Réforme de la taxe d’habitation : point d’étape
De très nombreux contribuables vont bénéficier d’un dégrèvement de taxe d’habitation. Cette réforme est loin de faire l’unanimité et le Sénat vient de voter le report de cette mesure phare du programme présidentiel.
À l’heure où la réforme de la taxe d’habitation est actuellement en discussion au Parlement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, les conséquences financières de la création du nouveau dégrèvement de taxe d’habitation sont sous les feux des projecteurs. La taxe d’habitation constitue une ressource importante pour le budget des communes et de leurs groupements. L’article 3 du projet de loi de finances pour 2018 propose la création d’un nouveau dégrèvement, progressif et qui conduira, à terme, à un dégrèvement total de taxe d’habitation, calculé sur la base des taux et abattements votés en 2017, pour environ 80 % des contribuables. Ce nouveau dégrèvement devrait porter les coûts de l’action à 6,87 milliards d’euros en 2018, contre 3,70 milliards en 2017. Pour 2020, le coût attendu du nouveau dégrèvement s’élève à 10 milliards d’euros, précise le rapport de la commissions des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2018 (rapport n° 273 enregistré le 12 oct. 2017).
Une base d’imposition minorée par le jeu des abattements
La base d’imposition à la taxe d’habitation (TH) est égale à la valeur locative cadastrale des locaux imposables, éventuellement diminuée, en ce qui concerne les habitations principales, d’abattements obligatoires ou facultatifs, calculés sur la valeur locative moyenne des habitations de la commune, ou de l’EPCI, selon la part de TH considérée.
Deux catégories d’abattements viennent minorer la valeur locative cadastrale brute. Il s’agit de l’abattement obligatoire pour charges de familles, égal à 10 % de la valeur locative moyenne (VLM) des logements situés sur le territoire de la collectivité pour chacune des deux premières personnes à charge (enfants et ascendants), et à 15 % de la VLM à compter de la troisième personne. Ces taux peuvent être majorés de 1 à 10 points par le conseil municipal, ce qui porte l’abattement potentiel maximal à 20 et 25 %. Il s’agit également des abattements facultatifs à la base pris sur délibération des communes et des EPCI à fiscalité propre : l’abattement facultatif à la base (1 à 15 %), l’abattement en faveur des personnes de revenu modeste (1 à 15 %), et l’abattement en faveur des personnes handicapées ou invalides (10 à 20 %). Les abattements communaux s’appliquent pour la part intercommunale de la taxe d’habitation, sauf délibération contraire de l’EPCI. Les abattements cumulés avec les exonérations ont pour effet de réduire les valeurs locatives brutes d’environ 23 %. En outre, un certain nombre de dégrèvements et d’exonérations sont actuellement en vigueur. Certains contribuables, notamment ceux de condition modeste, peuvent bénéficier d’une exonération ou d’un dégrèvement total ou partiel de leurs cotisations.
Les dégrèvements n’affectent pas le produit de l’impôt versé aux collectivités. Les hausses de taux sont, en principe, répercutées sur le montant des dégrèvements, et l’État prend en charge le paiement de l’impôt dû par les contribuables à l’euro près. Pour les exonérations de droit, rendues obligatoires par la loi, les compensations sont généralement calculées en référence aux produits perçus par les collectivités lors de la mise en place du dispositif d’allégement auquel sont liées ces compensations. Les compensations sont versées par l’État, suivant les modalités définies par la loi, et le plus souvent, sans prise en compte de l’évolution des taux. Ce mécanisme conduit à une limitation des produits pour les collectivités territoriales. Les exonérations sur délibération, facultatives, ne sont pas compensées. Concernant la taxe d’habitation, les compensations d’exonérations se sont élevées à 1 174 millions d’euros en 2016, pour 3 938 millions d’euros de dégrèvements législatifs ordonnancés.
