Évolution de la fiscalité des entreprises : des multinationales sur la réserve

Publié le 06/07/2016

Auditionnées par les députés européens, les multinationales marquent leur prudence face aux récentes propositions législatives concernant la fiscalité des entreprises.

Google, Apple, IKEA et McDonalds ont été entendues par la commission spéciale sur les rescrits fiscaux TAXE II1. Ces entreprises souhaiteraient davantage de clarté et de certitude quant à leurs responsabilités fiscales dans l’UE, mais s’inquiètent des coûts administratifs de mise en conformité et se disent réticents à une publication de leurs données fiscales. Les députés du Parlement européen souhaitaient auditionner ces multinationales sur la proposition de directive contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (anti-BEPS), qui fait suite à la conclusion d’un accord au niveau de l’OCDE et du G20. Ils les ont notamment questionnées sur le reporting pays par pays concernant les bénéfices, les impôts et les subventions, et leur ont demandé si de telles informations devaient être rendues publiques ou non.

La commission TAXE II

La création de la commission TAXE II au sein du Parlement européen a été décidée en décembre 2015 pour poursuivre et achever les travaux de la commission spéciale TAXE. Durant ses six mois d’activité, la commission TAXE II doit en particulier examiner les régimes et pratiques néfastes d’imposition des sociétés au niveau européen et international, dans le but de lutter contre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale agressive, notamment en renforçant la transparence et la coopération entre gouvernements et entre parlements nationaux. Rappelons que c’est à la suite de l’affaire LuxLeaks, qui avait mis en valeur le rôle des rescrits fiscaux dans la politique d’optimisation fiscale agressive pratiquée par les sociétés multinationales afin de réduire le montant de leurs impôts sur les bénéfices, que la commission TAXE II a été formée pour enquêter sur ces pratiques.

Des enquêtes en cours sur les tax rulings

Lors du conseil Ecofin du 6 octobre 2015, les 28 ministres des Finances de l’Union européenne ont adopté le principe de l’échange automatique des rulings accordés à des multinationales entre les administrations fiscales2. La nouvelle réglementation devrait renforcer la coopération entre les États membres dans le domaine fiscal et décourager l’utilisation des rulings fiscaux à des fins abusives. Tous les États membres disposeront en effet des informations nécessaires pour préserver leur assiette fiscale et cibler efficacement les entreprises qui tentent d’échapper au paiement de leur part d’impôts.

Les décisions anticipatives en matière fiscale ou tax rulings sont des lettres d’intention émises par les autorités fiscales qui fournissent à une société déterminée des explications claires sur la manière dont son impôt sera calculé. Si ces décisions anticipatives ne posent pas problème en tant que telles, elles peuvent toutefois impliquer des aides d’État au sens des règles de l’Union européenne si elles sont utilisées pour conférer des avantages sélectifs à une entreprise ou à un groupe d’entreprises déterminées. La Commission européenne a ouvert plusieurs enquêtes relatives aux rulings émis par les autorités fiscales d’États membres de l’Union européenne. En juin 2015, la Commission a lancé des procédures d’enquêtes approfondies sur des rulings émis en matière de prix de transfert dans le cadre de l’impôt sur les sociétés applicable à Apple en Irlande, à Starbucks aux Pays-Bas et Fiat Finance and Trade au Luxembourg3. En octobre 2015, elle a lancé une procédure d’enquête sur des rulings émis en matière de prix de transfert concernant l’imposition d’Amazon au Luxembourg4. En février 2015, la Commission a lancé une procédure d’enquête sur le système belge de tax rulings5. Signalons qu’il s’agissait alors de la première fois où la Commission européenne s’attaquait à un régime de rescrits fiscaux dans son ensemble et non à des rulings entre une entreprise et un État. Les députés, lors de l’audition des représentants d’Apple n’ont pas manqué de les interroger sur les structures fiscales d’Apple en Europe et sur l’enquête concernant les aides d’État diligentée par la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager. « Apple est le plus grand contribuable au monde. En 2015, nous avons payé 13,2 milliards de dollars d’impôts dans le monde, ce qui correspond à un taux d’imposition effectif de 26,4 % », ont affirmé les représentants de l’entreprise.

