Réforme des valeurs locatives des locaux d’habitation : bilan d’étape

Publié le 14/06/2017

Les résultats de l’expérimentation de la future révision des valeurs locatives ont été présentés par Bercy. Des transferts de charges majeurs sont à anticiper.

Un travail colossal : la révision de la valeur locative des locaux d’habitation suppose d’examiner la situation de 46 millions d’habitations, soit 18,9 millions de maisons individuelles, 16,2 millions d’appartements et 10,9 millions de dépendances isolées. Le secrétaire d’État chargé du Budget, Christian Eckert, a présenté en commission des finances1 les résultats de l’expérimentation menée afin d’actualiser les bases de calcul des taxes foncières, d’habitation et d’enlèvement des ordures ménagères, inchangées depuis les années 1970. Cette révision des valeurs locatives des locaux d’habitation a été prévue par le législateur dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 20132. Ce texte a prévu la neutralité de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation sur le produit fiscal des collectivités locales. Cette neutralité doit être assurée en ajustant les taux d’imposition, sur le périmètre de chaque collectivité, afin de ne pas renchérir le montant global des cotisations. Il convient également de neutraliser l’effet sur les ressources des collectivités de cet ajustement des taux d’imposition pour les locaux non concernés par la révision des valeurs locatives (locaux industriels ou soumis au barème). En l’absence de révision des taux d’imposition, les ressources de l’ensemble des collectivités des cinq départements expérimentateurs (départements, communes, établissements publics de coopération intercommunale) augmenteraient de 154 %, soit 4,6 milliards d’euros.

Une expérimentation dans cinq départements

Afin d’en anticiper les effets, Bercy a démarré une opération test initiée dans cinq départements dont le gouvernement a fixé la liste par arrêté. Il s’agit des départements de la Charente-Maritime (17), de l’Orne (61), de Paris (75), du Nord (59), et du Val-de-Marne (94). Ces cinq départements ont été retenus pour leur diversité. Le département de la Charente-Maritime, combine ruralité et caractéristiques touristiques. Le Nord est un département mixte, à la fois urbain et rural. L’Orne constitue un département fortement rural. Paris, présente une très forte densité de locaux, essentiellement des appartements. Enfin, le Val-de-Marne est un département périurbain. Cette expérimentation a pour objectif de mesurer les écarts entre les valeurs actuelles du marché locatif et les valeurs cadastrales utilisées aujourd’hui. D’après cette phase de test, les valeurs locatives des locaux d’habitation appartenant au parc privé augmenteraient de 151,5 %. Ce chiffre de 151,5 % masque toutefois une forte hétérogénéité entre les départements, de + 131,2 % à Paris à + 239,8 % dans le Nord.

Six étapes pour calculer la taxe foncière

L’article 1388 du Code général des impôts (CGI) prévoit que la taxe foncière sur les propriétés bâties est établie d’après la valeur locative cadastrale des propriétés, déterminée conformément aux principes définis par les articles 1494 à 1508 et 1516 à 1518 B et sous déduction de 50 % de son montant en considération des frais de gestion, d’assurances, d’amortissement, d’entretien et de réparation. Pour le calcul de la taxe foncière des locaux d’habitation, conformément à l’article 1496 du CGI, il convient de passer par six étapes. Tout d’abord, il faut déterminer la valeur locative par comparaison avec celle de locaux de référence choisis, dans la commune, pour chaque nature et catégorie de locaux. Ensuite, la valeur locative de ces locaux de référence est elle-même déterminée d’après un tarif fixé, par commune ou secteur de commune, pour chaque nature et catégorie de locaux, en fonction du loyer des locaux loués. Troisièmement, le tarif est appliqué à la surface pondérée du local de référence. Quatrièmement, la surface pondérée du local à évaluer est déterminée avec différents coefficients de pondération destinés à tenir compte de la situation du local, de son entretien et de l’importance de ses pièces. Cinquièmement, le tarif associé au local de référence est appliqué à la surface du local à évaluer. Enfin, le taux voté par la collectivité est appliqué à l’assiette ainsi déterminée.

