IFI-ISF : jurisprudences récentes

Publié le 26/06/2019

Prise en compte des plus-values brutes pour le calcul du plafonnement ainsi que des bénéfices réalisés par une SCI non répartis, constitutionnalité des règles de déductions des prêts familiaux, réduction ISF-PME, d’importantes décisions sont intervenues en matière d’ISF/IFI.

Depuis le début de l’année, le Conseil constitutionnel a rendu deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) en matière d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et d’impôt sur la fortune immobilière (IFI). La Cour de cassation vient également de rendre un arrêt intéressant sur la prise en compte, pour le plafonnement de l’impôt, des bénéfices réalisés par une SCI non répartis.

Les règles de déduction des prêts familiaux sont constitutionnelles

Dans une récente QPC, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur la constitutionnalité des règles de déduction des prêts familiaux (Cons. const., 17 mai 2019 n° 2019-782 QPC) en matière d’ISF.

Dans cette affaire transmise par la Cour de cassation (Cass. com., 20 fév. 2019, no 18-40046 QPC), un redevable de l’ISF, avait emprunté de l’argent à l’un de ses héritiers. L’article 885 D du CGI par renvoi aux règles applicables aux droits de successions (CGI, art. 773 2°), ne lui permettait de déduire la dette correspondante que si le prêt avait été constaté par un acte authentique ou un acte sous seing privé ayant date certaine.

Pour le requérant, ce renvoi à l’article 773 2° du CGI contrevenait au principe d’égalité devant la loi, en introduisant une différence de traitement entre les redevables de cet impôt selon que le redevable a contracté une dette auprès d’un membre de sa famille ou auprès d’un tiers. Or cette différence de traitement serait injustifiée dès lors que l’article 773 aurait pour seul objet d’éviter les fraudes aux droits de succession.

Par ailleurs, à supposer même que le législateur ait entendu poursuivre un objectif de lutte contre la fraude fiscale dans le cadre de l’ISF, cette différence de traitement ne serait pas cohérente avec cet objectif dès lors que le risque de fraude serait identique, que le prêteur soit un héritier ou une autre personne proche de l’emprunteur.

Enfin, cette différence de traitement serait dépourvue de toute justification lorsque le prêt est consenti par un héritier lui-même soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune et qui doit à ce titre inclure sa créance dans sa déclaration de patrimoine.

En outre, le requérant soutenait que le renvoi opéré par l’article 885 D au 2° de l’article 773 violait le principe d’égalité devant les charges publiques. Ce renvoi aurait pour conséquence une situation dans laquelle le même prêt serait considéré, pour l’emprunteur, comme une dette fictive non déductible de son patrimoine et, pour le prêteur, comme une créance réelle imposable. Il en résulterait une double imposition contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.

La requérante soutient également que ce dispositif ferait peser une charge excessive sur le contribuable qui devrait intégrer dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune un bien sans pouvoir déduire de cette assiette la dette effectivement contractée pour l’achat de ce bien.

Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le renvoi opéré par l’article 885 D du Code général des impôts au 2° de l’article 773 du CGI. En effet, la différence de traitement entre les redevables de l’ISF selon que la dette qu’ils ont contractée l’a été à l’égard d’un de leurs héritiers ou d’une personne interposée, d’une part, ou à l’égard d’un tiers, d’autre part, se justifie par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, un objectif de valeur constitutionnelle. Le législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes et ainsi réduire les risques de minoration de l’ISF qu’il a jugés plus élevés dans le premier cas compte tenu des liens unissant une personne et ses héritiers. En outre, « les dispositions contestées n’ont pas pour objet d’interdire à un redevable de l’ISF, qui souhaite déduire de son patrimoine la dette contractée auprès d’un héritier ou d’une personne interposée, d’en prouver l’existence et la sincérité », mais « elles ont seulement pour objet d’exiger à cette fin qu’elle ait fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé ayant date certaine ».

Enfin, dans l’hypothèse où cette formalité n’a pas été respectée et où l’héritier ou la personne interposée ayant consenti le prêt sont eux-mêmes redevables de l’ISF, les dispositions contestées n’ont pas pour effet d’imposer deux fois une même personne sur un même patrimoine.

Plafonnement : les bénéfices réalisés par une SCI non répartis sont pris en compte 

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt en matière d’ISF, transposable à l’IFI, pour le calcul du plafonnement (Cass. com, 28 mars 2019, n° 17-23671). Elle y affirme que le redevable associé d’une société de personnes doit tenir compte de la quote-part de bénéfices sociaux lui revenant, même si ces bénéfices n’ont pas été distribués, pour le calcul du plafonnement IFI. Selon l’article 979 du Code général des impôts (CGI), le cumul de l’ISF/IFI et des impositions sur les revenus ne peut excéder 75 % du total des revenus du contribuable.

