De l’ISF à IFI : quel bilan ?

Publié le 02/12/2021
ISF
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Augmentation des dividendes versés aux ménages, baisse des expatriations fiscales : le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital recense les effets possibles de la réforme de l’ISF sans pouvoir conclure à l’efficacité de la réforme en matière de fléchage vers les actifs mobiliers et de financement des entreprises.

Le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital vient de rendre son rapport sur l’impact de la rénovation de la fiscalité du capital (www.strategie.gouv.fr) : instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus de l’épargne, remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt recentré sur la fortune immobilière (IFI). Il s’agit du troisième rapport depuis décembre 2018. Rendu en octobre 2019, le premier rapport avait notamment présenté les éléments d’évaluation disponibles de la réforme de 2018 et les premiers éléments chiffrés sur les contribuables qui en bénéficiaient et sur son coût pour les finances publiques. Le deuxième rapport du Comité, publié en octobre 2020, outre un éclairage plus poussé de la position de la France avant et après réforme par rapport aux autres pays développés en matière d’imposition des ménages sur leur patrimoine et sur les revenus qu’il génère a présenté les tout premiers éléments d’évaluation de l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) et de la transformationde l’ISF en IFI, même s’ils restaient très parcellaires, en particulier s’agissant de la réforme de l’impôt sur la fortune. Ce troisième rapport actualise les éléments chiffrés et qualitatifs fournis dans les précédents rapports.

Quel impact de la crise sanitaire ?

La plupart des analyses sur données microéconomiques présentées dans le rapport portent sur les années 2018 et 2019 et ne sont donc pas affectées par la crise de 2020. Pour le Comité « il est très difficile pour l’heure de se prononcer sur les conséquences de la crise quant à l’efficacité et la pertinence des réformes de la fiscalité du capital de 2018, ainsi que sur la capacité à en identifier les effets. Il est toutefois probable que cette crise va perturber la capacité à identifier les effets des réformes de 2018 ». Les méthodes d’estimation des effets du PFU et de la transformation de l’ISF en IFI resteront valides sur les années 2020 et suivantes, à condition que sur l’ensemble de la population des entreprises, l’ampleur de l’impact de la crise s’avère statistiquement décorrélée de l’ampleur de l’exposition des actionnaires aux réformes de 2018.

Un taux de prélèvements obligatoires plus élevé qu’ailleurs

Exprimés en pourcentage du PIB, les prélèvements sur le capital en France, c’est-à-dire l’ensemble des prélèvements sur les ménages et les entreprises au titre d’une détention, d’un revenu ou d‘une transmission de patrimoine, s’établissent en 2019 au même niveau qu’en 2017, le dynamisme des assiettes taxées compensant les baisses des taux d’imposition engagées depuis 2018. Ils demeurent parmi les plus élevés en termes de standards internationaux. Les réformes de 2018 « ont conduit à ramener les taux d’imposition de la France sur les actifs mobiliers à des niveaux proches de la moyenne observée dans les principaux pays développés, ce mouvement étant mécaniquement plus notable pour les contribuables les plus aisés », souligne le rapport. Avec la mise en place du PFU et la suppression de l’ISF, la France rejoint de fait la situation majoritaire des pays s’agissant des capitaux mobiliers, où les revenus sont imposés à un taux unique (flat tax) et où il n’existe pas d’imposition annuelle sur le patrimoine. On peut cependant noter que, depuis 2020, plusieurs pays ont annoncé des projets de relèvement du taux d’imposition sur le capital, dont les États-Unis et le Royaume-Uni.

Fléchage vers les actifs mobiliers ?

