CVAE et groupes intégrés

Publié le 20/06/2017

Le Conseil constitutionnel invalide les dispositions relatives au calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée pour les sociétés membres d’un groupe relevant des articles 223 et suivants du Code général des impôts.

Le Conseil constitutionnel remet en cause les règles applicables en matière de calcul de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) s’agissant des sociétés faisant partie d’un groupe intégré. Rappelons que l’article 223 A du Code général des impôts (CGI) permet à une société, sur option, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et par les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital. Pour ces sociétés, le taux de CVAE applicable doit être déterminé en retenant la somme des chiffres d’affaires réalisés par les sociétés du groupe, ce qui peut conduire à une augmentation de la CVAE payée individuellement par les sociétés membres, par rapport au montant qu’elles paieraient si elles n’étaient pas intégrées1. Le Conseil constitutionnel juge donc contraire à la Constitution le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du Code général des impôts (CGI) qui prévoit que lorsqu’une société est membre d’un groupe mentionné à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis du CGI, le chiffre d’affaires à retenir pour l’application du I de l’article 1586 quater précité s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe.

Une atteinte au principe d’égalité devant la loi ?

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 mars dernier par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI2.

La requérante, la société FB Finance est la mère d’un groupe fiscalement intégré comprenant les sociétés Holding Groupe Bulteau et Bulteau Systems Distributions, qui exercent une activité dans le secteur de la fabrication et la distribution d’emballages industriels. À la suite d’un contrôle, l’Administration a remis en cause le taux d’imposition effectif à la CVAE auquel cette société a été soumise au motif que, pour le calcul du dégrèvement barémique, elle avait pris en compte son chiffre d’affaires et non la somme des chiffres d’affaires de toutes les sociétés du groupe dont elle est membre, en méconnaissance des dispositions du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI. Dans le cadre d’une proposition de rectification, en date du 21 juillet 2014, l’Administration lui a notifié des suppléments de CVAE au titre des années 2011, 2012 et 2013. Après le rejet de sa réclamation, la société requérante a demandé au tribunal administratif de Lille la décharge de ces suppléments d’imposition. À l’appui de ce recours, elle a présenté une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI. Après l’avoir restreinte au seul premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI, le Conseil d’État a renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, au motif que « le moyen tiré de ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d’égalité devant la loi soulève une question présentant un caractère sérieux ». Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

La société requérante soutenait que les dispositions litigieuses traitent différemment, pour la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), les sociétés membres d’un groupe, selon que celui-ci relève ou non du régime de l’intégration fiscale. Le Conseil constitutionnel, après avoir constaté que les dispositions contestées opèrent la différence de traitement contestée par la société, juge que cette différence peut être justifiée par le motif d’intérêt général consistant à faire obstacle à des comportements d’optimisation résultant d’opérations de restructuration. Il précise toutefois que le critère retenu par le législateur pour fonder la différence de traitement n’est pas en adéquation avec l’objectif poursuivi par le texte. Le Conseil constitutionnel retient que si le législateur peut prévoir des modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe, il ne peut distinguer entre ces groupes selon qu’ils relèvent ou non du régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’ils peuvent tous réaliser des opérations de restructuration susceptibles de conduire à une optimisation. Le critère de l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale n’est donc pas, en l’espèce, en adéquation avec l’objet de la loi.

La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

La CVAE régie par les articles 1586 ter à 1586 nonies du CGI, est, avec la contribution foncière des entreprises (CFE), l’un des deux éléments de la contribution économique territoriale (CET), qui s’est substituée à la taxe professionnelle depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010. En instituant ce nouveau dispositif d’imposition, le législateur a entendu répartir plus équitablement son poids entre les différents secteurs d’activité et améliorer la compétitivité des entreprises. En pratique, sont assujetties à la CVAE les personnes physiques et morales qui exercent une activité passible de la CFE dont le chiffre d’affaires annuel excède 500 000 €. En effet, si le montant légal d’assujettissement est, en droit, fixé à 152 500 €, conformément à l’article 1586 ter, I, du CGI, il est en réalité porté à 500 000 € par l’effet du dégrèvement barémique prévu par le législateur (v. infra l’encadré « Le dégrèvement barémique »). La CVAE a pour assiette la valeur ajoutée produite par l’entreprise au cours de l’année au titre de laquelle l’imposition est établie. La valeur ajoutée ici prise en compte ne se confond pas avec la valeur ajoutée sur laquelle est assise la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Elle correspond, de manière schématique, au chiffre d’affaires de l’entreprise, déduction faite de certaines charges, selon l’approche dite différentielle.

Une inégalité de traitement ?