Un mécanisme d’actualisation et de revalorisation

La valeur locative cadastrale sert à calculer les bases d’imposition des taxes directes locales. Elle est fixée par les services du cadastre avec le concours de la commission communale des impôts directs. Lors de la révision générale de 1970, après une analyse des déclarations souscrites par chaque propriétaire, un zonage géographique de la collectivité organisé en zones locatives homogènes a été fixé et des valeurs de référence ou de comparaison ont été établies dans chaque zone, pour chaque type et catégorie de biens (bâti, non bâti, locaux commerciaux et industriels). Par la suite, les valeurs locatives cadastrales ont été régulièrement corrigées par des coefficients d’actualisation et de revalorisation nationaux, pour tenir compte de l’érosion monétaire et de l’évolution des loyers. La valeur locative cadastrale des locaux d’habitation correspond au loyer annuel normal de cet immeuble lorsqu’il est loué aux conditions du marché. Elle est calculée par unité d’évaluation, l’unité étant le local, c’est-à-dire une propriété ou fraction de propriété faisant l’objet d’une utilisation distincte. La révision de 1970 a permis de choisir pour chaque zone les locaux représentatifs de chaque catégorie de locaux présents sur le territoire communal, afin de constituer une nomenclature de classement et fixer, suivant le cas, des tarifs (des valeurs au mètre carré pondéré) ou des valeurs locatives de référence par catégorie de local. La valeur locative cadastrale résulte de l’application de neuf paramètres qui interviennent dans la fiche de calcul : la surface totale des pièces et annexes affectées à l’habitation, la catégorie du logement, l’importance du logement, la surface des dépendances, le degré d’entretien, la situation générale, la situation particulière, l’existence ou non d’un ascenseur, l’équipement et le confort mesurés en équivalences superficielles. Pour obtenir la valeur locative cadastrale du local, on applique donc un tarif d’évaluation à la surface pondérée totale. Initialement, le législateur a prévu que les valeurs locatives cadastrales, fixées à la date de référence du 1er janvier 1970 pour les propriétés bâties ou du 1er janvier 1961 pour les propriétés non bâties seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année pour prendre en compte l’évolution des loyers. En réalité, cette actualisation n’a eu lieu qu’une seule fois en 1980 permettant de mettre en place un premier coefficient d’actualisation 1980 reflétant l’évolution du marché locatif au niveau départemental entre 1970 et 1980. Chaque année à partir de 1981, on y a ajouté un coefficient de revalorisation nationale fixé chaque année en loi de finances, correspondant à l’évolution des loyers constatée entre le 1er janvier 1978 et le 1er janvier de l’année d’imposition. C’est cette valeur locative actualisée et revalorisée qui sert pour le calcul des bases.

La phase de test

La phase de test a commencé par un processus déclaratif applicable à chaque propriétaire bailleur de locaux d’habitation. Le taux de retour de ces questionnaires a été de l’ordre de 70 %, un chiffre plutôt satisfaisant pour les services de Bercy. Cette phase de recueil des informations auprès des propriétaires bailleurs (loyers, surfaces, types de local, etc.) a fait l’objet d’un premier rapport d’étape en 2016. Bercy présente désormais un deuxième rapport d’étape relatif aux simulations réalisées à partir des informations récoltées en Charente-Maritime, dans le Nord, l’Orne, Paris et le Val-de-Marne. « Il s’agit d’une expérimentation “à blanc”, donc sans impact sur l’impôt réellement payé par les contribuables, mais permettant de mener le processus de révision pratiquement de A à Z, de la collecte des informations à l’évaluation individuelle de chaque local d’habitation dans cinq départements », a précisé le secrétaire d’État chargé du Budget. La méthode d’évaluation s’inspire très largement de ce qui a été fait pour les locaux professionnels. Les territoires sont découpés en secteurs d’évaluation représentant un marché locatif homogène. Ensuite, un tarif au mètre carré est fixé pour chaque catégorie de locaux (maison, appartement, etc.), à partir des loyers constatés dans chaque secteur d’évaluation, par tranche de surface totale du logement. La volumétrie très importante des locaux nécessite d’adapter la méthode de collecte des informations auprès des propriétaires. Leur occupation, qui est majoritairement le fait des propriétaires, rend plus complexe la collecte des éléments de loyer, dont le nombre ou la représentativité peuvent être insuffisants. Les résultats de cette phase expérimentale correspondent à une application purement mathématique de la méthodologie prévue par la loi.

