Fiscalité locale : réforme de la taxe d’habitation
Les résultats de l’expérimentation de la future révision des valeurs locatives ont été présentés par Bercy. Des transferts de charges majeurs sont à anticiper.
La fiscalité locale a été au cœur de la conférence des territoires qui s’est tenue le 17 juillet dernier au Sénat. Cette fiscalité constitue un enjeu important, pour les collectivités locales, dont elle constitue la première source de financement, pour les contribuables, plus nombreux à y être soumis qu’à la fiscalité directe d’État et pour l’État lui-même, qui en assure l’établissement et la perception et garantit le versement du produit aux collectivités. Conformément à sa promesse de campagne, le président de la République, Emmanuel Macron, a confirmé que la réforme de la taxe d’habitation sera effective dès 2018. Cette réforme devrait permettre d’exonérer 80 % des foyers de la taxe d’habitation. Un enjeu financier de taille puisque c’est a minima 10 milliards de recettes fiscales qui devraient être perdues pour les collectivités locales, ce dès la première année de la réforme. Une perte estimée à 36 % des ressources propres actuelles perçues par les communes et intercommunalités, selon l’Association des maires de France. La mesure a pour objectif d’augmenter le pouvoir d’achat des foyers et de réintroduire plus de justice fiscale et territoriale. Il existe en effet de réelles disparités entre les différentes communes. « C’est un impôt qui ne prend pas en compte les capacités contributives des citoyens. Il est donc injuste socialement et il est injuste territorialement car il est plus élevé dans les villes périphériques ou les centres bourgs de province que dans les grandes villes », a rappelé le président de la République. Les détracteurs de la réforme soulignent cependant que les contribuables à faible revenu sont actuellement exonérés de la taxe d’habitation. Aucune démarche de leur part n’est d’ailleurs nécessaire pour bénéficier de cette exonération. Au total, 4,1 millions de foyers bénéficient déjà de cette mesure d’exonération. La valeur locative de la résidence principale sur laquelle est assis cet impôt est en outre obligatoirement diminuée d’un abattement pour charges de famille. En plus de l’abattement obligatoire, les collectivités territoriales peuvent décider d’appliquer des abattements facultatifs concernant la résidence principale. Enfin, le montant de la taxe d’habitation peut être plafonné pour les contribuables ne bénéficiant pas d’une exonération mais dont le revenu fiscal de référence est inférieur à certaines limites.
La réforme de la taxe d’habitation devrait figurer dans le projet de loi de finances pour 2018 qui sera présentée au Parlement au début de l’automne. Le calendrier de la réforme sera mené sur 3 années. « Dès la rentrée prochaine, il y aura en tranches successives, une suppression de la taxe d’habitation pour 80 % de nos concitoyens, sur 3 ans avec un mécanisme d’exonération, qui permet la compensation financière pour les collectivités, sans leur faire perdre la liberté de taux », a précisé Emmanuel Macron. Les conférences des territoires qui se dérouleront tous les 6 mois permettront de partager l’information financière et de faire le point sur la mise en œuvre de la réforme. Il a également fait part de son souhait de réformer en profondeur la fiscalité locale, en réfléchissant notamment à une suppression de la taxe d’habitation à laquelle pourrait être substitué une « part d’impôt national qui pourrait être attribuée aux communes, une part de CSG ou CRDS ».
La notion de valeur cadastrale
La révision de la taxe d’habitation concerne quelque 46 millions d’habitations, dont 18,9 millions de maisons individuelles, 16,2 millions d’appartements et 10,9 millions de dépendances isolées. La taxe d’habitation s’applique en effet aux logements meublés qu’il s’agisse de maisons individuelles ou d’appartements à condition qu’ils disposent d’un ameublement suffisant pour en permettre l’habitation. Elle s’applique également aux dépendances du logement (parking privatif, garage, etc.), mêmes non meublées et non attenantes. La taxe d’habitation est acquittée quel que soit le statut de l’occupant du bien : propriétaire, locataire ou occupant à titre gratuit et est calculée annuellement selon sa situation au 1er janvier.
