Meaux-Chauconin : Neuf jours de « mitard » pour avoir refusé « de faire la moto »
Lors d’une fouille à nu au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, en Seine-et-Marne, Jean* s’est rebellé. Devant la commission disciplinaire, jeudi 17 août, il a expliqué pourquoi dans un langage imagé : « J’ai pas voulu faire la moto. » Soit se pencher comme sur un guidon, en écartant ses fesses. Il a été puni de neuf jours d’isolement total.
Me Julia Courvoisier, avocate au barreau de Paris, n’a pas souhaité laisser sa consœur de Meaux, commise d’office, défendre Jean à l’audience de ce jeudi, sans qu’il soit ici question de confiance. Elle s’est déplacée pour deux raisons. D’abord, son client, détenu depuis le mois de février dernier, était convoqué pour la 6e fois par la commission disciplinaire ; la preuve, selon elle, d’un inquiétant manque d’adaptation et/ou d’un mal-être. Ensuite, la convocation était frappée d’une nullité, le logiciel de la prison accusant un retard substantiel : elle mentionnait les dispositions du code de procédure pénale abrogées… le 1er mai 2022 ! A cette date, est entré en vigueur le code pénitentiaire organisé en sept livres, « censé rendre plus aisée l’application du droit », ainsi que l’a formulé le garde des Sceaux. « Cela pose quand même un problème de validité », euphémise Me Courvoisier. La directrice de détention en est convenue, promettant de veiller à ce que le logiciel soit enfin modifié. Mais la nullité n’a pas été retenue.
Pourtant violent, Jean voit de « la torture » dans les fouilles à nu
Face à la directrice de l’établissement, à la chef de son quartier, à un citoyen tiré au sort et à un membre du personnel faisant fonction de greffier, Jean s’est présenté avec son petit sac, devinant qu’il serait directement conduit à l’isolement, sans repasser par sa cellule pour y prendre ses affaires. Il se doutait qu’il ne bénéficierait pas d’un sursis à cause de ses récidives et des faits qu’il a intégralement reconnus. Oui, il a refusé « de faire la moto », à ses yeux une humiliation gratuite à l’issue d’un parloir avec sa sœur. Oui, il a osé dire que ce n’était « pas prévu dans le règlement ». S’en sont suivies une échauffourée, déclenchant chez le petit bonhomme d’1,60 mètre tout nu une crise d’asthme, et une fouille totale infructueuse. En revanche, celle du lendemain en cellule a mis au jour un téléphone, sa puce, du shit « qui [l’]aide à tenir ».
Si Me Courvoisier admet « comprendre l’utilité des fouilles intégrales, qui sont essentielles pour la sécurité du personnel », elle déplore que « parfois, elles soient pratiquées plusieurs fois par semaine. C’est terrible ». Jean lui a d’ailleurs confié qu’il voit cela « comme de la torture ». Pourtant, il n’en est pas à sa première incarcération pour des violences. Cela en dit long sur ce que doivent ressentir les primo-délinquants soudainement confrontés à ces pratiques. Depuis 2007, la France a du reste été condamnée à maintes reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses fouilles à nu répétitives et aléatoires.
« Les conditions de détention ont un impact direct sur les prisonniers »
En raison de son comportement sanctionné pour la 6e fois, Jean ne pourra toujours pas travailler. « Il a fait une demande pour aller à l’école, indique son avocate, mais il n’y a pas de place. Et déposer un livre en prison ? C’est quasiment impossible ! Il ne voit pas de psychologue car il ne se remet pas en question et n’y est pas obligé. Depuis que j’exerce ce métier, je ne cesse de m’interroger : ni les études ni les soins ne sont obligatoires ! Comment envisager la réinsertion ? »
A ces écueils, s’ajoute la surpopulation : au 30 juin dernier, la France a une fois de plus franchi un record, avec 73 699 détenus pour 60 562 places. En Île-de-France, le centre de Meaux-Chauconin est de loin le plus peuplé des départements de la grande couronne : en mars, il abritait 717 personnes – soit un taux d’occupation de 186,2 % (contre 132 % à Fleury-Mérogis dans l’Essonne, par exemple). Le nombre de matelas au sol atteint des sommets.
« Les conditions de détention ont un impact direct sur les prisonniers, leur comportement. Ils sont plus enclins à péter un plomb. À Meaux, il y a deux audiences disciplinaires par semaine, ce jeudi ils étaient sept à répondre à une convocation ! Sans compter les incidents qui ne remontent pas jusqu’à la commission », précise l’avocate parisienne.
Dominique Simonnot, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté depuis octobre 2020, répète inlassablement que la pénitentiaire va dans le mur. Elle l’a de nouveau martelé ce premier semestre (notre article du 12 mai ici). Pour seule réponse : la promesse de bâtir ou d’agrandir des établissements. Objectif : 15 000 places supplémentaires en France, 4 000 en région francilienne d’ici à 2027, dont 180 à Meaux-Chauconin et 1 000 à Crisenoy, projet auquel les Seine-et-Marnais étaient opposés en 2021.
Loin des débats sociétaux, Jean va vivre seul pendant neuf jours, quantum de la peine infligée. Mais sans télé ni parloir.
* Prénom modifié
À lire aussi, s’agissant des dernières statistiques relatives à la population détenue et écrouée « Surpopulation carcérale : reconstruire la dignité ? » par Valérie-Odile Dervieux et, concernant l’établissement de Meaux-Choconin, notre chronique sur une affaire de trafic jugée fin 2022.
Référence : AJU385711