Le reporting pays par pays

Le 27 janvier dernier, au siège de l’OCDE, à Paris, 31 premiers signataires ont signé l’accord prévoyant les modalités de mise en œuvre du reporting pays par pays, mesure issue du plan BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices)6. Dans le cadre de son action pour s’attaquer à l’évasion fiscale des entreprises et la concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a présenté, le 28 janvier 2016, un nouveau paquet de mesures visant à apporter une réponse coordonnée de l’Union dans ce contexte, dans le prolongement des normes mondiales élaborées l’automne dernier par l’OCDE7. Ce paquet de mesures comprend plusieurs éléments dont une révision de la directive sur la coopération administrative, qui introduira un système d’échange de déclarations pays par pays entre les autorités fiscales sur les principales informations relatives à la fiscalité des multinationales et une communication sur une stratégie. Ce reporting pays par pays, calqué sur l’accord adopté par la veille pour mettre en œuvre le projet BEPS, vise à permettre aux États membres d’échanger des informations sur les activités des multinationales. Les représentants d’Apple ont déclaré ne pas souhaiter pour l’instant publier les chiffres européens et irlandais liés aux impôts. « Ce sont des données confidentielles. Lorsque les rapports pays par pays deviendront obligatoires, nous obtempérerons évidemment », ont-ils précisé. La vice-présidente en charge de la fiscalité de McDonalds, Irene Yates, a, quant à elle, salué la proposition anti-BEPS, affirmant qu’elle créerait un « régime fiscal international plus clair, plus simple et plus logique ». Elle s’est cependant dite inquiète, quant aux approches unilatérales qui en résulteront si les directives BEPS ne sont pas harmonisées de manière globale. L’idée consiste à supprimer les obstacles au commerce, pas à en créer de nouveaux, a-t-elle poursuivi, ajoutant que McDonalds ne se prononçait pas en faveur de rapports pays par pays publics. « Ces informations devraient rester confidentielles entre les autorités fiscales et ne pas être rendues publiques. Cela pourrait nuire à la concurrence », a-t-elle conclu.

Le projet ACCIS

La Commission européenne a présenté en juin 2015 une stratégie pour relancer l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), un système commun pour le calcul de l’assiette imposable des entreprises opérant dans l’UE, initié en mars 2011. L’ACCIS est un ensemble de règles de détermination du résultat imposable, susceptibles d’être utilisées par les sociétés exerçant leur activité au sein de l’UE. Une société ne devrait se conformer qu’à un seul régime au sein de l’Union pour calculer son résultat imposable, plutôt qu’aux différents régimes propres à chacun des États membres dans lesquels l’activité est exercée. En outre, les groupes soumis au régime ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu’une seule déclaration fiscale consolidée pour l’ensemble de leurs activités au sein de l’UE. Les résultats imposables consolidés du groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d’une formule simple permettant à chaque État membre de soumettre les bénéfices des sociétés résidentes de cet État à son propre taux d’imposition

Pour les instances communautaires, l’ACCIS pourrait constituer un instrument puissant pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises en supprimant les disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions communes en matière de lutte contre l’évasion fiscale. La Commission présentera une nouvelle proposition en 2016 afin de redynamiser l’ACCIS, avec deux changements essentiels. D’une part, elle proposera une ACCIS obligatoire. Cela permettrait d’améliorer sa capacité à prévenir le transfert de bénéfices, un système facultatif ayant peu de chance d’être utilisé qui mettent en œuvre des stratégies de planification fiscale agressive. D’autre part, elle proposera une approche graduelle pour l’introduction de l’ACCIS. Sur cette base, il devrait être plus facile pour les États membres de se mettre d’accord. L’objectif principal doit être de garantir l’assiette d’imposition commune, en incorporant des éléments internationaux liés au projet BEPS de l’OCDE. Google a émis des réserves sur les projets de la Commission européenne relatifs à l’ACCIS. En effet, ces projets, augmenteraient les coûts pour Google étant donné qu’ils imposeraient un établissement dans chaque pays de l’UE. Selon, le chef du département de politique économique, Adam Cohen, « cela serait contraire au principe du marché intérieur ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    TAXE II, Communiqué, 14 mars 2016, IPR19295.
  • 2.
    Proposition de directive visant à introduire l’échange automatique d’informations entre les États membres de l’Union européenne sur les rescrits fiscaux (COM/2015/135).
  • 3.
    Déc. SA 38373, SA 38374 et SA 38375.
  • 4.
    Déc. SA 38944.
  • 5.
    Déc. SA 37667.
  • 6.
    http://www.oecd.org/tax/automatic-exchange/about-automatic-exchange/country-by-country-reporting.htm.
  • 7.
    http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/anti_tax_avoidance/index_fr.h.
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