La valeur locative cadastrale sert à calculer les bases d’imposition des taxes directes locales. Elle est fixée par les services du cadastre avec le concours de la commission communale des impôts directs. Lors de la révision générale de 1970, après une analyse des déclarations souscrites par chaque propriétaire, un zonage géographique de la collectivité organisé en zones locatives homogènes a été fixé et des valeurs de référence ou de comparaison ont été établies dans chaque zone, pour chaque type et catégorie de biens (bâti, non bâti, locaux commerciaux et industriels). Par la suite, les valeurs locatives cadastrales ont été régulièrement corrigées par des coefficients d’actualisation et de revalorisation nationaux, pour tenir compte de l’érosion monétaire et de l’évolution des loyers. La valeur locative cadastrale des locaux d’habitation correspond au loyer annuel normal de cet immeuble lorsqu’il est loué aux conditions du marché. Elle est calculée par unité d’évaluation, l’unité étant le local, c’est-à-dire une propriété ou fraction de propriété faisant l’objet d’une utilisation distincte. La révision de 1970 a permis de choisir pour chaque zone les locaux représentatifs de chaque catégorie de locaux présents sur le territoire communal, afin de constituer une nomenclature de classement et fixer, suivant le cas, des tarifs (des valeurs au mètre carré pondéré) ou des valeurs locatives de référence par catégorie de local. La valeur locative cadastrale résulte de l’application de neuf paramètres qui interviennent dans la fiche de calcul : la surface totale des pièces et annexes affectées à l’habitation, la catégorie du logement, l’importance du logement, la surface des dépendances, le degré d’entretien, la situation générale, la situation particulière, l’existence ou non d’un ascenseur, l’équipement et le confort mesurés en équivalences superficielles. Pour obtenir la valeur locative cadastrale du local, on applique donc un tarif d’évaluation à la surface pondérée totale. Initialement le législateur a prévu que les valeurs locatives cadastrales, fixées à la date de référence du 1er janvier 1970 pour les propriétés bâties ou du 1er janvier 1961 pour les propriétés non bâties seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année pour prendre en compte l’évolution des loyers. En réalité, cette actualisation n’a eu lieu qu’une seule fois en 1980 permettant de mettre en place un premier coefficient d’actualisation 1980 reflétant l’évolution du marché locatif au niveau départemental entre 1970 et 1980. Chaque année à partir de 1981, on y a ajouté un coefficient de revalorisation nationale fixé en loi de finances), correspondant à l’évolution des loyers constatée entre le 1er janvier 1978 et le 1er janvier de l’année d’imposition. C’est cette valeur locative actualisée et revalorisée qui sert pour le calcul des bases foncières. Concrètement, pour évaluer un local d’habitation, il convient de déterminer la valeur locative de ce local d’habitation par comparaison avec celle de locaux de référence choisis, dans la commune, pour chaque nature et catégorie de locaux. Ensuite, la valeur locative de ces locaux de référence est elle-même déterminée d’après un tarif fixé, par commune ou secteur de commune, pour chaque nature et catégorie de locaux, en fonction du loyer des locaux loués. Le tarif est appliqué à la surface pondérée du local de référence. La surface pondérée du local à évaluer est déterminée avec différents coefficients de pondération destinés à tenir compte de la situation du local, de son entretien et de l’importance de ses pièces. Le tarif associé au local de référence est ensuite appliqué à la surface du local à évaluer. Enfin, le taux voté par la collectivité est appliqué à l’assiette ainsi déterminée.
