Analyse du décret relatif au registre public des trusts
Le décret relatif au registre public des trusts en date du 10 mai 2016 instaure l’enregistrement de tous les trusts entretenant une certaine proximité avec la France dans un nouveau registre. La mise en place de ce décret a, en partie, pour objet de lutter pour la transparence économique et fiscale.
Le décret n° 2016-657 du 10 mai 2016 instituant le registre public des trusts a été publié au Journal officiel du 11 mai 2016, numéro 109. Conformément à l’article 11 de la loi du 6 décembre 2013, n° 2013-1117 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ce décret modifie en partie le Code général des impôts.
Il s’inscrit dans un courant de lutte contre les fraudes fiscales et le blanchiment d’argent. En effet, l’affaire des Panama Papers, récemment dévoilée, vient rappeler que l’opacité juridique et fiscale est peu appréciée du droit français. Ce scandale a permis de révéler des sociétés offshores qui permettaient à leurs bénéficiaires de rester dans l’ombre. Bercy, ayant souhaité encadrer les sociétés écrans, a pris des mesures et la mise en œuvre du registre public des trusts en est une. Il convient tout de même de préciser que le rapprochement entre les sociétés écrans et les trusts est ténu puisque les trusts anglo-américains ne peuvent pas être assimilés à des sociétés. Le décret du 10 mai 2016 devrait créer un système comparable au registre du commerce et des sociétés. En d’autres termes, il doit s’agir d’un registre de renseignements public relatif aux trusts ayant un « point de contact » avec la France. À ce titre, le contenu du décret est applicable aux trusts dès lors que l’une des parties du trust a son domicile fiscal en France ou lorsque le bien objet du mécanisme juridique est situé en France.
Afin d’appréhender les enjeux et impacts de ce décret sur l’évolution des trusts de common law en droit français, il est important de rappeler brièvement ce qu’est un trust (I) afin de pouvoir ensuite préciser les apports de ce récent, et tant attendu, décret (II).
I – Bref rappel sur le trust
Afin de comprendre l’intégralité des enjeux du décret, il faut rappeler la définition du trust dans son contexte d’origine (A) et son appréhension en droit français (B).
A – Définition du trust dans son contexte d’origine
L’analyse proposée des principes essentiels du trust par sa définition sera succincte en raison de l’existence de nombreuses études, dans le domaine1.
Le trust est une institution tripartite du droit anglo-saxon. Il s’agit d’un arrangement patrimonial pouvant avoir des objectifs multiples. À l’initiative d’un constituant, il est établi par acte entre vifs ou à cause de mort. Son objet est de placer certains biens, dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé, sous le contrôle d’un intermédiaire nommé trustee. Ce dernier est investi du pouvoir et du devoir, à charge de rendre compte, de gérer ou de disposer conformément à son investiture et à la loi, des biens qui lui sont confiés. Au-delà du caractère tripartite du trust – constituant, bénéficiaire et trustee –, la particularité du trust est liée au droit de propriété. En effet, les biens, objet du trust, figurent au nom du trustee sur les titres de propriété mais constituent une masse distincte qui ne fait pas partie de son patrimoine.
En droit anglais, le trust, institution juridique tripartite de common law, n’est défini, ni par le Trustee Act de 1925, ni par celui de 2000. C’est pourquoi, la doctrine proposa de le définir2. A contrario, en droit américain, le Restatement of the Law of Trust de 2003 apporte une définition du trust. À ce titre, « un trust (…) quand il n’est pas qualifié par le mot charitable, implicite ou interprétatif, est une relation fiduciaire portant sur des biens soumettant la personne qui les détient à des devoirs équitables afin de gérer les biens pour le bénéfice d’une autre personne, tel qu’il résulte de l’intention exprimée en vue de sa création ».
B – Appréhension du trust en droit français
Pour le juriste civiliste, le trust reste une institution juridique complexe car insaisissable. En effet, l’article 2 de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 sur la loi applicable au trust énonce simplement les caractéristiques de cette institution de common law, mais ne la définit pas. Le trust crée, en quelque sorte, un « démembrement de propriété » inconnu du droit français puisqu’il « repose de façon générale, sur le schéma suivant : une personne, le constituant du trust (settlor of the trust) stipule que certains biens seront administrés par un ou plusieurs trustees dans l’intérêt d’une ou plusieurs autres personnes, le ou les cestuis du trust »3. C’est donc une opération triangulaire dans laquelle le trustee, propriétaire légal du bien objet du trust, détient un titre de legal ownership qu’il a obtenu par l’intermédiaire d’un acte unilatéral créé par le constituant – support du trust. Il ne peut tirer aucun avantage personnel des biens qui lui sont transférés par l’intermédiaire du trust. Il doit respecter et atteindre les objectifs qui consistent souvent à administrer les biens au profit d’une autre personne appelée cestui. Toutefois, ces biens ne font pas partie de son propre patrimoine. Le bénéficiaire, créancier du trust détient un equitable ownership4. Il n’existe aucun lien juridique entre le constituant et le bénéficiaire5.
