Cession de titres démembrés : quelle répartition de l’impôt sur la plus-value ?
Dans un arrêt en date du 2 avril dernier, le Conseil d’État rappelle que le nu-propriétaire peut être le seul redevable de l’impôt sur la plus-value issue de la cession de titres démembrés, à condition que la convention passée entre l’usufruitier et le nu-propriétaire crée une réelle obligation de remploi à sa charge.
En cas de cession simultanée de la nue-propriété et de l’usufruit de valeurs mobilières, le prix se réparti entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, conformément à l’article 621 du Code civil. La répartition du produit de cession entraîne donc la répartition de la taxation de la plus-value à l’impôt sur le revenu prévue à l’article 150-0 A, I, 1 du Code général des impôts (CGI). Cette règle de répartition du produit de cession n’est pas d’ordre public, les parties peuvent donc y déroger. En effet, si les parties se sont préalablement mises d’accord pour remployer le prix de cession, le nu-propriétaire est alors le seul redevable de l’impôt correspondant. « La convention est opposable à l’administration à la condition d’être parfaitement formalisée et de créer obligation de remploi incontestable, c’est-à-dire précise dans le quantum à réinvestir », indique Louis-Joseph de Coincy, avocat associé au cabinet Aloy. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt du 2 avril dernier (CE, 2 avr. 2021, n° 429187), qui opposait des usufruitiers à l’administration fiscale.
Une succession d’actes
Dans cette affaire, le couple A avait cédé à ses deux enfants la nue-propriété de 20 000 actions par une donation-partage en 2007 et la pleine propriété de 90 000 titres par une autre donation-partage en 2008. Dans un troisième temps, en 2008, le couple avait rédigé un pacte adjoint aux termes duquel les donataires s’engageaient à apporter une fraction des titres donnés en 2007 et en 2008 à une société civile immobilière (SCI) à constituer entre eux-mêmes et leurs parents. Début 2009, la société dont les titres ont fait l’objet des donations-partages a procédé à une opération de réduction de capital par voie de rachat de ses actions, au cours de laquelle elle a racheté aux parents et à leurs enfants 53 711 titres, dont les 20 000 titres démembrés en vertu de la donation-partage intervenue en 2007.
La moitié du prix de cession total, correspondant au produit du rachat des titres démembrés, a été apportée à une SCI constituée entre les parents et leurs enfants, et dont les parts sociales ont été démembrées.
Les parents donateurs et usufruitiers se considéraient redevables de l’imposition correspondant à la plus-value générée par la cession des seuls titres qu’ils détenaient en pleine propriété, à l’exclusion de ceux dont ils ne détenaient que l’usufruit. Au contraire, l’administration estimait qu’ils avaient bénéficié du report de l’usufruit sur le prix de cession et, qu’en tout état de cause, le remploi du produit de la vente n’avait été que partiel. Elle a donc imposé l’intégralité de la plus-value réalisée entre leurs mains.
La liberté laissée à l’usufruitier
La cour administrative d’appel de Versailles a prononcé la décharge demandée par les contribuables au motif que l’acte de donation-partage du 16 mars 2007 prévoyait le remploi du produit de la vente des titres avec report des droits des usufruitiers sur les biens nouvellement acquis.
Le Conseil d’État n’a pas procédé à la même analyse et a annulé l’arrêt d’appel. Pour la haute juridiction, il convenait de « rechercher si ce remploi du produit de cession était une obligation pour les parties à l’acte ou s’il n’était qu’une simple faculté à la main des seuls usufruitiers ». Or « lorsque l’usufruitier conserve la faculté de remployer ou non le produit de la cession des titres dont il a l’usufruit, le droit d’usufruit doit être regardé, pour l’imposition des plus-values résultant de la cession, comme reporté sur le produit de cette cession », ce qui rend « l’usufruitier intégralement redevable de l’imposition ».
Par ailleurs, le Conseil d’État a également procédé à l’analyse de la donation-partage ayant fait donation entre vifs de la nue-propriété des titres d’une société, et qui contient une stipulation faisant interdiction aux nus-propriétaires d’aliéner ou de nantir ces titres sans l’accord des usufruitiers, à peine de nullité des aliénations et nantissements. Mandat exclusif était donné aux usufruitiers pour gérer les fonds issus de la cession des titres qui serait décidée avec l’accord des nus-propriétaires, en l’absence de remploi pour acquérir de nouveaux titres ; et en cas d’aliénation des titres, les nus-propriétaires s’interdisaient, sauf accord exprès du ou des usufruitiers, à demander le partage en toute propriété du prix représentatif de ceux-ci. En cas de cession, le droit d’usufruit est reporté sur le prix issu de celle-ci.
La haute juridiction constatait que la donation-partage ne faisait du « remploi du prix de vente des titres qu’une simple faculté à la main des seuls usufruitiers ». Elle en déduisait que « dès lors, l’usufruitier gardant la possibilité de reporter son droit d’usufruit sur le prix issu de la cession des actions, les usufruitiers doivent être regardés comme redevables de l’intégralité de l’imposition assise sur la plus-value résultant de la cession de ces titres ».
Un véritable quasi-usufruit
Les conclusions du rapporteur public, Céline Gribé, sont éclairantes : « Cette entière maîtrise, de facto, du produit de la cession excède largement les pouvoirs limités reconnus par la jurisprudence civile à l’usufruitier d’un portefeuille de valeurs mobilières, qui est certes autorisé à procéder à des opérations d’arbitrage en cédant des titres, mais à charge pour lui de les remplacer par d’autres titres afin de conserver la substance du portefeuille géré. Cette convention doit donc être regardée comme accordant aux époux K. un quasi-usufruit du produit de la cession des titres démembrés dans l’hypothèse où la faculté de remploi n’est pas mise en œuvre ».
« Bien que le Conseil d’État ne mentionne pas le terme de quasi-usufruit, il en constate toutefois les caractéristiques énoncées par l’article 587 du Code civil dans l’analyse des actes qui lui sont soumis et en tire les conséquences sur le plan fiscal », indique Louis-Joseph de Coincy. Pour mémoire, cet article prévoit que « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».
Les conditions de validité de la convention de démembrement
L’arrêt met en lumière la nécessité de porter un soin particulier à la rédaction de la convention de démembrement afin que sa validité ne soit pas remise en cause. Selon Louis-Joseph de Coincy, « Pour éviter toute déconvenue, le choix du report du démembrement ou du quasi-usufruit doit respecter trois conditions. Premièrement, il doit être réalisé en amont de la cession, ou a minima au moment de la cession et revêtir date certaine. Deuxièmement, il doit être constaté dans un acte notarié ou sous seing privé enregistré afin d’être opposable à l’administration fiscale ; le prévoir dans la donation-partage plutôt que dans le pacte adjoint est à cet égard préférable. Enfin, il doit être exprimé de façon claire et non-équivoque. Sur ce point, l’arrêt du 2 avril 2021 est parfaitement cohérent avec la jurisprudence de 2012 (CE, 12 déc. 2012, n°s 336273 et 336303), selon laquelle la seule possibilité de procéder à un remploi du prix de cession ne permet pas de justifier l’imposition au nom du seul nu-propriétaire. Le champ de l’obligation de remploi doit être précis, et exprimé en termes de pourcentage du prix de cession pour éviter tout équivoque », conclut l’avocat.
Référence : AJU000i7