Les critiques de la Cour des comptes
Ce projet de réforme intervient dans un contexte particulier. Une réforme de grande ampleur des bases d’imposition de la fiscalité foncière a été initiée et les premiers résultats des simulations qui ont été lancées sont déjà connus. En outre, la gestion de la fiscalité locale par la DGFiP a été récemment étrillée par la Cour des comptes1. La fiscalité locale repose sur plusieurs assiettes, principalement foncières, pour la taxe foncière, la taxe d’habitation (TH) ainsi que la cotisation foncière des entreprises (CFE), mais aussi fondées sur l’activité économique comme pour la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). La majorité de ces taxes sont calculées par l’administration et font l’objet de l’émission de rôles et de l’envoi d’avis d’imposition aux contribuables. L’élaboration des rôles requiert d’appliquer à des bases évolutives des taux liés entre eux et variant annuellement en fonction des décisions du Parlement et des délibérations des collectivités. Elle impose également de tenir compte de multiples possibilités d’exonérations, abattements et dégrèvements. La DGFiP assure la fonction de collecteur de la fiscalité directe locale. Il lui incombe à la fois de tenir à jour les bases foncières, d’identifier les redevables et de procéder aux croisements nécessaires pour établir les rôles, en tenant compte des dispositions applicables au regard de la situation de chaque contribuable, particuliers comme entreprises. Ces opérations reposent sur des chaînes de taxation informatisées et sont menées dans le cadre de campagnes très formalisées (à l’exception de la CVAE et des IFER, à base déclarative). Enfin, la DGFiP doit procéder au recouvrement, au traitement du contentieux et au contrôle fiscal. « La désignation et la valorisation des locaux taxables souffrent de lacunes et surtout de retards dans leur actualisation, souligne la Cour des comptes. Ceux-ci proviennent des dysfonctionnements des services de la publicité foncière, de défaillances déclaratives et de traitements imparfaits. La révision générale des valeurs locatives cadastrales, dont l’entrée en vigueur peut être considérée comme acquise pour les locaux professionnels et commerciaux mais demeure plus incertaine pour les locaux d’habitation, emportera des incidences positives mais ne résoudra pas tous les problèmes et ne dispensera pas d’une tenue à jour régulière. Sa mise en œuvre pourrait même susciter des complications supplémentaires, au moins durant une phase transitoire vraisemblablement assez longue. L’identification des occupants pour l’imposition à la TH rencontre également des difficultés notables ». Les résultats du recouvrement des impôts locaux sont les plus mauvais parmi ceux enregistrés pour les impôts directs. Il donne lieu à un contentieux important, lié en grande partie aux difficultés d’établissement de l’impôt, en raison notamment des mutations et des changements d’occupants. Si la faiblesse du rendement s’explique partiellement par des raisons socio-économiques, elle tient aussi au fait que le recouvrement forcé n’est pas une priorité pour la DGFiP compte tenu de la dispersion des dossiers et de la faiblesse des sommes considérées. Compte tenu de la garantie qu’il apporte aux collectivités locales, le manque à gagner induit est supporté par l’État.
Le coût pour l’État de la gestion de la fiscalité directe locale apparaît en outre très significatif. Hors compensations des dégrèvements législatifs et hors compensations des exonérations et abattements, les coûts directs de gestion atteignent environ 4 M€. Ils se composent des dépenses de fonctionnement de la DGFiP, qui y consacre environ 14 % de ses effectifs et 17 % de ses crédits budgétaires, de la prise en charge des dégrèvements consentis par les services fiscaux à leur initiative, et des sommes définitivement non recouvrées sur les contribuables. Il n’est plus que très partiellement compensé par des frais de gestion qui ont perdu leur vocation. « Les frais de gestion versés à l’État par les contribuables locaux en sus du principal des impôts sont en principe censés compenser d’une part les frais d’assiette et de recouvrement, d’autre part les conséquences financières pour l’État des dégrèvements administratifs et des non-recouvrements, souligne la Cour des comptes. Or en raison des transferts de parts croissantes de ces frais aux collectivités, qui ont pris successivement la forme d’une baisse des taux des frais destinée à laisser aux collectivités une part accrue du produit fiscal, puis de rétrocessions aux départements et régions d’une partie du produit effectivement perçu par l’État, cette recette a été fortement amputée. La part résiduelle du produit des frais de gestion revenant encore à l’État atteint moins de 1 M€. En définitive, ce sont donc près de 3 M€ qui restent à la charge de l’État au titre de la gestion de la fiscalité directe locale. Les rétrocessions ont abouti à dénaturer le dispositif des frais de gestion et à le rendre illisible car la plus grande partie des montants acquittés par les contribuables censément destinés à l’État, alimente en fait une quasi-dotation au profit de certaines collectivités territoriales ».