II – La confrontation des objectifs et apports du décret
Le décret du 10 mai 2016, entré en vigueur au lendemain de sa publication, crée à l’article 1649 AB du Code général des impôts un nouveau registre6. Il s’inscrit dans une politique de lutte contre la fraude fiscale et les grandes délinquances économique et financière. Il est permis de constater quelques imprécisions quant à son applicabilité (A) et sa mise en œuvre (B).
A – Applicabilité du décret
Le décret contient trois champs d’application qu’il convient de préciser.
Le premier est spatial, il vise les trusts dont « un au moins des constituants ou bénéficiaires ou administrateur a son domicile fiscal en France ou qui comprennent un bien ou un droit qui y est situé »7. Ainsi, le décret sera applicable à un grand nombre de trusts ayant un élément de connexité avec le territoire français.
Le deuxième est temporel, c’est-à-dire qu’il s’applique à toutes les institutions intervenues depuis le 8 décembre 2013.
Enfin, le troisième critère d’applicabilité du décret est matériel, et est susceptible de poser quelques difficultés d’interprétation. La première complexité est liée à l’absence de définition du trust dans le corps du texte. Toutefois, cette difficulté peut rapidement être résolue car le Code général des impôts définit le trust à l’article 792-0 bis8. La seconde difficulté tient à l’absence de précision sur l’occurrence administrateur. En effet, nous avons préalablement décrit le trust et par là même constaté que l’administrateur était inexistant au regard du droit anglo-américain. Il faut donc en déduire que lorsque le texte fait référence à la notion d’administrateur, c’est en réalité à celle de trustee qu’il renvoie.
B – Mise en œuvre du décret
Outre ces quelques apparentes difficultés d’interprétation et d’applicabilité du texte, il nous semble que le principal regret est relatif à la mise en œuvre du décret. L’article 1 de ce texte, énonce les différentes informations qui vont permettre de constituer la « Base nationale des données patrimoniales ». Classiquement, il s’agit des éléments d’identité des trois parties et de la dénomination du trust, tels que la date de constitution du trust, le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance des parties au trust. Le décret liste des critères facultatifs à l’article 368.II.B, il faut donc en déduire a contrario que les autres critères doivent impérativement être transmis, conformément à cette obligation de résultat déclarative.
Il faut également regretter que le décret ne mentionne pas qui a la charge de cette obligation déclarative. Ainsi, il est actuellement impossible de savoir qui de l’administrateur – ou trustee –, du bénéficiaire ou du constituant à la charge de la transmission de ces informations à la direction générale des finances publiques.
Au-delà de la difficulté d’identification de la provenance des informations devant alimenter ce registre, il faut préciser que l’objectif recherché, qui consiste en un recensement des trusts afin de lutter contre la fraude fiscale, ne sera atteint que si des sanctions sont énoncées en cas d’absence d’accomplissement de cette obligation déclarative. Encore une fois, il est ici permis de préciser que ni le décret ni le code n’ont prévu une telle disposition. De plus, la sanction énoncée à l’article 1736 IV bis du Code général des impôts nous semble peu dissuasive au regard des sommes généralement considérables contenues dans les trusts9. Enfin, l’identité du payeur en cas de mise en œuvre de la sanction est inconnue. Néanmoins, il faut souligner que cette absence de précision peut être dangereuse car le constituant, selon le trust tel qu’analysé dans son contexte d’origine, ne dispose plus du bien objet de l’institution dans son patrimoine personnel. Le bénéficiaire, en qualité d’equitable interest, est un simple propriétaire virtuel. Force est de constater que le trustee, détenteur du legal ownership est le seul à détenir la propriété juridique du trust. Faut-il en déduire que la sanction en cas de non-respect de l’obligation déclaratoire sera exécutée à l’encontre de ce dernier ?
Pour conclure, le décret a été élaboré afin d’atteindre un certain nombre d’objectifs tels que le recensement des trusts, la lutte contre la fraude fiscale et le combat contre la grande délinquance. Puisque l’objectif serait semble-t-il de « savoir qui se trouve derrière ces entités. Le paiement des impôts est une autre question », il est difficile de conclure à une efficacité évidente du décret. Il n’est semble-t-il pas à craindre que cela diminue considérablement le nombre de trusts.
