Actions gratuites : le Conseil constitutionnel maintient les effets de l’absence de déclaration de l’article L. 242-1, alinéa 13 du Code de la sécurité sociale
Dans une QPC du 2 février dernier, les Sages ont maintenu les effets de l’absence de déclaration à l’Urssaf par l’employeur des actions gratuites, à savoir l’assujetissement aux cotisations patronales et sociales, alors même que la cotisation spécifique est acquittée.
Le Conseil constitutionnel vient de répondre à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) attendue, relative aux cotisations sociales pesant sur les attributions gratuites d’actions (Cons. const., 22 févr. 2019, n° 2018-767 QPC). Il juge conforme l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale à la constitution. Le non-respect de l’obligation qui pèse sur l’employeur de notifier à l’Urssaf les distributions d’actions gratuites entraîne l’assujetissement aux cotisations sociales patronales et sociales, indépendamment de la contribution spécifique.
Actions gratuites
La société de gestion (Oddo BHF) requérante a distribué des actions gratuites à ses salariés en 2010, 2011 et 2012. Elle s’est acquittée de la cotisation sociale spéficique sur les actions gratuites – instaurée par la loi n° 2017-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 et qui figure à l’article L. 137-13 du Code de la sécurité sociale – mais a omis de procéder à une obligation de notification à l’Urssaf, obligation issue de l’article L. 242-1, alinéa 13 du Code de la sécurité sociale. Cet article fait l’objet du litige. En application de ce texte, l’Urssaf a réclamé à la société Oddo BHF la totalité des cotisations sociales patronales et salariales à raison des actions attribuées gratuitement.
Évolution législative : changement de régime de droit commun
Instaurée par la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006, l’article L. 242-1, alinéa 13 du Code de la sécurité sociale institue une exonération de cotisations sociales des actions attribuées gratuitement. Cette exonération est subordonnée à plusieurs conditions. En particulier, le texte prévoit que l’employeur est tenu de notifier à son organisme de recouvrement l’identité de ses salariés ou mandataires sociaux auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de l’année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions attribuées à chacun d’entre eux. L’employeur, qui n’a pas satisfait à cette condition, est tenu au paiement de la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.
Suppression de la compensation, mais pas de la déclaration
Selon les travaux parlementaires, la notification aux Urssaf permettait d’évaluer les pertes de recettes pour la Sécurité sociale résultant de l’exonération et de mettre en œuvre le mécanisme de compensation par l’État. Or fin 2007, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a mis fin au mécanisme de compensation lié à cette exonération au motif que les actions gratuites ne pouvaient être comparées stricto sensu à des revenus salariaux. Selon Aurore Guido-Deaïbes, B&L et associés, avocat de la société Oddo BHF, « la seule et unique raison qui justifiait l’obligation déclarative a donc été réduite à néant ». À partir du moment où l’État a décidé de ne plus prendre en charge le coût de cette exonération, son évaluation n’avait plus d’utilité. Pourtant, alors même que la loi a mis fin à la compension et a créé la contribution patronale spécifique sur les attributions gratuites d’actions, le texte qui faisait reposer l’exonération de cotisations sociales, lesquelles n’étaient alors plus applicables, sur l’obligation de déclaration n’a pas été abrogé.
Or, en s’acquittant de la contribution patronale spécifique « l’Urssaf était informée en temps réel du nombre d’attribution d’actions gratuites, de leur destination et de leur valeur. Cela signifie que l’Urssaf disposait de toutes les informations requises » par l’obligation de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, estime l’avocat. Le texte qui institue l’obligation de notification et ses conséquences en cas de non respect « constitue une disposition inique qui n’a plus de fondement depuis 2007 » !
« Une scorie législative ? »
Devant les Sages, Damien Célice, avocat aux conseils, SCP Ceclice Soltner Texidor Perier, qui défendait l’entreprise Sanofi, six autres sociétés du même groupe et la société Arkéma a estimé que « de manière incompréhensible, le législateur a omis de retirer de l’ordonnancement juridique l’obligation pour l’employeur de notifier à l’Urssaf les attributions d’actions gratuites. Les entreprises n’ont pas procédé à une notification pour bénéficier d’une exonération qui ne les concernait plus. Sanofi et Arkema n’ont absolument pas cherché à profiter d’un effet d’aubaine ou d’optimisation, elles n’ont pas cherché à éluder le paiement des cotisations sociales. Il s’agit de sociétés qui ont été piegées par l’application d’une disposition obsolète qui conduit à doubler voire tripler le montant des cotisations ».
Selon l’avocat « le maintien dans l’ordre juridique de la disposition expose les employeurs à une rupture d’égalité en ce qu’il fait peser sur les cotisants une cotisation qui n’a plus de rapport direct avec l’objet de la loi qui l’a établie. De plus, sa mise en œuvre expose les entreprises à une sanction injustifiée ». Même en admettant qu’un texte de loi oblige les déclarants à quelque chose d’inutile, la sanction aboutit à un triple paiement et une imposition de l’ordre de 78 %.
Enfin, l’avocat soulevait un motif d’incompétence négative manifeste. « Il n’y a aucune raison de maintenir dans l’ordonnancement juridique un texte qui induit en erreur » et qui plus est n’est pas pertinent car il n’y a plus d’exonération. Surtout, il rappelait la décision Orange du Conseil constitutionnel du 27 avril 2017 (28 avr., 2017-627/628 QPC) en vertu de laquelle les actions gratuites sont exclues de l’assiette des cotisations sociales : « en instituant la contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites, le législateur a entendu que ce complément de rémunération, exclu de l’assiette des cotisations de sécurité sociale en application de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, participe au financement de la protection sociale ».