Un des objectifs de transformation de l’ISF en IFI a consisté à réorienter les investissements des ménages en faveur des actifs mobiliers. Si on se concentre sur les assujettis à l’ISF détenteurs en 2015 de plus de trois millions d’euros d’actifs immobiliers, on observe une augmentation notable du nombre de foyers déclarant une baisse substantielle de leur patrimoine immobilier (12 % en moyenne sur 2018-2020 contre 6 % en 2017). Ce fait, pour notable qu’il soit, demandera à être complété par d’autres analyses avant de pouvoir conclure sur les effets de la réforme. Dans le même temps, les recettes de l’IFI sont stables en 2020, à 1,6 milliard d’euros. On note une forte progression des dividendes déclarés par les ménages au titre de 2018 (23 milliards d’euros contre 14 milliards en 2017), qui s’est confirmée en 2019, avec une augmentation supplémentaire de l’ordre d’un milliard, et en 2020, année durant laquelle ces chiffres sont restés stables. Chaque année, souligne le rapport « la masse des dividendes reçus par les ménages (hors PEA, hors assurance-vie et hors sociétés soumises à l’IRPP) est concentrée sur un petit nombre de foyers, et les plus-values encore davantage, car elles sont réalisées plus rarement, pour des montants plus élevés ». En 2019, tout comme en 2018, les dividendes ont été encore plus concentrés qu’en 2017. En 2019, 62 % ont été reçus par 39 000 foyers (0,1 % des foyers), dont 31 % par 3 900 foyers (0,01 % des foyers), alors qu’en 2017 la moitié avait été reçue par 38 000 foyers, dont 22 % par 3 800 foyers. La concentration des plus-values mobilières réalisées a, elle aussi, augmenté : 3 900 foyers (0,01 % des foyers) concentrent 76 % des plus-values de droit commun en 2019, contre 62 % en 2017. C’est moins le cas pour les intérêts reçus : 39 000 foyers concentrent un peu plus de 15 % du total, en 2017 comme en 2019. Le taux d’imposition moyen des revenus au titre de l’IR est resté stable entre 2017 et 2019 à l’exception du dernier centile, pour lesquels il a baissé. Le taux d’imposition des ménages les plus aisés en 2019 reste supérieur à son niveau de 2011, c’est-à-dire avant la mise au barème des revenus du capital, alors que sur la même période les prélèvements sociaux sur les revenus du capital ont par ailleurs été augmentés de 2,5 points.

Moins d’expatriations

Le rapport s’est également penché sur les départs et retours des contribuables les plus fortunés. Depuis le passage de l’ISF à l’IFI, on observe une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français fortunés. En 2018 et 2019, le nombre de retours de foyers taxables à l’IFI dépasse le nombre de départs, alors qu’on constatait l’inverse pour les flux de contribuables à l’ISF les années précédentes. Cette évolution porte toutefois sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines, à comparer avec les 130 000 contribuables assujettis à l’IFI en 2019. Pour les contribuables qui déclarent plus de 50 000 ou 100 000 euros de revenus de capitaux mobiliers par an le taux de départ est en baisse et le taux de retour est en hausse marquée à partir de 2017, alors qu’il était stable auparavant.

Le financement des entreprises facilité ?

La suppression de l’ISF a-t-elle permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises ? Il est difficile de répondre à cette question par l’affirmative. On observe en 2020 que les flux de placements financiers des ménages ont fortement augmenté pour atteindre 205 milliards d’euros, soit une hausse de 75 milliards, après celle de 28 milliards enregistrée en 2019. Les placements en actions (détenues directement ou indirectement) et en assurance-vie en unités de compte s’élèvent à 47 milliards en 2020, soit 22 % des placements financiers des ménages, une part bien supérieure à celle de 2019 (9 %), mais similaire à celle de 2017. Pour les sociétés non financières, les flux de financement en actions sont en forte hausse en 2020, de 55 à 95 milliards d’euros, dans un contexte où la dette brute des entreprises a fortement augmenté (+ 140 milliards d’euros, en premier lieu via le mécanisme de prêt garanti mis en place par l’État durant la crise), mais pas la dette nette. Les levées de fonds de capital-investissement auprès des investisseurs particuliers français plafonnent depuis 2016, après une forte progression lors des six années précédentes. La seule évolution notable depuis 2018 concerne la chute des levées de fonds pour les FCPI/FIP, probablement du fait de la suppression de la niche ISF PME, mais cette chute a en fait été compensée par un surcroît de capital-investissement via d’autres canaux.

Augmentation des dividendes et PFU

Peut-on conclure à un lien entre la forte augmentation des dividendes versés aux ménages en 2018 et la mise en place du PFU ? Pour le Comité, « la majorité de cette augmentation a bien été causée par l’instauration du PFU ». Au niveau macroéconomique, les dividendes ont chuté en 2013 simultanément à la mise en place de la barémisation, puis ont retrouvé leur niveau initial en 2018 simultanément à la mise en place du PFU et se sont maintenus à ce niveau en 2019 et 2020. Le surcroît de versement de dividendes est essentiellement observé chez les entreprises non cotées contrôlées par des personnes physiques, susceptibles de pouvoir adapter le montant de dividendes versés en fonction de leur fiscalité. Cependant l’instauration du PFU pourrait ne pas constituer le seul facteur causal de hausse marquée des dividendes enregistrée en 2018 comme l’amélioration de la conjoncture ou l’annonce d’une « double année » de CICE en 2019 a pu conforter les anticipations des chefs d’entreprise sur leur capacité à se verser des dividendes. En outre, la transformation de l’ISF à l’IFI a pu avoir un effet baissier sur les dividendes pour les actionnaires qui avaient besoin de dividendes pour payer l’ISF, ou haussier pour les actionnaires qui réduisaient au maximum leurs dividendes afin de bénéficier à plein du plafonnement de l’ISF.

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