Les dispositifs d’exonération actuels
Aux termes du I de l’article 1414 du CGI, certains contribuables peuvent bénéficier d’une exonération totale de TH pour leur habitation principale. Il s’agit d’abord des titulaires de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Le plafond de ressources pour bénéficier de l’ASPA est fixé à 803 euros par mois pour une personne seule et 1 247 euros par mois pour un couple. Il s’agit également des titulaires de l’Allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). Le plafond de ressources pour bénéficier de l’ASI est fixé à 704,8 euros par mois pour une personne seule et 1 234,5 euros par mois pour un couple. Autres contribuables exonérés : les personnes âgées de plus de 60 ans, veufs et veuves, à l’exception des redevables de l’impôt sur la fortune, sous condition de ressources ; les titulaires de l’allocation adultes handicapés (AAH), sous condition de ressources et les contribuables atteints d’une infirmité ou d’une invalidité les empêchant de subvenir par leur travail aux nécessités de l’existence, sous condition de ressources. L’article 1417 du CGI fixe les conditions de ressources applicables aux trois dernières catégories de contribuables listées ci-dessus. Il s’agit des contribuables dont le RFR de l’année précédente n’excède pas la somme de 10 708 euros pour la première part de quotient familial, majorée de 2 859 euros pour chaque demi-part supplémentaire. Ces exonérations sont également applicables pour les anciens domiciles de contribuables dont les redevables conservent la jouissance, alors qu’ils résident durablement en maison de retraite ou en établissement de soins de longue durée, sous réserve que ces domiciles ne soient pas affectés au logement des tiers conformément à l’article 1414 B du CGI. Aux termes de l’article 1605 bis du CGI, le bénéfice de ces exonérations de l’article 1414 permet de bénéficier également d’une exonération de Contribution à l’audiovisuel public (CAP).
Précisons que l’article 75 de la loi de finances pour 2016 a instauré une clause de maintien des droits acquis permettant de maintenir les exonérations de fiscalité locale et de CAT dont bénéficiaient les contribuables avant 2014, où a été décidée la fiscalisation des majorations de pension pour charges de famille, et la suppression de la demi-part dite « vieux parents ». L’article 75 de la loi de finances pour 2016 a également instauré un mécanisme de « sortie en sifflet » des exonérations de taxe d’habitation et de taxe foncière. Ces différents dispositifs permettent d’exonérer près de 4 millions de foyers à la taxe d’habitation. Ces mécanismes permettent déjà à un nombre significatif de ménages modestes de bénéficier d’une exonération, qui atteint 621 euros en moyenne.
Une application progressive sur 3 ans
En 2018, la cotisation de taxe d’habitation restant à charge de ces foyers, après application éventuelle du plafonnement en fonction du revenu, sera abattue de 30 %, et, en 2019, de 65 %. Ce nouveau dégrèvement concernera les foyers dont les ressources n’excèdent pas 27 000 euros de RFR pour une part, majorées de 8 000 euros pour les deux demi-parts suivantes, soit 43 000 euros pour un couple, puis 6 000 euros par demi-part supplémentaire. Pour les foyers dont les ressources se situent entre ces limites et celles de 28 000 euros pour une part, majorées de 8 500 euros pour les deux demi-parts suivantes, soit 45 000 euros pour un couple, puis 6 000 euros par demi-part supplémentaire, le droit à dégrèvement sera dégressif afin de limiter les effets de seuil. Ce nouveau dégrèvement s’applique après l’application du plafonnement en fonction du revenu, lequel plafonnement sera supprimé à compter de 2020. Le champ des redevables bénéficiant du dégrèvement proposé est plus large que celui des redevables relevant du plafonnement, du fait des plafonds de RFR retenus. Les autres dégrèvements et exonérations, ainsi que le dispositif de sortie progressive de ces exonérations, continueront de s’appliquer.
