Révélation d’un don manuel dans le cadre d’une vérification

Publié le 28/03/2017

La réponse à une interrogation du vérificateur ne peut constituer la révélation d’un don manuel.

Le don manuel consiste à remettre, de la main à la main, différents types de biens. Il concerne les biens suivants : objets (bijoux, voiture, tableau, etc.), somme d’argent (espèces, chèque, virement), valeurs mobilières (action ou obligation, par exemple). Il n’est pas obligatoire de porter un don manuel à la connaissance de l’administration fiscale. Tant qu’il ne lui est pas révélé, aucun droit n’est à payer1. En effet, conformément aux alinéas 1 et 2 de l’article 757 du Code général des impôts (CGI), pour être imposable, le don manuel doit être révélé à l’administration fiscale par le bénéficiaire de la mutation. Cette révélation peut être faite soit spontanément, soit en réponse à une demande de l’Administration, soit au cours d’une procédure de contrôle ou d’une procédure contentieuse. Il peut s’agir par exemple, de la déclaration du donataire dans un acte soumis à enregistrement, ou au moment du décès du donateur, de la déclaration de sa succession. La révélation d’un don manuel à l’administration fiscale permet de le dater officiellement et ainsi de faire courir le délai au terme duquel l’abattement se reconstitue. La Cour de cassation a initialement admis que la révélation d’un don manuel ait lieu à l’occasion d’une vérification de comptabilité lorsque le contrôle des pièces fait apparaître des versements correspondant à des dons manuels2. Avec cette lecture de l’article 757 du CGI, alors qu’en l’absence de contrôle, un contribuable peut échapper à l’impôt en toute légalité, en cas de contrôle, il est soumis à l’impôt alors même qu’il n’a pas révélé volontairement avoir bénéficié d’un tel don. Face à cette situation, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour imprévisibilité dans la loi3.

Révélation et contrôle fiscal

Le verbe « révéler » répond à la définition usuelle suivante : « faire connaître à quelqu’un quelque chose qui était ignoré, inconnu, caché ou secret (synonyme ; dévoiler) ». Il appéhende deux sens : révéler quelque chose, dans ce cas, le sujet désigne une personne : « révéler un fait, révéler un complot, une identité, etc. » ou bien révéler quelque chose, et le sujet désigne une chose : « les documents, les circonstances révèlent que… ». De laquelle de ces acceptions relève la notion de révélation d’un don manuel ? La révélation est-elle le fait exclusif du donataire ? Cette révélation doit-elle être spontanée ? Peut-elle être le fait des circonstances comme la présentation obligatoire d’une comptabilité ? Peut-elle résulter de la réponse à la question d’un vérificateur ? Dans un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a précisé que les dons découverts au cours d’un contrôle fiscal ne peuvent être considérés comme révélés4. Elle confirme cette jurisprudence avec un nouvel arrêt5 qui vient préciser que la réponse apportée à la question d’un vérificateur ne constitue pas une révélation de ce don. En janvier 2013, la Cour de cassation avait en effet déjà précisé de façon inédite que les dons découverts au cours d’un contrôle fiscal ne pouvaient être considérés comme révélés. Dans cette affaire, l’administration fiscale, après avoir vainement mis en demeure l’Arche de Marie, association congrégation enclave incardine, de déclarer les dons manuels qu’elle avait pu recevoir, a engagé une procédure de taxation d’office. La société n’avait manifesté à aucun moment sa volonté de déclarer ces sources de financement, puisqu’elle avait renvoyé l’imprimé numéro 2735 avec la mention « néant ». Dans le cadre d’une imposition d’office, l’administration fiscale a notifié à l’Arche de Marie un redressement au titre des droits afférents à ces dons pour les années 1999 et 2000 suivi d’un avis de mise en recouvrement. L’Arche de Marie n’a donc rien révélé volontairement et c’est à son corps défendant que sa comptabilité, examinée par les contrôleurs, a révélé les dons manuels enregistrés. Contrairement à la position de la doctrine administrative selon laquelle la révélation n’exige pas un aveu spontané du don de la part du donataire, la Cour de cassation a rappelé que la révélation doit être le fait du donataire, et donc, du contribuable lui-même. La révélation ne peut être le fait d’un contrôle fiscal, notamment de la présentation de la comptabilité du contribuable vérifié. En avril, la Cour de cassation a réaffirmé cette solution à propos d’un particulier ayant reçu plusieurs dons manuels entre 2004 et 20066.

