Indemnisation d’un immeuble incendié non reconstructible : valeur vénale lors du sinistre ou valeur de la reconstruction sur un autre terrain ?

Publié le 29/12/2017

Lorsqu’un immeuble est détruit par un incendie et que le maire refuse d’accorder un permis de construire pour procéder à sa reconstruction à l’identique sur le même terrain, du fait de la dangerosité de sa situation, l’indemnisation du préjudice doit-elle être de la valeur vénale de l’immeuble à la date du sinistre ou de la valeur de la reconstruction sur un autre terrain ?

Dans une affaire jugée le 7 septembre dernier, la Cour de cassation a opté pour la première solution, estimant que le principe de réparation intégrale suppose de réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

Cass. 3e civ., 7 sept. 2017, no 16-15257, PB

La mise en œuvre de la responsabilité civile extracontractuelle a pour but la réparation du dommage subi par la victime. Les magistrats rappellent régulièrement que « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice effectivement subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit »1. Ils veillent ainsi à indemniser « tout le préjudice » et « rien que le préjudice ». Comment réparer le dommage subi par la destruction d’un immeuble non reconstructible ? Quel est le préjudice effectivement subi par le propriétaire ? Comment indemniser tout son préjudice, et rien que son préjudice ?

I – Indemnisation de « tout le préjudice »

Il est admis depuis longtemps que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était point produit »2. L’obligation de réparer est même considérée comme d’ordre public. Contrairement à ce qu’il advient en matière de responsabilité contractuelle, la jurisprudence a posé le principe selon lequel toute convention, passée entre deux ou plusieurs personnes, qui éliminerait ou réduirait par avance les conséquences de la responsabilité de l’une envers l’autre est nulle de nullité absolue3.

Le principe de réparation intégrale est apprécié rigoureusement. La Cour de cassation a par exemple considéré que « l’auteur d’un accident est tenu d’en réparer toutes les conséquences ; (…) la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable »4. La victime a ainsi le droit de refuser un traitement qui « améliorerait » son état et « réduirait » le montant des dommages et intérêts. Son refus de se soumettre aux traitements préconisés, dès lors qu’elle n’a pas l’obligation de les suivre, ne peut entraîner ni la perte ou la diminution de son droit à réparation, ni la prise en compte d’une aggravation susceptible de découler d’un tel choix5.

En pratique, le préjudice, apprécié in concreto, est évalué au jour de la date du jugement définitif et non à la date de sa réalisation : « Une créance délictuelle ou quasi délictuelle n’existe et ne peut produire d’intérêts moratoires que du jour où elle est allouée par décision judiciaire passée en force de chose jugée, la victime n’ayant, jusqu’à la décision de justice qui lui accorde définitivement une indemnité, ni titre de créance, ni droit reconnu dont elle puisse se prévaloir »6. Cela permet de tenir compte de l’évolution du dommage et évite que la victime ne subisse les effets de l’érosion monétaire7.

La réparation peut se faire en nature (publication, saisie, destruction, fourniture d’un objet identique, réparation, reclassement d’un salarié, le plus simple et adéquat étant de supprimer la cause du trouble) ou par équivalent, en argent (capital ou rente), lorsque le préjudice n’est pas susceptible d’une compensation en nature (perte d’un bras). Le montant ne dépend pas de la gravité de la faute mais de la gravité du dommage, l’objectif de la responsabilité civile extracontractuelle n’étant pas de sanctionner le fautif mais d’indemniser la victime.

Dans une affaire soumise à la Cour de cassation, le 7 septembre dernier8, un couple était propriétaire d’un immeuble, acquis en 2001, comprenant plusieurs appartements donnés en location. En avril 2010, l’immeuble a été détruit par un incendie. Les époux ont été indemnisés à concurrence de 244 195 €. Estimant que le coût de reconstruction de l’immeuble s’élevait à 1 132 959 €, les propriétaires ont assigné leurs assureurs en réparation intégrale de leur préjudice. En février 2016, une cour d’appel a maintenu la limitation de l’indemnisation à la somme de 244 195 €.

À l’appui de leur pourvoi, les propriétaires avançaient deux arguments.

D’une part, selon le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime, le responsable d’un incendie ayant détruit l’immeuble appartenant à autrui doit réparation, au propriétaire lésé, de tous les chefs de préjudice découlant de cette destruction. Lorsque la reconstruction de l’immeuble n’est pas possible sur le même terrain, le propriétaire victime peut néanmoins obtenir réparation sur la base de la valeur de reconstruction de son immeuble, susceptible d’être réédifié sur un autre terrain. En affirmant que l’impossibilité de reconstruire l’immeuble sur le terrain appartenant aux propriétaires, par suite d’une décision du maire, justifiait seulement une réparation à hauteur de la valeur vénale de l’immeuble, la cour d’appel avait violé les articles 1733 et 1734 du Code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.