Ce nouveau dégrèvement s’appliquera également aux taxes annexes à la taxe d’habitation (TSE et GEMAPI). En revanche, il ne permettra pas de bénéficier d’une exonération de contribution à l’audiovisuel public, pour laquelle les règles sont inchangées. Afin d’éviter les effets de seuils, un dispositif de lissage a été mis en place pour les revenus légèrement supérieurs au seuil précité, et inférieurs à 28 000 euros pour une part, majoré de 8 500 euros pour les deux demi-parts suivantes, puis 6 000 euros pour les autres demi-parts. Les collectivités continueront de bénéficier de la liberté de fixer les taux, mais l’État prendra en charge les dégrèvements, dans la limite des taux et des abattements en vigueur pour les impositions de 2017. Les éventuelles augmentations de taux ou d’abattements seront donc supportées par les contribuables.
Les conséquences pour les contribuables
Les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Pierre Madec et Mathieu Plane ont finement évalué les impacts de la mesure proposée. Après s’être penchés sur la proposition d’exonération progressive de taxe d’habitation, telle que présentée dans le programme présidentiel, à la suite de la présentation du projet de loi de finances pour 2018, ils ont procédé à une mise à jour de leurs travaux, en intégrant les évolutions relatives aux bénéficiaires de la taxe. « Initialement, la proposition visait à exonérer les ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 20 000 euros par an et par part fiscale », rappellent ces derniers. Ce seuil est désormais modifié et les paramètres du nouveau mode de calcul s’écartent quelque peu du principe des « parts fiscales ». Ces modifications permettent d’accroître globalement le nombre de ménages éligibles à l’exonération. La proposition initiale entraînait l’exonération totale de la taxe d’habitation pour 21 millions de ménages métropolitains, soit 74 % de la population ; 4,5 millions étant d’ores et déjà dispensés de cette taxe. « Les seuils modifiés élargissent le nombre de ménages exonérés puisqu’il atteindrait 22,2 millions, soit 78 % des ménages, un objectif proche de celui affiché par le gouvernement », concluent les experts. Si 1,8 million de ces ménages sont des personnes seules, les familles monoparentales (+ 64 000) et les couples sans enfant sont également plus nombreux à bénéficier de l’augmentation des seuils. Les retraités, les ménages les plus touchés par la hausse à venir de la CSG, sont bénéficiaires de l’évolution des seuils puisqu’ils représentent la moitié des nouveaux entrants dans le dispositif. A contrario, les couples avec enfants sont désormais moins nombreux à être éligibles au dispositif d’exonération (- 400 000). Globalement, la modification des critères d’éligibilité modifie donc quelque peu le profil des ménages exigibles à l’exonération. La version précédente de la mesure était fortement ciblée sur les classes dites « moyennes ». Sous l’effet de la hausse des seuils, des ménages plus aisés sont dorénavant éligibles à l’exonération. A contrario, les perdants sont à compter parmi les ménages du bas de la distribution de niveau de vie, ménages ayant plus de deux enfants. Ces transferts s’expliquant intégralement par la nouvelle prise en compte de la composition des ménages.
Des disparités fortes au plan national
Les recettes actuelles de taxe d’habitation par habitant sont très différentes d’un département à l’autre. Les montants moyens de taxe d’habitation payée par habitant sont particulièrement élevés en banlieue parisienne, dans la région Bretagne, dans l’Est du pays (Bas-Rhin, Moselle, Meurthe-et-Moselle, Meuse), en Haute-Vienne, dans le Rhône, et sur le pourtour méditerranéen. Ces variations reposent sur plusieurs facteurs, et notamment la valeur locative brute des logements et la politique de taux et d’abattements des collectivités et des EPCI. Le nombre de foyers déjà exonérés ou plafonnés est également sujet à de fortes variations. Ainsi, quand la Creuse a déjà 24,5 % de foyers exonérés de taxe d’habitation, les Yvelines en comptent seulement 6,2 %. De même, quand la Seine-Saint-Denis compte 43,3 % de foyers plafonnés, auxquels s’ajoutent 11,24 % de foyers exonérés, Paris compte seulement 11,88 % de foyers plafonnés, et 6,61 % de foyers exonérés.