Madame était associée, avec ses enfants mineurs, d’une SCI laquelle, n’ayant pas opté pour le régime de l’impôt sur les sociétés, a réalisé une plus-value immobilière, en 2007, dont les associés ont décidé la mise en réserve. Dans leur déclaration ISF au titre de l’année 2008, Madame F et son époux n’ont pas jugé bon de prendre en compte la fraction de la plus-value immobilière correspondant à la quote-part des droits sociaux détenus par Madame F et ses enfants dans la SCI pour le calcul du plafonnement prévu par l’article 885 V bis du Code général des impôts.

Devant la Cour de cassation, les époux faisant valoir que les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant que l’organe social compétent n’ait constaté l’existence de sommes distribuables et déterminé la part attribuée à chaque associé, et qu’en l’espèce, la plus-value immobilière réalisée par la SCI dont le résultat avait été mis en réserve, n’étaient qu’un revenu latent non-perçu ; il ne pouvait dès lors être intégré dans les revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement de l’ISF dont ils étaient redevables au titre de l’année 2008. Ils arguaient également du droit au respect des biens et à l’impératif de protection du droit de propriété.

Des arguments non entendus par la Cour de cassation, qui a considéré que la plus-value immobilière réalisée par une société non passible de l’impôt sur les sociétés dont les associés ont décidé la mise en réserve doivent être pris en compte pour le calcul du plafonnement de l’impôt sur la fortune dont sont redevables les associés, à proportion de leur part dans le capital social.

La Cour de cassation a tout d’abord rappelé qu’ « en application de l’article 8 du CGI, le résultat bénéficiaire d’une société de personnes, non soumise à l’impôt sur les sociétés, est directement imposé entre les mains de ses associés à proportion de leur part dans le capital social, indépendamment de la distribution d’un dividende à ces derniers », elle indique que « les revenus nets du contribuable entrant dans le calcul du plafonnement de l’ISF devant s’entendre des revenus réalisés et non nécessairement perçus par le contribuable, il est indifférent que les bénéfices réalisés par la société n’aient pas été distribués, de sorte que la plus-value immobilière réalisée par la SCI doit être prise en compte dans la détermination du plafonnement de l’ISF au titre de l’année 2008, tout comme l’imposition correspondante à raison des parts sociales détenues » par le redevable.

Plafonnement : prise en compte du montant brut des plus-values

Dans une décision du 15 janvier dernier, le Conseil constitutionnel a considéré que les modalités de calcul du plafonnement de l’IFI, en ce qu’elles prennent en compte les plus-values pour leur montant brut, n’entraînent pas une rupture du principe d’égalité. Dans cette QPC (Cons. const., 15 janv. 2019, n° 2018-755 QPC) transmise par le Conseil d’État (CE, 12 oct. 2018, n°422618 QPC) pour le calcul du plafonnement de l’IFI, l’article 979 du CGI, prévoit que « les plus-values ainsi que tous les revenus sont déterminés sans considération des exonérations, seuils, réductions et abattements prévus au présent code, à l’exception de ceux représentatifs de frais professionnels ». Elles sont donc prises à hauteur de leur montant brut, ce qui, pour le contribuable requérant a pour effet de majorer artificiellement les revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement. Il en résulterait une méconnaissance des capacités contributives des redevables de l’IFI et donc une rupture d’égalité devant les charges publiques, garantie par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel a considéré que le « fait que les dispositions contestées incluent dans ces revenus les plus-values réalisées par le contribuable, sans prendre en compte l’érosion monétaire entre la date d’acquisition des biens ou droits et celle de leur cession, ne méconnaît pas l’exigence de prise en compte des facultés contributives résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789 ». Tout d’abord, parce que l’article 979 du CGI n’a pas pour objet de déterminer les conditions d’imposition des plus-values mais les modalités selon lesquelles ces plus-values sont prises en compte dans les revenus en fonction desquels est plafonné l’IFI. Ensuite, parce qu’« en prenant en compte, dans le calcul de ce plafonnement, les plus-values à hauteur de leur montant brut, le législateur a intégré aux revenus du contribuable des sommes correspondant à des revenus que ce dernier a réalisés et dont il a disposé au cours de la même année ».

Parallèlement à cette QPC, la Cour de cassation a elle aussi transmis, le 10 janvier 2019, une QPC sur la constitutionnalité des modalités de prise en compte des plus-values pour le calcul du plafonnement de l’ISF (Cass. com. 10 janv. 2019, n° 18-40038 QPC ).