La position de l’Administration

L’Administration a tenté de tempérer la portée de la jurisprudence de la Cour de cassation en intégrant également à sa doctrine une décision du tribunal de grande instance de Limoges7 selon lequel, la réponse à l’interrogation de l’administration fiscale constituait une révélation sur les dons manuels. La position de la Cour de cassation sur cette affaire était donc très attendue. Dans cette affaire, l’administration fiscale a diligenté une vérification de comptabilité à l’encontre de l’association Shambhala, une association ne constituant pas un organisme d’intérêt général et dont l’objet principal est de promouvoir et pratiquer les enseignements et les arts tibétains. Les dons manuels dont a bénéficié l’association Shambhala ont été découverts à l’occasion d’un contrôle fiscal après que l’inspectrice chargée de la vérification a constaté qu’au titre de l’année 2008, l’association avait comptabilisé des sommes en produit exceptionnel pour un montant de 150 030 € et pour un montant de 147 302,16 € au titre de l’année 2009, produits ayant fait l’objet d’une déduction extra comptable sur les tableaux 2058 A. L’administration fiscale a mis en demeure l’association Shambalha de déclarer les dons manuels provenant de ses membres. Cette mise en demeure étant restée vaine, elle a notifié à l’association, le 7 septembre 2011, une proposition de rectification des droits d’enregistrement, par taxation d’office, pour les années 2005 à 2010. Après rejet de sa réclamation contentieuse, l’association Shambalha a assigné l’administration fiscale pour être déchargée des droits de mutation à titre gratuit réclamés. L’association Shambalha a saisi le tribunal de grande instance de Limoges pour contester le redressement fiscal et les pénalités afférentes en soutenant que les dons manuels qui lui ont été consentis sont exonérés de toute taxation au titre des droits d’enregistrement en application de l’article 757 du CGI. Elle conclut à la nullité de la procédure suivie par l’administration fiscale et soutient qu’elle poursuit un but d’intérêt général. Subsidiairement, elle fait valoir que la révélation d’un don manuel entraînant la taxation ne peut provenir que d’un choix volontaire du contribuable et non d’un contrôle fiscal. Très subsidiairement, elle demande la diminution de la taxation en excluant certains dons de son assiette de calcul. Le tribunal de grande instance de Limoges, après avoir constaté que l’association Shambalha ne poursuit pas un but d’intérêt général, a considéré que la réponse de l’association constituait bien une révélation des dons manuels. « Si la découverte par l’administration fiscale, à l’occasion d’un contrôle fiscal, de l’existence de dons manuels ne constitue pas une révélation au sens des dispositions du deuxième alinéa de l’article 757 du CGI comme ne recélant pas de déclaration de la part du bénéficiaire, la réponse faite à l’Administration à sa demande relative à la nature de “produits exceptionnels” inscrits dans la comptabilité de l’association contient une révélation sur les dons manuels dont elle a bénéficié sur la période objet du contrôle », a précisé le tribunal de grande instance de Limoges. Dès lors, une réponse à une interrogation de l’administration fiscale sur la nature de produits exceptionnels apparaissant dans sa comptabilité peut constituer une révélation à l’administration fiscale. Pour le juge de première instance, « Ce serait ajouter à l’article 757 du CGI que d’exiger que la déclaration par le contribuable soit « spontanée » au sens d’être faite à la seule initiative de celui-ci ». La cour d’appel de Limoges a confirmé cette solution8.

