Don manuel révélé : les modalités de taxation jugées conformes à la Constitution

Publié le 06/09/2021
Mécénat, dons
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Dans sa QPC n° 2021-923 du 9 juillet 2021 (Cons. const., 9 juill. 2021, n° 2021-923), le Conseil constitutionnel valide les modalités de calcul de la taxation des dons manuels révélés, l’article 757 du Code général des impôts prévoyant l’application du tarif et des éventuels abattements en vigueur au jour de la révélation, ceux applicables au moment de la donation ne trouvant à s’appliquer que s’ils entraînent une taxation supérieure.

La question de la constitutionnalité des modalités de taxation des dons manuels révélés vient d’être tranchée. Dans sa décision du 9 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a jugé l’article 757 du Code général des impôts (CGI) dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 (L. n° 2011-900, 29 juill. 2011) conforme à la Constitution (Cons. const., 9 juill. 2021, n° 2021-923 QPC, JORF n°0159, 10 juill. 2021, texte n° 65).

Pour mémoire, ce texte prévoit une obligation de déclaration ou d’enregistrement pour les dons manuels révélés à l’administration fiscale et leur assujettissement aux droits de mutation à titre gratuit selon les conditions applicables au jour de leur déclaration, de leur enregistrement ou au moment de la donation si sa valeur est supérieure.

Les modalités de calcul des droits de mutation en question

Dans l’affaire qui a donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par la Cour de cassation (Cass. com., 12 mai 2021, n° 20-21109), un artiste peintre décédé en 2005, avait offert à Monsieur L. deux tableaux en janvier 1994 et en décembre 2000. En mai 2013, le bénéficiaire avait déposé auprès de l’administration fiscale deux déclarations d’option pour le régime général de taxation des plus-values au titre des cessions ou exportations d’œuvres d’art (CGI, art. 150 VL et CGI, art. 150 VM). À la suite de ces déclarations, l’administration fiscale l’avait mis en demeure de souscrire des déclarations de dons, lesquelles ont été enregistrées en juin 2013. En juillet 2013, elle lui a adressé une proposition de rectification en matière de droit d’enregistrement, que celui-ci a contestée.

Le bénéficiaire des tableaux, auteur de la QPC, contestait les modalités de taxation des dons manuels prévues par les dispositions de l’article 757 du CGI (CGI, art. 757) « en ce qu’elles assujettissent les dons manuels aux droits de mutation à titre gratuit calculés sur la valeur du don manuel au jour de sa déclaration ou de son enregistrement ou sa valeur au jour de la donation si celle-ci est supérieure avec la prise en compte du tarif et des abattements applicables à cette même date ». Il estimait que ce texte porte atteinte au principe d’égalité et de sécurité juridique.

Le grief d’égalité devant les charges publiques

Selon Bernard Hémery, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour le requérant « le mécanisme a la particularité d’opérer sous une seule réserve, une décorrélation complète entre d’une part le don lui-même et, d’autre part le jour de sa taxation à savoir la date de sa révélation qui faute d’être insérée dans un délai précis peut intervenir plusieurs mois voire plusieurs années après la réalisation du don. Il résulte nécessairement de ce constat que pour deux dons de même valeur et réalisés le même jour, le montant de l’imposition pourra varier en fonction de la date à laquelle chacun d’entre eux aura été déclaré par le donataire, reconnu judiciairement ou révélé à l’administration fiscale. Le montant peut ainsi varier dès lors que les taux d’imposition et les abattements fiscaux viennent à changer entre-temps et tel sera évidemment le cas sur des périodes couvrant des années voire des dizaines d’années ».

Quant à la rupture d’égalité devant les charges publiques, l’avocat la considère comme établie « dès lors que par le fait de l’application aléatoire du régime d’imposition, il pourra se trouver qu’au moment de la taxation le contribuable le plus fortuné deviendra le moins imposé ».