La cour rappelle que par une décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, le Conseil constitutionnel a jugé que « le législateur ne pouvait, sans méconnaître l’exigence de prise en compte des facultés contributives des contribuables, prévoir l’assujettissement à l’impôt sur le revenu de plus-values de cession de valeurs mobilières, quel que soit le délai écoulé depuis la date d’acquisition des biens cédés, sans égard à l’érosion de la valeur de la monnaie ni application d’aucun abattement sur le montant de la plus-value brute ». Cette précision constitue un changement de circonstance de droit affectant la portée de la disposition législative considérée, qui en justifie le réexamen.

De plus, « les dispositions contestées ont pour effet d’intégrer dans le revenu du contribuable, pour le calcul du plafonnement de l’ISF, des sommes qui, au titre des plus-values, ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année d’imposition ». La cour estime qu’en l’absence de prise en compte de l’érosion de la valeur de la monnaie ni application d’abattement ou exonération sur le montant de la plus-value brute, ces dispositions sont susceptibles de méconnaître le respect des capacités contributives des contribuables et partant le principe d’égalité devant les charges publiques.

Réduction IR et ISF : les souscriptions au capital des PME de courtage d’assurances

Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État vient de rendre un arrêt relatif à l’ancienne réduction ISF-PME (CE, 9 mai 2019, n° 428692). Pour mémoire, la souscription au capital de PME ouvrait droit, alternativement, à une réduction d’impôt sur le revenu toujours existante (CGI, art.199 terdecies 0-A) ou à une réduction d’ISF, fixée à 50 % du montant des versements, et plafonnée à 45 000 euros (CGI, anc. art. 885-0 V bis).

Entre autres conditions, l’entreprise éligible à la réduction ISF-PME devait exercer, de manière exclusive, une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Étaient exclues toutes les activités de gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier, y compris la location de locaux meublés ou équipés (hors hébergements touristiques), les marchands de biens, les syndics et administrateurs de biens, les agences immobilières.

La doctrine administrative figurant au BOI-PAT-ISF-40-30-10-20 n° 130 du 12-9-2012 et au BOI-IR-RICI-90-10-20-10 n° 80 du 13-1-2014 commentant les activités financières exclues du bénéfice de la réduction, y intégrait l’activité de courtier en assurances : « les souscriptions au capital de PME qui exercent une activité financière sont désormais exclues du bénéfice de la réduction d’ISF. Par activités financières, il convient d’entendre les activités de banque (services de dépôts, distribution de crédits, gestion de fonds…), de finance (administration de marchés financiers, courtage de valeurs mobilières…), et d’assurance, prévues à la section K de la codification NAF. L’exclusion vise notamment les activités bancaires et d’assurances exercées en principe par des établissements de crédit (y compris les établissements de crédit-bail) et des entreprises d’assurance de toute nature, les activités d’intermédiation financière telles que la gestion de portefeuille pour soi ou pour autrui, l’affacturage, les services auxiliaires financiers et d’assurance (courtiers, agents d’assurances) et les activités de change ».

Le Conseil d’État a considéré que la nature de l’activité de courtier en assurances doit être déterminée au regard des caractéristiques de la prestation que le courtier fournit à son client, et non pas en fonction de l’objet du contrat en vue duquel les opérations de courtage sont accomplies, ni de sa classification dans la nomenclature d’activités française, élaborée par l’INSEE à des fins statistiques.

Selon la haute juridiction « cette activité consiste à mettre en relation d’affaires une personne cherchant à acquérir une prestation d’assurance et un assureur en vue de la conclusion d’un contrat d’assurance. En fournissant cette prestation, le courtier en assurances n’agit ni au nom, ni pour le compte d’une compagnie d’assurances, mais au seul bénéfice de son client, auquel il fournit une prestation d’entremise au sens des dispositions des articles L. 131-1 et suivants du Code de commerce ».

Certes, le courtier en assurances relève du Code des assurances, mais ces dispositions de qui définissent les obligations professionnelles applicables à l’ensemble des intermédiaires en assurances n’ont ni pour objet ni pour effet d’assimiler les prestations réalisées par un courtier en assurances à celles rendues par une entreprise d’assurances.

Le Conseil d’État en conclut que l’activité de courtier en assurances revêt le caractère d’une activité commerciale et non d’une activité financière au sens et pour l’application des dispositions des articles 885-0 V bis et article 199 terdecies 0-A précitées du CGI.

LPA 26 Juin. 2019, n° 145g3, p.4

Référence : LPA 26 Juin. 2019, n° 145g3, p.4

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