La position de la cour d’appel…

L’association s’est pourvue en appel contre ce jugement, précisant n’avoir révélé aucun don spontanément puisqu’elle a été contrainte de le faire pour répondre à l’injonction de l’administration fiscale dans le cadre de la procédure de contrôle. Les opérations de contrôle diligentées par l’administration fiscale du 31 mars au 7 juillet 2011 ont révélé que l’association avait perçu d’importantes sommes en provenance de personnes physiques ou morales étrangères. Dans un courrier du 16 mai 2011, l’administration fiscale a interrogé l’association sur la nature de certaines sommes perçues en 2008 et 2009. L’association a répondu, par courrier du 16 juin 2011, que ces sommes n’étaient ni des prêts, ni des subventions, ni des rémunérations, mais des dons versés par ses membres de manière désintéressée. « Cette réponse de l’association n’est pas intervenue sous la contrainte mais a été faite spontanément », note le juge d’appel. Il s’ensuit que c’est à juste titre que l’administration fiscale a décidé que les dons manuels révélés par l’association en réponse à sa demande de renseignements étaient imposables et qu’elle a mis en demeure cette dernière de les déclarer.

… infirmée par la Cour de cassation

La Cour de cassation confirme que, comme l’avait jugé à bon droit le juge d’appel, les associations sont soumises à l’obligation de déclaration des dons manuels révélés à l’administration fiscale et se trouvent assujetties à l’imposition de ces dons, sauf lorsqu’elles relèvent de la catégorie des organismes d’intérêt général visés à l’article 200 du CGI. Or en l’espèce, l’association ne constitue pas un organisme d’intérêt général, de sorte que les dispositions de l’article 757 du CGI lui sont applicables. Les juges du fond ont constaté que la vérification de comptabilité de l’association avait permis à l’Administration d’établir que celle-ci avait perçu d’importantes sommes qui avaient été comptabilisées comme produits exceptionnels et relevé que c’est par la réponse spontanée de l’association à l’interrogation de l’Administration quant à la nature de ces sommes que l’existence des dons manuels a pu être découverte. En statuant ainsi, alors que la découverte d’un don manuel lors d’une vérification de comptabilité, résulterait-elle de la réponse apportée par le contribuable à une question de l’Administration formée à cette occasion, ne peut constituer une révélation par le donataire au sens de l’article 757 du CGI, la cour d’appel a violé le texte susvisé, conclut la Cour de cassation.

Quelles conséquences ?

Seule une démarche volontaire du donataire peut constituer une révélation au sens de l’article 757 du CGI. En pratique, dans le cadre d’un contrôle fiscal, la révélation du don manuel ne pourra résulter ni de la présentation obligatoire de documents, ni de la réponse adressée à une question du vérificateur. Les dons manuels effectués au bénéfice d’une association n’ayant pas le caractère d’intérêt général ne pourront donc pas faire l’objet d’une taxation aux droits d’enregistrement. Plus généralement, l’administration fiscale va devoir amender sa doctrine, qui, jusqu’ici, se fondait sur la décision des juges du fond.

Notes de bas de pages

  • 1.
    BOI-ENG-DMGT-20-10-20-10.
  • 2.
    Cass. com., 5 oct. 2004, n° 03-15709 – Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-844 – Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-845.
  • 3.
    CEDH, 30 juin 2011, n° 8916/05.
  • 4.
    Cass. com., 15 janv. 2013, n° 12-11642.
  • 5.
    Cass. com., 6 déc. 2016, n° 15-19966.
  • 6.
    Cass. com., 16 avr. 2013, n° 12-17414.
  • 7.
    TGI Limoges, 21 nov. 2013, n° 12-00665.
  • 8.
    CA Limoges, 26 mars 2015, n° 14/00016.
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