200 places, elle ne reçoit que les prévenues en attente de jugement et les condamnées dont la peine n’excède pas 2 ans. Retour sur son histoire.

Au milieu du XVIIIe siècle, Charles Ripaille fait construire une maison faisant office de pension au 28 avenue de Paris à Versailles puis décide de s’agrandir, en 1773, et rachète la maison mitoyenne. Finalement, dix ans plus tard, il revend le tout au roi de France, Louis XVI.

La maison Ripaille fut transformée en prison à la fin de l’année 1789. Ses premières locataires furent des prostituées. Claude Sentilhes, historien local, écrit, en 2014, dans la revue Versailles + : « C’est le citoyen Duclos, officier de santé, qui y surveille l’état sanitaire des prisonnières. Dans ses rapports d’ordinaire sévères et rigoureux, on découvre parfois des commentaires poétiques et plein de sollicitude pour ses pensionnaires : ‘‘Depuis quelques jours, cette vaste cage a vu augmenter ses locataires de deux pigeons femelles qui, habitués à vivre en discorde avec la vertu, se sont fait reprendre de nouveau au lacet, pour s’y détacher de leurs fatigues. Une d’elles n’a pas perdu à son voyage. Dans 4 ou 5 mois elle espère en donner des preuves à la République’’ ».

En 1823, durant la Restauration, des travaux sont menés pour que cette maison devienne une « maison de réclusion pour femmes publiques ». À cette époque, la maison est gérée par des religieuses de Saint-Joseph. Les locaux sont agrandis sous le second Empire, en 1860, avec l’achat de quatre terrains dédiés à l’enfermement de « tous types de délinquants ». En 1871, la prison héberge les communardes. « Vêtues en uniformes de soldat, il faudra les habiller en urgence de tenues féminines quêtées auprès de la population par les religieuses surveillantes », écrit Claude Sentilhes. Louise Michel, l’une des figures majeures de la Commune de Paris, y fut enfermée. Elle y enverra deux lettres datées des 20 octobre et 8 novembre 1871.

La non-mixité en prison

Dans un article intitulé : « Histoire de la (non-)mixité en prison » (décembre 2020), la sociologue Mélodie Renvoisé revient sur la séparation des hommes et des femmes dans les établissements pénitentiaires. Elle développe : « Ancrée dans les habitudes professionnelles et semblant aujourd’hui relever de l’évidence, cette séparation n’est cependant pas toujours allée de soi : elle est le fruit d’une histoire particulière qui lui a donné des formes diverses depuis la Révolution française. La ségrégation stricte des sexes a, par ailleurs, récemment été remise en cause par la loi pénitentiaire de 2009. Les prisons françaises s’ouvrent en effet à des formes de mixité en organisant des activités réunissant des hommes et des femmes détenus ».

Avant la Révolution, la France compte plus de 10 000 lieux d’enfermement, « décrits comme des lieux de misère et de débauche, qui accueillent bien souvent indistinctement hommes, femmes et enfants ». Avec le premier Code pénal de 1791, l’enfermement n’est plus envisagé selon les mêmes principes ; en effet, la torture et les châtiments corporels sont supprimés. En outre, les nouvelles prisons devront désormais séparer les détenus selon différentes catégories. Ainsi, il s’agit de séparer les hommes et les femmes, les prévenus et les condamnés, les délinquants et les criminels ainsi que les mineurs et les majeurs.

Mélodie Renvoisé explique que la séparation hommes/femmes vise la préservation des bonnes mœurs et de la « décence » : « L’étude des textes des réformateurs du tournant du XIXe siècle met en évidence qu’il ne s’agissait pas de protéger les femmes d’une quelconque violence masculine : les prisonnières étaient tout bonnement oubliées par les auteurs (Perrot 1995). Les seules femmes mentionnées étaient les épouses des prisonniers, et il s’agissait alors de concevoir la privation de femmes comme un poids supplémentaire à la peine d’enfermement. Les considérations autour des détenues se multiplient cependant à partir des années 1830, mais il s’agit surtout de déplorer l’inefficacité des systèmes de séparation des sexes et l’influence néfaste de la présence de femmes pour l’amendement des hommes. […] Les femmes en prison semblent incarner le péché et la luxure dont il faut libérer les hommes ».

Progressivement, les femmes sont également surveillées par du personnel féminin exclusivement. Cette évolution s’explique par la survenance de scandales ; entre 1820 et 1830, des gardiens et des détenues auraient eu des relations sexuelles. « À partir des années 1840, des religieuses, seules considérées comme à la fois compétentes et disponibles pour œuvrer auprès des détenues, vont être introduites massivement dans les prisons de femmes ». Ce qui fut le cas de la maison d’arrêt de Versailles.

Une prison qui se dégrade

Les derniers travaux de modernisation de la prison des femmes ont eu lieu entre 1981 et 1985 ; un nouveau bâtiment est créé pour accueillir des hommes qui bénéficient d’un aménagement de peine au titre de la semi-liberté.

En 2009, Catherine Tasca, alors sénatrice des Yvelines, interpelle la garde des Sceaux, Rachida Dati, quant à « la situation très dégradée de la prison de Versailles et sur l’insuffisance de moyens dévolus à l’administration pénitentiaire pour effectuer les travaux les plus élémentaires de rénovation et d’entretien ». Elle raconte ainsi sa visite dans la prison des femmes de Versailles : « J’ai vu un établissement dont le fonctionnement quotidien n’est rendu possible que par la conscience professionnelle des femmes et des hommes de l’administration pénitentiaire. Ils sont confrontés à un manque flagrant d’effectif ; même l’encadrement supérieur y est très réduit. Cette situation n’est pas sans conséquence sur la sécurité des détenus et du personnel pénitentiaire, sur l’accomplissement efficace des parcours d’exécution des peines et sur la prise en charge sociale. Beaucoup de détenus requièrent un suivi médical ou psychothérapeutique que l’état des locaux rend de plus en plus difficile malgré, là encore, l’engagement remarquable des praticiens ».

Le ministère, dans sa réponse, s’est défendu : « L’établissement fait régulièrement l’objet de travaux d’entretien et de maintenance au titre des crédits de fonctionnement déconcentrés. Ainsi, depuis 1996, ont été effectués des travaux d’aménagement des locaux médicaux de l’unité de consultations et de soins ambulatoires – à hauteur de 36 000 euros –, de mise aux normes des cellules disciplinaires – pour un montant de 37 000 euros – et de cloisonnement des sanitaires – pour la somme de 23 100 euros ».

Depuis, des travaux ont été effectués malgré le fait que, d’après Rachida Dati, « ces travaux ne pouvaient permettre de modifier la structure de l’établissement » alors que « les locaux communs aux détenues dans la maison d’arrêt pour femmes étaient de petite taille, que les ateliers ne permettaient pas de développer des activités de formation et que les parloirs étaient peu adaptés, aussi bien en termes d’accueil des familles que de déroulement des visites ou des contrôles à pratiquer ».

En mars 2019, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, et Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, participent à un débat au sein de la maison d’arrêt de Versailles. Dix ans après l’intervention de Catherine Tasca, les questions de surpopulation et de moyens alloués à la justice demeurent centrales. À cette occasion, les détenues ont pu s’exprimer, comme le rapporte l’AFP : « Sur 1 000 euros de dépense publique, 4 euros vont à la justice », déclare une détenue. « C’est trop peu, alors que les prisons sont surpeuplées », poursuit-elle.

La prison des femmes, carte postale, années 1900

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