La révision en cours des valeurs locatives des locaux d’habitation
Si le cadre législatif de la fiscalité directe locale apparaissait relativement stabilisé depuis la suppression de la taxe professionnelle, le principe d’une réforme des bases foncières a été acté dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 20132. La neutralité de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation sur le produit fiscal des collectivités locales doit être assurée en en ajustant les taux d’imposition, sur le périmètre de chaque collectivité, afin de ne pas renchérir le montant global des cotisations. Il convient également de neutraliser l’effet sur les ressources des collectivités de cet ajustement des taux d’imposition pour les locaux non concernés par la révision des valeurs locatives comme les locaux industriels ou les locaux soumis au barème. En l’absence de révision des taux d’imposition, d’après l’expérimentation qui a été menée dans cinq départements, les ressources de l’ensemble des collectivités, départements, communes, établissements publics de coopération intercommunale, augmenteraient de 154 %, soit 4,6 milliards d’euros. Le secrétaire d’État chargé du Budget, Christian Eckert, a présenté en commission des finances les résultats de l’expérimentation menée afin d’actualiser les bases de calcul des taxes foncières, d’habitation et d’enlèvement des ordures ménagères, inchangées depuis les années 19703. Afin d’en anticiper les effets, Bercy a démarré une opération test initiée dans cinq départements dont le gouvernement a fixé la liste par arrêté. Il s’agit des départements de la Charente-Maritime (17), de l’Orne (61), de Paris (75), du Nord (59), et du Val-de-Marne (94). Cette expérimentation a pour but de mesurer les écarts entre les valeurs actuelles du marché locatif et les valeurs cadastrales utilisées aujourd’hui. D’après cette phase de test, les valeurs locatives des locaux d’habitation appartenant au parc privé augmenteraient de 151,5 %. Ce chiffre de 151,5 % masque toutefois une forte hétérogénéité entre les départements, de + 131,2 % à Paris à + 239,8 % dans le Nord.
Les résultats de l’expérimentation menée par Bercy
Il s’agit d’une expérimentation « à blanc », donc sans impact sur l’impôt réellement payé par les contribuables, mais permettant de mener le processus de révision pratiquement de A à Z, de la collecte des informations à l’évaluation individuelle de chaque local d’habitation dans cinq départements.
La phase de test a donc commencé par un processus déclaratif applicable à chaque propriétaire bailleur de locaux d’habitation. Concernant la méthode d’évaluation, les territoires sont découpés en secteurs d’évaluation représentant un marché locatif homogène. Ensuite, un tarif au mètre carré est fixé pour chaque catégorie de locaux (maison, appartement, etc.), à partir des loyers constatés dans chaque secteur d’évaluation, par tranche de surface totale du logement. Les résultats de cette phase expérimentale correspondent à une application purement mathématique de la méthodologie prévue par la loi. Ils montrent qu’une révision des valeurs locatives des locaux d’habitation engendrerait des transferts de charge entre différents contribuables. Ces transferts dépendront in fine des paramètres précis qui seront retenus par le législateur, et en particulier des modalités de transition. Cependant, on observe assez systématiquement qu’au sein des sous-groupes « maisons » et « appartements » les tarifs des locaux de petites surfaces sont plus élevés que ceux des locaux de grandes surfaces. En moyenne, les grandes maisons gagneraient à cette réforme tandis que les petits appartements y perdraient. En effet, la valeur du prix au mètre carré des petites surfaces est plus importante que la valeur au mètre carré des grandes surfaces d’habitation. Pour les appartements, les valeurs locatives issues du travail mené dans les cinq départements augmentent de 125 %, alors que pour les maisons d’habitation, elles augmentent de 185 %. Pour les petits appartements, l’augmentation serait de 223 %. Cependant, les locaux sont classés par catégorie de taille : pour chaque catégorie, il y aura un prix au mètre carré, ce qui devrait permettre de modérer cet effet.
Un challenge à relever
Souvent évoquée ces quarante dernières années, relancée lors du dernier quinquennat, la revalorisation des valeurs locatives, dont la dernière actualisation remonte aux années 1970, a été initiée afin de réintroduire plus de justice fiscale. Mais elle constitue un sujet complexe et politiquement sensible qui est encore loin de faire l’unanimité au vu des importants transferts de charges qu’elle devrait occasionner entre contribuables. Lors du précédent quinquennat, la réforme a été mise en œuvre pour les locaux commerciaux pour lesquels les premiers avis d’imposition nouvelle donne seront envoyés fin août et une simple simulation sans conséquence fiscale a été initiée pour les locaux d’habitation. Le 11 juillet dernier, le ministre de l’Action et des Comptes publics en séance de questions au Sénat a confirmé que la réforme des bases foncières serait menée en parallèle avec le chantier de la réforme de la taxe d’habitation. Pour Gérald Darmanin, la suppression partielle de la taxe d’habitation « ne peut se faire sans parler de la revalorisation des valeurs locatives ni de la façon dont les communes rurales ou les communes pauvres n’ont pas la (même) recette fiscale que d’autres communes avec des ménages plus aisés, qui peuvent offrir un meilleur service à des populations qui, peut-être, ont un peu moins besoin de service public ». Un challenge de taille pour le gouvernement.