Évaluation d’un bien et cumul des abattements sur sa valeur

Publié le 12/08/2016

La Cour de cassation prend position de façon inédite sur l’articulation des différents abattements sur la valeur d’un bien immobilier en matière d’impôt de solidarité sur la fortune.

Comment articuler les différents abattements applicables au calcul de la valeur d’un bien immobilier pour calculer l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou celle des droits de succession ? La Cour de cassation prend position pour la première fois sur cette question en concluant au cumul des battements sur la valeur pour occupation et pour indivision dans le cas d’un redressement ISF1.

La notion de valeur vénale

Les biens immobiliers sont retenus pour leur valeur vénale brute pour l’établissement de l’ISF comme des droits de succession. La valeur vénale d’un bien correspond au prix auquel ce bien pourrait ou aurait pu normalement se négocier à l’époque considérée, tel qu’il résulte en particulier de l’analyse des prix déclarés lors des mutations de biens présentant des caractéristiques identiques et affectés au même usage. La jurisprudence définit, quant à elle, la valeur vénale comme le prix normal qu’eût accepté de payer un acquéreur quelconque n’ayant pas une raison exceptionnelle de convenance de préférer plus particulièrement le bien litigieux à d’autres similaires.

L’ISF, comme les droits de succession, est assis sur une déclaration estimative des parties soumise au contrôle ultérieur de l’Administration. Pour réaliser cette déclaration estimative les particuliers peuvent s’appuyer sur des comparaisons avec des biens similaires cédés. L’administration fiscale afin de faciliter cette tâche a d’ailleurs mis en place la base de documentation Patrim (v. encadré « Patrim : des améliorations à venir »), un outil en ligne disponible sur le site « impots.gouv.fr », qui offre un accès gratuit au service « Rechercher des transactions immobilières » accessible depuis l’espace personnel du contribuable et qui répertorie de forme anonyme les transactions répertoriées par les services.

Le jeu des abattements

Un certain nombre d’abattements sont susceptibles de s’appliquer pour calculer la valeur vénale d’un bien. Ainsi, pour l’assiette de l’ISF, par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 761 du CGI, un abattement de 30 % est effectué sur la valeur vénale réelle de l’immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. Un bien occupé car donné en location perd également de sa valeur vénale. Un abattement par rapport à la valeur vénale libre sera donc appliqué. Son montant sera fixé en fonction des circonstances, notamment du marché local des biens donnés en location. Il en est de même pour les biens immobiliers dont la propriété est indivise. L’abattement étant généralement fixé entre 20 et 30 %.

En l’espèce, un couple de contribuables Monsieur et Madame Y se sont vu adresser par l’administration fiscale une proposition de rectification de l’impôt de solidarité sur la fortune pour l’année 2007, rehaussant la valeur des parts qu’ils possédaient dans une société propriétaire d’un immeuble situé à Nice. La réclamation contentieuse des époux Y n’ayant pas rencontré d’issue favorable les époux Y se sont portés devant le juge afin d’être déchargés de tout supplément d’imposition.

Des éléments de comparaison intrinsèquement similaires

Lorsque l’Administration entend, sur le fondement de l’article L. 17 du Livre des procédures fiscales (LPF), rectifier la valeur du bien déclarée dans la déclaration, considérée comme inférieure à sa valeur vénale réelle, elle doit établir l’insuffisance en cause par comparaison avec des cessions de biens intrinsèquement similaires. S’agissant plus spécialement de la situation d’indivision du bien à évaluer, son incidence est prise en compte au travers le choix de termes de comparaison tirés de la cession de biens eux-mêmes indivis. En l’espèce, le bien immobilier a été acquis le 25 mars 1966 par la SCI ROMAR. Le bien est décrit comme « une propriété d’une superficie de 37 193 m², supportant trois constructions de belle qualité architecturale avec piscine et court de tennis, bénéficiant d’un emplacement privilégié puisque doté d’une vue sur toute la ville et la baie de Nice ». L’administration fiscale a proposé trois termes de comparaison correspondant à la cession en 2005 et 2006 d’immeubles en indivision, dont un au travers de parts de SCI, sis à Opio, Vence et Grasse et construits respectivement en 1986, 1970 et 1800. Ces immeubles appartiennent au même marché immobilier que le bien objet du litige dans la mesure où il s’agit de grandes propriétés de caractère avec maison de gardien, piscine et tennis. Par leurs caractéristiques et leur emplacement, ils sont comparables, a minima dans la mesure où ils sont plus éloignés du littoral et ne bénéficient donc pas de la même vue, à l’immeuble objet du litige.

Un abattement pour indivision

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, l’administration fiscale doit se référer à des éléments de comparaison tirés de la cession de biens intrinsèquement similaires et spécialement de droits immobiliers indivis, dont la valeur propre diffère de la seule fraction de la valeur totale du bien correspondant à la proportion des droits indivis. En l’espèce, après avoir appliqué un abattement de 20 % pour occupation sur le prix moyen obtenu, l’administration fiscale a évalué les droits indivis au regard de la seule fraction des parts détenues par les contribuables, soit 89 %.

Or une telle évaluation ne tient pas compte du fait que les droits sur une indivision ont une valeur inférieure à la fraction qu’ils représentent sur la valeur totale du bien. L’Administration ne peut se limiter à calculer la valeur de l’immeuble en fonction du nombre d’indivisaires et de la quote-part détenue par chacun d’eux. Après avoir relevé que l’administration fiscale avait retenu des termes de comparaison relatifs à des immeubles en indivision, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a, le 19 juin 2014, décidé qu’il convenait d’appliquer un abattement supplémentaire de 20 % pour tenir compte de l’état d’indivision du bien2.

Pour la Cour de cassation « les droits sur une indivision, tout comme les parts sociales (…) d’une société civile immobilière, ont une valeur inférieure à la fraction qu’ils représentent sur la valeur totale du bien ». Après avoir appliqué un abattement de 20 % sur la valeur totale du bien au motif de son occupation, les indivisaires ont la possibilité d’appliquer sur la valeur de sa part une nouvelle réduction de 20 % pour tenir compte de l’état d’indivision. Les abattements pour occupation et indivision peuvent donc être cumulés afin d’établir la valeur d’un bien immobilier dans le cadre d’une déclaration d’ISF ou de succession, précise la Cour de cassation.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-23301.
  • 2.
    BOI-PAT-ISF-30-50-10-20140121.
  • 3.
    Rapport de Dominique Figeat sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement, 14 mars 2016.