Les bénéfices territoriaux du nouveau dégrèvement sont contrastés
S’il n’existe pas de « perdants » à la réforme, certains ménages n’en bénéficieront pas, soit parce qu’ils sont déjà exonérés de taxe d’habitation ou acquittent une taxe d’habitation nulle grâce au plafonnement en fonction du revenu ou en conséquence de la politique d’abattements, par exemple, soit parce qu’ils ne rentrent pas dans le champ du nouveau prélèvement. Selon les données transmises par l’administration fiscale, la part de foyers qui continueraient à acquitter la taxe d’habitation varie du simple au quadruple selon les départements : de 11,4 % dans la Creuse, à 43,78 % à Paris, par exemple.
La part de gagnants à la réforme varie presque du simple au double selon les départements. En outre, les gains moyens réalisés par les contribuables varient significativement selon le lieu de résidence. La réforme proposée est ciblée sur les territoires où les montants de taxe d’habitation par ménage sont élevés, ainsi que sur ceux ayant une part de population éligible importante. À l’inverse, les territoires où la taxe d’habitation est peu élevée, et la proportion de la population éligible à la mesure est relativement faible, bénéficient de la réforme dans une moindre mesure.
La perte fiscale qui traduit la perte de ressources fiscales fondées exclusivement sur les montants de taxe d’habitation acquittée par les contribuables, excluant les dégrèvements et les compensations d’exonérations est très différente selon les départements. D’après l’OFCE, dans 40 % des départements, la perte sera supérieure à 70 % du montant de taxe d’habitation actuellement perçue, et pourra même atteindre 85 % dans certains cas. Dans ces départements, le montant de taxe d’habitation acquitté par les contribuables après la réforme représentera de 15 à 30 % des ressources de taxe d’habitation de la collectivité avant la réforme. En revanche, dans d’autres départements, le montant de taxe d’habitation acquitté par les contribuables continuera de représenter une part importante des ressources fiscales des communes et des EPCI.
L’opposition du Sénat
Vent debout contre cette réforme qui impactera significativement le budget des collectivités locales, la commission des finances du Sénat vient de voter le report de la réforme qu’elle estime « injuste et précipitée ». La taxe d’habitation représente 22 milliards d’euros de recettes pour le bloc communal, soit un tiers de ses recettes fiscales. Certes, les collectivités territoriales seront compensées par un dégrèvement, mais la réforme proposée affaiblit significativement leur pouvoir fiscal et menace la pérennité de leurs ressources. Et ceci d’autant plus que le gouvernement envisage « un mécanisme de limitation des hausses de taux décidées ultérieurement par les collectivités », précisent les sénateurs. Réunie ce 15 novembre dernier, la commission des finances du Sénat, sur proposition de son rapporteur général, Albéric de Montgolfier, a donc adopté un amendement de suppression de la réforme de la taxe d’habitation présentée à l’article 3 du projet de loi de finances pour 2018. Les sénateurs estiment en effet que cette mesure ne mettra absolument pas fin aux injustices résultant de la vétusté des valeurs locatives. Elles subsisteront, d’une part, pour les 20 % de Français qui continueront à payer la taxe d’habitation et qui acquittent déjà chaque année plus de 80 % du produit de l’impôt sur le revenu, et d’autre part, à travers la taxe foncière sur les propriétés bâties. Leur caractère injuste continuera également à avoir des effets sur les collectivités territoriales par le biais de la répartition des dotations et des dispositifs de péréquation, qui y font référence. « Dans plus de 7 800 communes, moins de dix contribuables, et dans plus de 3 200 communes moins de cinq contribuables pourraient continuer de supporter cet impôt, ce qui soulève une question au regard du respect du principe d’égalité devant l’impôt, qu’il reviendra au Conseil constitutionnel de trancher », précise la commission des finances du Sénat dans le communiqué qu’elle a publié.
En définitive, si une réforme de la fiscalité locale est nécessaire, il convient de prendre le temps de mener ces réflexions et de reporter la réforme, concluent les sénateurs.