D’autre part, les propriétaires qui exploitaient l’immeuble à titre locatif, demandaient réparation d’un préjudice total de 1 132 959 € incluant notamment, outre la valeur de reconstruction et les frais de démolition et déblai, la perte des loyers, dont le montant non contesté s’élevait à la somme de 39 340 €. En se bornant à relever que la valeur vénale de l’immeuble pouvait être fixée à la somme de 200 000 €, et que les propriétaires n’auraient pas dû exposer des frais de démolition et déblai d’un montant évalué à 14 591 €, pour en déduire qu’ils n’établissaient pas subir un préjudice plus important que celui pris en charge à hauteur de 244 195 € par leur propre assureur, sans à aucun moment s’expliquer sur la perte des loyers subie pour un montant de 39 340 €, la cour d’appel avait encore privé sa décision de base légale, au regard des articles 1733 et 1734 du Code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.

Cependant, l’immeuble ne pouvant être reconstruit à l’identique, en raison de la dangerosité de sa situation et du refus du maire d’accorder un permis de construire, les hauts magistrats ont estimé qu’octroyer aux propriétaires une valeur de reconstruction à neuf, dans un autre lieu, leur procurerait un avantage indu puisqu’ils bénéficieraient d’un bien équivalent mais mieux situé. La cour d’appel avait donc exactement conclu, sans violer le principe de la réparation intégrale, que l’indemnisation du préjudice devait s’effectuer selon la valeur vénale de l’immeuble à la date du sinistre. De plus, les époux n’ayant pas sollicité, dans leurs conclusions, une indemnité au titre de la perte de loyers, la cour d’appel n’était pas tenue de statuer sur ce chef de demande. Le pourvoi a donc été rejeté et l’affaire est close.

La Cour de cassation applique ainsi le principe selon lequel il faut réparer « tout le préjudice » et « rien que le préjudice ».

II – Indemnisation de « rien que le préjudice »

Seul le préjudice réellement subi doit être indemnisé. Cela soulève plusieurs questions et conduit à opérer des distinctions. En effet, convient-il d’accorder une réparation à neuf ou de tenir compte de la vétusté ? Lorsque la chose est ancienne ou vétuste, la victime doit-elle « s’enrichir » en récupérant un bien neuf alors qu’elle en avait un usagé, ou « s’appauvrir » en recevant la valeur du bien vétuste et en payant elle-même le complément pour remplacer le bien détruit par un neuf, supportant finalement une partie du dommage ?

En cas de destruction totale, la jurisprudence estime que :

  • si la chose peut être remplacée, il convient d’accorder à la victime la valeur de remplacement, sans tenir compte de la vétusté. Lorsque des travaux effectués sur un bâtiment provoquent la ruine de l’immeuble contigu, une cour d’appel ne peut pas, pour évaluer le préjudice subi par le propriétaire du bien endommagé, appliquer un coefficient de vétusté au coût de sa reconstruction9. Il faut replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit ;

  • si la chose ne peut pas être remplacée par une chose équivalente, le juge tient compte de la vétusté pour fixer le montant des dommages et intérêts. Ainsi, dans une affaire où le propriétaire d’une usine détruite par un incendie avait demandé la réparation de son préjudice à hauteur de la valeur de remplacement de ce bien, la Cour de cassation a estimé que la cour d’appel n’avait pas méconnu le principe de la réparation intégrale en concluant que l’indemnisation ne pouvait être opérée qu’en valeur vénale, dès lors que l’usine était arrêtée depuis 17 ans, que les factures de son entretien étaient de faible montant, que la remise en route de l’établissement après la retraite du propriétaire était hypothétique et que le matériel, ancien et amorti, n’était assuré que pour un montant limité10.

En cas de détérioration partielle, il est également opéré la distinction suivante :

  • si la chose peut être remplacée, la réparation la plus appropriée reste la remise en l’état. Lorsque les frais de réparation sont supérieurs à la valeur de remplacement, la jurisprudence estime que le droit au remboursement des frais de remise en état est plafonné à la valeur de remplacement11. Si, toutefois, il n’est pas possible de se procurer un objet équivalent, la victime peut demander une indemnité correspondant au coût de remplacement. Lorsque l’indemnité attribuée correspond à la valeur de remplacement, la chose (épave) est « laissée pour compte » au responsable, libre de la vendre ;

  • si la chose ne peut pas être remplacée, la remise en l’état doit être exécutée, même si elle dépasse la valeur du bien12.