Une question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. En l’espèce, la question a été soulevée à l’occasion d’un litige relatif à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due au titre des années 2011 à 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus. Le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI, dans cette rédaction, prévoit que lorsqu’une société est membre d’un groupe mentionné à l’article 223 A, le chiffre d’affaires à retenir s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe. La société requérante et les parties intervenantes soutenaient qu’en traitant différemment, pour la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, les sociétés membres d’un groupe, selon que celui-ci relève ou non du régime de l’intégration fiscale, les dispositions contestées méconnaîtraient les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Serait également méconnue la garantie des droits, proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 à un double titre. D’une part, les dispositions contestées s’appliqueraient de manière rétroactive aux sociétés ayant déjà opté pour le régime de l’intégration fiscale. D’autre part, elles priveraient les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré des effets qu’elles pouvaient attendre du mécanisme de dégrèvement transitoire pour la contribution économique territoriale.

L’application de la CVAE dans le cadre d’un groupe intégré

En vertu de l’article 1586 ter du CGI, les personnes qui exercent une activité soumise à la cotisation foncière des entreprises et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 152 500 € sont assujetties à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette imposition est assise sur la valeur ajoutée produite par l’entreprise et s’applique au taux de 1,5 %. Toutefois, l’entreprise peut bénéficier du dégrèvement institué par le paragraphe I de l’article 1586 quater du CGI égal à la différence entre, d’une part, le montant de la cotisation calculée au taux de 1,5 % et, d’autre part, l’application à la valeur ajoutée produite d’un taux fonction de son chiffre d’affaires. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises s’applique ainsi selon un barème progressif, qui comprend cinq tranches en fonction du chiffre d’affaires.

Le paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI, objet de la présente QPC, prévoit que pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré au sens de cet article 223 A et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur ou égal à 7 630 000 €, c’est-à-dire les groupes intégrés dont la société mère ne bénéficie pas du taux réduit d’impôt sur les sociétés prévu à l’article 219 du CGI, le dégrèvement barémique de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculé selon des modalités spécifiques. Dans ce cas, même si l’imposition est assise sur la valeur ajoutée de chaque société, le chiffre d’affaires à retenir pour déterminer le taux s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe. Dans ce cas, le chiffre d’affaires à retenir s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe et non du chiffre d’affaires de la seule société redevable. Ainsi, à l’exception des sociétés dont le chiffre d’affaires excède 50 000 000 d’euros, les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré sont, à chiffre d’affaires égal, plus lourdement imposées que les entreprises n’appartenant pas à un tel groupe. Cette consolidation s’applique uniquement pour le calcul du dégrèvement barémique. Elle ne s’applique pas pour le montant de chiffre d’affaires déterminant le champ d’application (152 500 €), qui s’apprécie au niveau de chaque société. Ainsi, si une société réalise un chiffre d’affaires de 450 000 €, pour une valeur ajoutée de 300 000 €, dans la mesure où son chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 €, son taux effectif d’imposition est de 0 %, et elle n’a aucune CVAE à ajouter. En revanche, si cette même société est membre d’un groupe intégré dont le chiffre d’affaires consolidé s’élève à 20 000 000 €, le taux effectif d’imposition à la CVAE sera de 1,43 %, soit un montant à payer de CVAE égal à de 4 290 €. Ces règles aboutissent à imposer une société intégrée à la CVAE alors qu’elle n’aurait été soumise à aucune imposition dans le cas où elle n’aurait appartenu à aucun groupe intégré. Ainsi, les sociétés appartenant à un groupe dans lequel la condition de détention de 95 % fixée par l’article 223 A est remplie font l’objet d’un traitement différent, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale.

Le raisonnement du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel commence par rappeler que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est une imposition distincte de l’impôt sur les sociétés. Les modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée instituées par les dispositions contestées sont donc sans lien avec le régime de l’intégration fiscale, qui a pour objet, en matière d’impôt sur les sociétés, de compenser, au titre d’un même exercice, les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés membres du groupe. Par conséquent, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, les sociétés appartenant à un groupe sont placées, au regard de l’objet de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dans la même situation, que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale. En instituant des modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d’opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de cette cotisation dû par l’ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d’affaires en son sein. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. Toutefois, s’il pouvait, à cet effet, prévoir des modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, il ne pouvait distinguer entre ces groupes selon qu’ils relèvent ou non du régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’ils peuvent tous réaliser de telles opérations de restructuration. Le critère de l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale n’est donc pas en adéquation avec l’objet de la loi. Dès lors, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d’égalité devant la loi conclut le Conseil constitutionnel, pour qui le premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 doit être déclaré contraire à la Constitution.

Quelles conséquences pour cette déclaration d’inconstitutionnalité ?

Conformément à l’article 62, deuxième alinéa de la Constitution, « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution permettent au Conseil constitutionnel de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets ainsi que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. En l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, sous réserve du respect des délais et conditions prévus par le Livre des procédures fiscales.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 19 mai 2017, n° 2017-629 QPC, Société FB Finance.
  • 2.
    CE, 1er mars 2017, n° 406024.
LPA 20 Juin. 2017, n° 127c9, p.4

Référence : LPA 20 Juin. 2017, n° 127c9, p.4

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