De plus, il considérait que le régime de taxation en question est un régime libéral qui laisse au contribuable la faculté de choisir par la révélation du don la date du fait générateur de la taxation. Or, selon lui, « le principe d’égalité devant la loi fiscale suppose que ce n’est pas au contribuable de choisir son régime d’imposition mais au législateur de le fixer ».

En outre, il écarte notamment le motif d’intérêt général en rapport avec l’objet direct de la loi qui pourrait justifier la différence de traitement – à savoir l’inciter à une révélation précoce des dons au motif que « la loi elle-même permet au contribuable d’espérer l’application une législation plus favorable – ce que l’histoire a montré – et donc d’attendre sans qu’on puisse le lui reprocher, pour déclarer son don ».

Le grief tiré de la sécurité juridique

L’autre grief de l’auteur de la QPC reposait sur le principe de sécurité juridique garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. L’avocat rappelle l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 30 juin 2011 qui avait mis en exergue qu’un tel régime ne satisfait pas à un niveau d’exigence de sécurité juridique suffisant. « La notion de révélation a fait dépendre la taxation de dons manuels de la réalisation du contrôle fiscal, ce qui implique nécessairement une part d’aléa et donc d’imprévisibilité de la loi fiscale » (CEDH, 30 juin 2011, n° 8916/05, Témoins de Jéhovah c/ France).

De plus, il a fait valoir que les modalités de taxation de l’article 757 du CGI lui semblent contraires à la décision du Conseil constitutionnel se prononçant sur le délai de rapport fiscal des donations antérieures, y compris les dons manuels, car elles conduisent à appliquer des règles d’assiette qui n’étaient pas celles applicables à la date de réalisation du don (Cons. const., 9 déc. 2016, n° 2016-603).

En outre, il a avancé que « l’article 757 du CGIimpose par exception la date de réalisation pour estimer la valeur du don si celle-ci a diminué entre-temps, cette date ne peut être étrangère au fait générateur de l’imposition. Le fait générateur du don est bien le don lui-même et non sa révélation : le contribuable qui attend comme la loi l’y autorise apparaît d’emblée comme suspect voire davantage. Un tel régime en permettant de reporter sans limite de temps ses conditions d’application aboutit à le soustraire à tout régime de prescription ».

Sur le point de la prescription, le Gouvernement considérait au contraire que l’article 757 du CGI n’aboutissait pas à accorder un droit de reprise à durée excessive, aucune exigence constitutionnelle ne prévoyant par ailleurs de limiter l’action de l’administration. « Les droits de mutation à titre gratuit n’échappent à la prescription de l’article L. 186 du Livre des procédures fiscales (LPF) (LPF, art. L186) de portée générale, jusqu’à l’expiration de la 6e année suivant celle du fait générateur ». Le délai de prescription est plus court en cas d’enregistrement du don, il est de trois ans en vertu de l’article L. 181 du LPF (LPF, art. L181).

La validation par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a balayé tous les griefs avancés, et retenu tous les arguments présentés par le gouvernement. Il a tout d’abord considéré que « les dons manuels consistant en la remise matérielle d’un bien meuble, le législateur a choisi de ne soumettre leur réalisation à aucune formalité particulière. En prévoyant que, lorsqu’un don manuel est révélé à l’administration fiscale par le donataire, le fait générateur de l’imposition se situe au jour, non de sa réalisation, mais de sa révélation, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi ».

Sur l’égalité de traitement entre contribuables, il a estimé qu’« en soumettant les dons révélés aux mêmes règles d’imposition que les dons déclarés, enregistrés ou reconnus en justice, ces dispositions ne créent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les donataires ».

Sur l’objectif poursuivi par la loi, le représentant du gouvernement avait soutenu lors de l’audition publique que les modalités de taxation des dons manuels s’inscrivent à l’origine du texte, dans un objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Depuis, les travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2011 révèlent que la taxation au jour de la révélation selon les conditions de calcul applicables à cette date avait pour objectif d’inciter les contribuables et donataires à révéler spontanément, aux fins de procéder à leur révélation de manière précoce. Or au regard de ce but, les donataires ne se trouvent tous pas dans la même situation.