Pas de sanction
Représentant l’Urssaff d’Ile-de-France, Jean-Jacques Gatineau, avocat aux Conseils, a fait valoir que l’obligation de déclaration prévue par l’article L. 242-1, alinéa 13 du Code de la sécurité sociale permet aux organismes de sécurité sociale de vérifier que les obligations sociales sont bien satisfaites et d’évaluer l’efficacité de la mesure mise en place. Il a soutenu que cette obligation « n’a rien d’excessif et poursuit un but légitime, et qui est constitutionnellement garanti ». Enfin, il a défendu l’argument selon lesquel la perte du bénéfice de l’exonération « ne constitue pas une sanction disproportionnée » car elle ne revêt pas le caractère d’une sanction. De plus, « il n’y a pas de rupture devant les charges publiques car tous les déclarants ont bénéficié de l’exonération. En réalité, la société se plaint des conséquences de son incurie. L’origine de son malheur trouve sa source dans son incompétence et non dans une mesure qui permet au legislateur de vérifier que l’avantage qu’il confère est utile ».
Une déclaration toujours jusitifiée ?
Les arguments soulevés par le Premier ministre, dans ses observations sur la QPC, faisaient notamment valoir que la déclaration demeure jusitifée en dépit des évolutions de la loi, et ceci pour plusieurs raisons. « Tout d’abord elle a été créée dans le but de permettre une évaluation exacte du coût de l’exonération et continue d’être aujourd’hui indispensable, indiquait Philippe Blanc, secrétaire général du gouvernement qui exposait le point de vue du Premier ministre sur la QPC. Elle sert à l’équilibre du budget du financement de la Sécurité sociale or la Cour des comptes a précisé qu’une évaluation des niches était nécessaire ».
En deuxième lieu, il a estimé que la déclaration demeure justifiée en raison de la nature des informations qu’elle contient : identité des bénéficiaires, nombre et valeur des actions gratuites. « Elles permettent à l’Urssaf d’assurer le contrôle des cotisations qui lui sont dues. Enfin, les informations fournies par la déclaration litigieuse et la déclaration résultant de la cotisation spécifique ne sont pas identiques. Alors que la contribution spécifique est assise sur la valeur des actions au moment de leur attribution, la déclaration litigeuse intervient à un stade ultérieur, deux ans plus tard et seule cette déclaration fournit une évaluation précise au regard du budget de la Sécurité sociale ».
Validation par le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a écarté tous les griefs d’inconstitutionnalité. Et ce sur le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Il a écarté le caractère punitif de la conséquence de l’absence de déclaration : « d’une part, en mettant à la charge de l’employeur les cotisations sociales dans leur part patronale, ces dispositions se bornent à tirer les conséquences de la perte du bénéfice de l’exonération. D’autre part, en faisant peser sur l’employeur la part salariale de ces cotisations, elles visent à garantir le recouvrement des redressements de cotisations. Ainsi, ces dispositions n’édictent aucune peine ou sanction ayant le caractère de punition ».
L’évaluation de la niche sociale : critère objectif et rationnel
Le Conseil constitutionnel a également écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration de 1789.
« En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2005 mentionnée ci-dessus que l’exigence de notification aux organismes de recouvrement prévue par les dispositions contestées a pour objet de permettre une évaluation du montant de la perte de recettes pour la sécurité sociale résultant de l’exonération de cotisations sociales. Si cette exigence de notification a été créée à une date à laquelle l’État était tenu de compenser la perte de recettes sociales résultant de cette exonération, la circonstance que cette obligation de compensation a été supprimée par la loi du 19 décembre 2007 n’a pas privé d’objet le dispositif contesté dès lors que le législateur a estimé nécessaire, en l’état, de maintenir une évaluation du coût de l’exonération. La faculté qu’auraient les organismes sociaux d’évaluer par d’autres voies le montant de cette perte de recettes est sans incidence à cet égard. Par ailleurs, la notification permet aux organismes de recouvrement de procéder, le cas échéant, à des contrôles et des vérifications. Par conséquent, en subordonnant le bénéfice de l’exonération à une formalité de notification, le législateur s’est en effet fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts poursuivis ».
Feu vert au cumul des prélèvements
Ensuite, le Conseil constitutionnel a considéré que le cumul des prélèvements – la cotisation spécifique instaurée par l’article L. 137-13 du Code de la sécurité sociale et les cotisations sociales patronales et salariales en application de la non déclaration prévue par l’article L. 242-1, alinéa 13 du même code – n’entraîne pas une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, ni ne présente un caractère confiscatoire. « Cette contribution patronale est destinée à participer au financement des dépenses des régimes obligatoires d’assurance maladie et n’ouvre pas de droits aux prestations et avantages servis par ce régime. Celle-ci n’a pas pour objet de compenser l’exacte perte de recettes résultant, pour chacun des régimes de sécurité sociale, de l’exonération de cotisations sociales des actions attribuées gratuitement ».
Enfin, en application des dispositions contestées, l’employeur qui n’a pas rempli l’obligation de notification est tenu d’acquitter la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale. Toutefois, compte tenu du taux des cotisations salariales, il n’en résulte pas une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
« Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ».