Donation-cession et plus-value d’apport : le transfert d’imposition jugé conforme

Publié le 14/06/2019

Le Conseil constitutionnel confirme la constitutionnalité de l’article 150-O B ter du CGI qui détermine les conditions du report d’imposition d’une plus-value réalisée dans le cadre d’un apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur.

Dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), publiée le 12 avril dernier (Cons. const., 12 avr. 2019, n° 2019-775 QPC), le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de l’article 150-0 B ter II du Code général des impôts (CGI) qui prévoit le transfert, sur la tête du donataire, de la plus-value d’échange de titres placée en report d’imposition dans le cadre d’une opération de donation-cession de titres. Les Sages avaient pourtant censuré ce principe de transfert de l’imposition dans les schémas de donation-cession, lors de l’adoption de la loi de finances rectificative pour 2012. Retour sur le débat qui avait alors eu cours et qui constitue le point de départ de l’affaire jugée le 12 avril dernier.

Donation-cession de titres

Lorsque le détenteur de titres veut donner ses titres dans un schéma de transmission familiale, deux voies s’offrent à lui. Soit il cède ses titres puis les donne : cette chronologie entraîne la superposition de l’impôt. Le donateur doit en effet s’acquitter de l’impôt sur le revenu à raison des plus-values réalisées lors de la cession des titres, puis des droits de donation. Au contraire, s’il procède d’abord à la donation des titres, et que le donataire se charge de les céder, la donation purge la plus-value. Il n’y a donc pas d’imposition de la plus-value. Ce second schéma a toujours été plus favorable aux particuliers.

En 2012, à l’occasion d’une refonte complète d’introduction d’un mécanisme d’imposition de cession des titres du donataire par la loi de finances rectificative pour 2012, le législateur avait prévu qu’après la donation, le donataire qui cédait les titres devrait calculer le prix de cession non pas par rapport au prix auquel les titres étaient entrés dans son patrimoine, mais par rapport à la valeur à laquelle ils étaient rentrés dans le patrimoine du donateur. Le législateur avait prévu que ce transfert de charges interviendrait si la cession intervenait dans un délai de 18 mois suivant la donation.

Saisi par 60 parlementaires pour contrariété au principe d’égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel avait censuré cette disposition (Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-661 DC, loi de finances rectificative pour 2012) : « considérant que les dispositions contestées font peser sur les donataires de valeurs mobilières une imposition supplémentaire qui est sans lien avec leur situation mais est liée à l’enrichissement du donateur antérieur au transfert de propriété des valeurs mobilières ; que le critère de la durée séparant la donation de la cession à titre onéreux des valeurs mobilières est à lui seul insuffisant pour présumer de manière irréfragable que la succession de ces deux opérations est intervenue à la seule fin d’éluder le paiement de l’imposition des plus-values ; que le législateur n’a donc pas retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objectif poursuivi ; que, par suite, il a méconnu les exigences de l’article 13 de la Déclaration de 1789 ».

Plus-value d’apport des titres

Dans l’affaire à l’origine de la QPC, c’est une variante de la donation-cession de titres qui a été soumise à l’examen des Sages : la plus-value résulte ici de l’apport des titres. Le requérant, Monsieur J. avait apporté ses titres à une holding. La plus-value-réalisée À l’occasion de cet échange de titres avait été neutralisée conformément à l’article 150-0 B ter du CGI qui, dans sa version issue de la loi n ° 2012-1510 de finances pour 2012, prévoit que les plus-values d’apport réalisées, depuis le 14 novembre 2012 au profit d’une société contrôlée par l’apporteur devaient être placées de plein droit en report d’imposition. Le report d’imposition expire lorsque les titres sont cédés par la société bénéficiaire de l’apport dans les trois ans à compter de celui-ci.

Si les titres avaient été donnés avant leur cession, la plus-value d’échange de titres aurait été exonérée d’impôt. Mais la loi avait maintenu le principe du transfert de l’imposition, dans cette situation particulière où les titres qui font l’objet de la donation résultent eux-mêmes d’opération préalable d’apport ou d’échange. Dans cette situation, si les titres donnés sont cédés dans les 18 mois suivant la donation, le report d’imposition tombait et l’impôt était dû entre les mains du donataire. Ce délai de 18 mois était destiné à éviter que la plus-value soit purgée par la succession d’une opération de donation puis de cession. Au-delà du délai de 18 mois, la plus-value en report est définitivement exonérée, comme en cas de cession des titres apportés après trois ans ou du réinvestissement du produit de cession.

Pour Éric Ginter, l’avocat du requérant, cette variante – la plus-value résulte de l’apport des titres – avait été introduite avec le dispositif principal sans débat au Parlement et n’avait pas été visé par le recours en constitutionnalité. Pour lui, ce dispositif corollaire « encourt les mêmes griefs » : il fait peser sur les donataires de valeurs mobilières une imposition liée à l’enrichissement antérieur des donateurs. En cela, elle ne respecte pas le principe d’égalité devant les charges publiques consacré par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Il ajoute que ce transfert d’imposition ne saurait être justifié par la nécessité de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales dès lors qu’il ne peut être considéré en lui-même comme abusif. Il invitait donc les Sages à achever son raisonnement en censurant cette disposition avec un effet immédiat.

Pour Philippe Blanc, secrétaire général du gouvernement, le texte incriminé a pour vocation à faire obstacle à la réalisation de schémas d’optimisation fiscale rendu possible par apport de titres. Le contribuable bénéficie indirectement des liquidités de la cession des titres apportés, puisqu’il contrôle la société sans lui-même avoir à céder les titres et donc avoir été imposé de la plus-value d’apport puisqu’il y a eu report d’imposition. Le législateur a donc maintenu une imposition différée, la plus-value étant définitivement reportée trois ans après l’apport ou lorsque le produit de la cession fait l’objet d’un réinvestissement.

Décision de conformité

Le Conseil constitutionnel a jugé que l’imposition du donataire était parfaitement conforme à la constitution, a fortiori parce que celui-ci peut purger la plus-value en report dès lors qu’il cède ses titres après 18 mois à compter de la donation.

Il a rappelé que les dispositions contestées s’inscrivent dans un mécanisme de report d’imposition qui vise à favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échanges de titres, en évitant que le contribuable soit contraint de vendre une partie des titres qu’il a reçus lors de l’échange pour acquitter la plus-value qu’il a réalisée, à cette occasion, sur les titres apportés. Afin de maintenir le bénéfice du report d’imposition, en cas de donation, le législateur a transféré la charge d’imposition du donateur au donataire.

En outre, la plus-value réalisée à l’occasion de l’échange est constatée et déclarée par le contribuable et placée en report d’imposition. « Au moment de la donation des titres reçus en échange de l’apport, le donataire mentionne, dans la proportion des titres transmis, le montant de la plus-value en report dans la déclaration de revenus. Ainsi, lorsqu’il accepte la donation, le donataire a une connaissance exacte du montant et des modalités de l’imposition des plus-values placées en report qui grève les titres qu’il reçoit ».

Enfin, il n’est mis fin au report de l’imposition de ces plus-values que lorsque le donataire cède les titres qui lui ont été donnés ou lorsque la société bénéficiaire, qu’il contrôle, cède les titres apportés. Au surplus, la plus-value placée en report d’imposition est définitivement exonérée lorsque le donataire cède les titres au-delà d’un délai de dix-huit mois. Il en est de même en cas de cession des titres apportés, par la société, au-delà d’un délai de trois ans ou lorsque le produit de la cession fait l’objet d’un réinvestissement.

Pour les Sages, « le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi et n’a pas méconnu l’exigence de prise en compte des capacités contributives ».

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