Des gagnants et des perdants

La révision des valeurs locatives des locaux d’habitation engendrerait des transferts de charge entre différents contribuables. Ces transferts dépendront in fine des paramètres précis qui seront retenus par le législateur, et en particulier des modalités de transition. Cependant, on observe assez systématiquement qu’au sein des sous-groupes « maisons » et « appartements », les tarifs des locaux de petites surfaces sont plus élevés que ceux des locaux de grandes surfaces. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais cet effet tend à être renforcé pour les appartements tandis qu’il serait atténué pour les maisons. En moyenne, les grandes maisons gagneraient à cette réforme tandis que les petits appartements y perdraient. En effet, la valeur du prix au mètre carré des petites surfaces est plus importante que la valeur au mètre carré des grandes surfaces d’habitation. Cependant, les locaux sont classés par catégorie de taille : pour chaque catégorie, il y aura un prix au mètre carré, ce qui devrait permettre de modérer cet effet. « Pour les appartements, les valeurs locatives issues du travail mené dans les cinq départements augmentent de 125 %, alors que pour les maisons d’habitation, elles augmentent de 185 %. Pour les petits appartements, l’augmentation serait de 223 %. Les écarts sont donc importants et il en va de même pour les maisons », a précisé le secrétaire d’État au Budget.

La délicate question du logement social

La question du logement social devrait faire l’objet d’une attention particulière. Conformément à ce que prévoit la loi, deux scénarii ont systématiquement été expérimentés. Dans le premier scénario, les loyers des bailleurs sociaux sont exclus de la détermination des valeurs par secteurs et tarifs. Dans ce cas, la valeur locative des logements sociaux est établie à partir des logements comparables du parc privé. Dans le deuxième scénario, ceux-ci participent à l’élaboration d’une sectorisation et d’une grille tarifaire spécifiques, différentes de celles établies sur la base des informations collectées auprès des seuls propriétaires. Le deuxième scénario est bien plus favorable pour les logements sociaux, puisque les valeurs locatives sont établies sur la base des loyers constatés pour cette seule typologie de locaux. Les valeurs locatives des logements sociaux augmenteraient ainsi beaucoup moins que celles des logements du parc privé, puisqu’elles augmenteraient à hauteur de 18,7 % au lieu de 128,5 % en scénario 1. Toutefois, il apparaît que cette deuxième méthode pose davantage de problèmes opérationnels et pose plus généralement la question de la juste contribution foncière pour les propriétaires du parc social, qui devra s’articuler avec la préservation des équilibres économiques du logement social.

Un sujet politiquement sensible

Cette réforme constitue un sujet complexe et politiquement sensible qui est encore loin de faire l’unanimité. « Je m’interroge sur une réforme globale car, comme il risque d’y avoir autant de perdants que de gagnants, beaucoup de nos concitoyens vont protester. Si un gouvernement a le courage de mener une réforme globale, il faudra prévoir un délai suffisant », a résumé le sénateur Vincent Delahaye. « C’est un sujet sensible, analyse, quant à lui, le parlementaire Michel Canevet. Nous devons donc saisir l’opportunité des mutations pour réajuster les valeurs locatives, et étaler la réforme dans le temps pour ne pas déclencher une bronca qui déstabiliserait les autorités locales et nationales ». La réforme a été initiée afin de réintroduire plus de justice fiscale. « Depuis longtemps, nous souhaitons introduire plus d’égalité et de clarté dans ce système, rappelle François Marc, un des membres de la commission des finances. On entend des plaintes mais cette réforme n’a d’autre but que la justice. Aussi ne faut-il pas trop l’étaler. Voilà des années que certains profitent du système en payant moins qu’ils ne le devraient. Certes, un lissage sur dix ou douze ans est acceptable. Mais pendant trente ou quarante ans, d’autres ont payé trop, et il est grand temps de rectifier leur situation ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sénat, comptes rendus de la commission des finances, séance du mardi 21 février 2017.
  • 2.
    L. n° 2013-1279, 29 déc. 2013 de finances rectificative pour 2013, art. 74.
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