Dans l’affaire commentée, le tribunal avait jugé que le préjudice subi devait être fixé au montant de la reconstruction, vétusté déduite, au motif que la réparation d’un dommage doit placer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée, si le dommage n’était pas survenu, l’indemnisation du préjudice ne devant générer ni perte ni profit. Il est vrai qu’en l’absence d’incendie, les époux seraient toujours en possession d’un immeuble, auraient perçu des loyers et n’auraient pas dû exposer de frais de démolition et déblai. L’indemnisation de « tout » leur préjudice supposerait donc trois « postes » :

  • la perte de l’immeuble ;

  • les frais exposés pour le nettoyage ;

  • et la perte des loyers.

Le deuxième et le troisième poste ne soulevèrent guère de difficultés.

D’une part, pour les frais exposés, la cour d’appel a retenu que la valeur vénale de l’immeuble pouvant être fixée à la somme de 200 000 € et que les frais de démolition et déblai étant évalués, sans contestation, à 14 591 €, le couple n’établissait pas subir un préjudice plus important que celui pris en charge, à hauteur de 244 195 €, par leur propre assureur.

D’autre part, pour les loyers perdus, dont le montant était fixé à 39 340 €, la Cour de cassation a tout simplement retenu que les époux n’ayant pas sollicité, dans leurs conclusions, une indemnité à ce titre, la cour d’appel n’était pas tenue de statuer sur ce chef de demande.

Le premier poste, la perte de l’immeuble, souleva en revanche plus de difficultés. La reconstruction sur le site étant impossible, du fait de sa dangerosité, il n’y avait que deux possibilités : accepter de construire l’immeuble en un autre lieu ou accorder le remboursement de la valeur du bien au jour de sa destruction.

Selon la cour d’appel et la Cour de cassation, la première solution aurait procuré aux propriétaires un avantage indu, puisque ceux-ci auraient eu une construction équivalente mais mieux située. En effet, l’immeuble détruit était en bordure d’une route extrêmement passante et voisin d’une usine. Cette situation, considérée comme dangereuse, avait conduit le maire à refuser la reconstruction et aucun autre terrain avec de telles caractéristiques n’aurait pu – logiquement – accueillir un nouvel immeuble. Par conséquent, s’il avait dû être reconstruit, le bâtiment l’aurait été sur un terrain mieux situé. Le couple aurait alors « tiré profit » du sinistre. C’est donc la seconde solution qui a été retenue : l’indemnisation à hauteur de la valeur vénale de l’immeuble au jour de la destruction.

Lorsqu’un immeuble est détruit par un incendie et que le maire refuse d’accorder un permis de construire pour procéder à sa reconstruction sur le même terrain, du fait de la dangerosité de sa situation, l’indemnisation du préjudice doit être de la valeur vénale de l’immeuble à la date du sinistre et non de la valeur de la reconstruction sur un autre terrain. Il s’agit d’une application du principe selon lequel l’indemnisation doit correspondre à tout le préjudice et rien que le préjudice. Cependant, si une telle solution évite que la victime ne tire profit du sinistre, en ayant un meilleur bien (réparation de « rien que le préjudice »), il n’est pas certain qu’elle lui permette de se retrouver dans la situation dans laquelle elle était avant la réalisation du dommage, en ayant un bien (réparation de tout le préjudice). Il s’agit là de l’inévitable inconvénient de la réparation par équivalent !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 02-14854 ; Bull. civ. II, n° 393.
  • 2.
    Cass. 2e civ., 4 févr. 1982, n° 80-17139.
  • 3.
    Cass. req., 27 nov. 1911 : S. 1915, 1, p. 113.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n° 00-22302 : Bull. civ. II, n° 203 – Cass. 3e civ., 10 juill. 2013, n° 12-13851. Même solution à propos des accidents de la circulation : Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-16011.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 3 mai 2006, n° 05-10411 : Bull. civ. I, n° 214. Le refus d’une personne, victime d’une infection nosocomiale dont un établissement de santé a été reconnu responsable, de se soumettre à des traitements médicaux qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l’intégralité des préjudices résultant de l’infection, Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, n° 13-21180 ; v. aussi : Cass. crim., 27 sept. 2016, n° 15-83309.
  • 6.
    Cass. crim., 18 janv. 1940 : DH 1940, p. 102.
  • 7.
    Si, toutefois, la victime a procédé à des travaux de réparation avant la décision du juge, l’évaluation sera réalisée au jour de la réalisation des travaux, la victime pouvant alors obtenir, en plus, des intérêts sur la somme en question.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 7 sept. 2017, n° 16-15257.
  • 9.
    Cass. 2e civ., 5 juill. 2001, n° 99-18712 : Bull. civ. II, n° 135.
  • 10.
    Cass. 2e civ., 14 janv. 1999, n° 96-17562 : Bull. civ. II, n° 14.
  • 11.
    Cass. 2e civ., 7 déc. 1978, n° 77-12013 : Bull. civ. II, n° 269 – Cass. crim., 22 sept. 2009, n° 08-88181 : Bull. crim., n° 157.
  • 12.
    TGI Créteil, 26 mai 1981 : JCP G 1982, II 19745.
X