Notes de bas de pages
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1.
V. notamment : Barrière F., La réception du trust au travers de la fiducie, préf. Grimaldi M., 2004, Litec ; Bredin J.-D., « L’évolution du trust dans la jurisprudence française », Trav. com. fr. DIP, 1973-1975, p. 137 ; Béraudo J.-P., Les trusts anglo-américains et le droit français, 1992, LGDJ ; Godechot S., L’articulation du trust et du droit des successions, préf. Lequette Y., 2004, LGDJ ; Lepaulle P., « De la nature du trust », JDI 1927, p. 966 et s. ; Lepaulle P., Traité théorique et pratique des trusts en droit interne en droit fiscal et en droit international, 1932, Paris, Rousseau ; Gulphe P., « Quelques réflexions sur l’institution d’un trust à la française », in Mélanges Breton et Derrida, 1991, Dalloz ; Motulsky H., « De l’impossibilité de constituer un trust anglo-saxon sous l’empire de la loi française », RCDIP 1948, p. 451 ; Oppetit B., « Le trust dans le commerce international », RCDIP 1973, p. 1 ; Bendelac E., Le transfert de biens au décès autrement que par succession en droit international privé : Le choix de la loi applicable aux institutions d’Estate Planning, préf. Goré M., 2016, Bruylant.
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2.
En 1945, le juge Cohen approuva la définition de trust retenue par la doctrine. Re Marshall’s Will trust (1945, 1 All E.R. 550), confirmée par Green v. Russel (1959, 2 All E.R 359). Traduction : Il s’agit d’une obligation, engageant une personne, appelée le trustee, à gérer des biens sur lesquels elle exerce un contrôle, appelés les biens du trust pour le bénéfice de personnes, appelées bénéficiaires ou « cestuis que trust », dont il peut faire partie. Tout acte non autorisé ou de négligence inexcusable de la part du trustee, selon les termes du trust ou de la loi, est appelé abus de confiance-breach of trust-.
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3.
David R. et Jauffret-Spinosi C., Grands systèmes de droit contemporains, 2002, Dalloz, n° 309.
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4.
Le bénéficiaire dispose d’un droit de créance, ses droits sont protégés en équité contre les actions du trustee.
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5.
Revillard M., Droit international privé et européen : Pratique notariale, 8e éd., 2014, Defrénois, nos 786 et s. ; Béraudo J.-P., Les trusts anglo-américains et le droit français, 1992, LGDJ ; Godechot S., L’articulation du trust et du droit des successions, préf. Lequette Y., 2004, LGDJ, n° 2.
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6.
« L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis dont le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé est tenu d’en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu de ses termes.
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7.
Il est institué un registre public des trusts. Il recense nécessairement les trusts déclarés, le nom de l’administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust.
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8.
Ce registre est placé sous la responsabilité du ministre chargé de l’Économie et des Finances.
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9.
Les modalités de consultation du registre sont précisées par décret en Conseil d’État.
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10.
L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis qui a son domicile fiscal en France est tenu d’en déclarer la constitution, la modification ou l’extinction ainsi que le contenu de ses termes.
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11.
L’administrateur d’un trust déclare également la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits et produits mentionnés aux 1° et 2° du III de l’article 990 J.
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12.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».
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13.
La notice du décret n° 2°16-567 du 10 mai 2016.
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14.
Article 792-0 bis I,1 « Pour l’application du présent code, on entend par trust l’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un État autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé ».
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15.
« 1. Les infractions au premier alinéa de l’article 1649 A sont passibles d’une amende de 1 500 € par ouverture ou clôture de compte non déclarée. Sauf cas de force majeure, les omissions de déclaration de modification de compte et les inexactitudes ou omissions constatées dans les déclarations mentionnées au même premier alinéa entraînent l’application d’une amende de 150 € par omission ou inexactitude, sans que le total des amendes applicables aux informations devant être produites simultanément puisse être supérieur à 10 000 €.
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16.
2. Les infractions aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1649 A et de l’article 1649 A bis sont passibles d’une amende de 1 500 € par compte ou avance non déclaré. Toutefois, pour l’infraction aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1649 A, ce montant est porté à 10 000 € par compte non déclaré lorsque l’obligation déclarative concerne un État ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires. Si le total des soldes créditeurs du ou des comptes à l’étranger non déclarés est égal ou supérieur à 50 000 € au 31 décembre de l’année au titre de laquelle la déclaration devait être faite, l’amende par compte non déclaré est égale à 5 % du solde créditeur de ce même compte, sans pouvoir être inférieure aux montants prévus au premier alinéa du présent 2 ».