Fiscalité locale : le grand chantier

Publié le 09/08/2018

Le transfert des taxes foncières aux communes est confirmé. La réforme de la fiscalité locale est étendue aux bases locatives et à la taxe carbone.

La suppression complète de la taxe d’habitation annoncé en 2022, n’est « qu’un petit morceau d’un sujet beaucoup plus vaste », la réforme de la fiscalité locale, mise à l’honneur lors de la conférence nationale des territoires, le 12 juillet dernier, selon la formule du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. En effet, « c’est dans ce cadre-là de la refonte de la fiscalité locale que peuvent se retrouver les marges de manœuvre pour pouvoir financer la totalité de la suppression de la taxe d’habitation », a-t-il ajouté. Si la suppression intégrale de la taxe d’habitation était initialement réservée à 80 % des contribuables situés sous un plafond de ressources, conformément aux engagements de campagne d’Emmanuel Macron, la suppression complète, à moyen terme, de la taxe d’habitation a été annoncée en novembre 2017. Le gouvernement travaille donc à un plan de refonte globale de la fiscalité locale.

Transfert des taxes sur le foncier bâti aux communes

D’après les chiffres avancés par le Comité des finances locales (CPL) ce sont près de 26 milliards d’euros qui doivent être trouvés d’ici 2020, date de la suppression totale de la taxe d’habitation, pour compenser cette perte de recettes. Parmi les différents scénarios envisagés pour compenser la disparition de la taxe foncière, le gouvernement a souhaité privilégier le transfert des taxes sur le foncier bâti aux communes qui fait « le plus grand sens ». Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, s’est à cet égard félicité que « l’impôt payé au plus près aille à la collectivité la plus proche », une réforme logique qui a le mérite de conférer « de la lisibilité, de la simplicité à ce mille-feuille fiscal local auquel franchement personne ne comprend plus grand-chose », a-t-il résumé. Il s’agit d’une des pistes privilégiées par la mission, présidée par Alain Richard et Dominique Bur, qui a remis le 9 mai dernier son rapport sur les pistes de refonte de la fiscalité locale au Premier ministre, Édouard Philippe. La part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) sera donc bien transférée au bloc communal. En revanche, l’alternative à ce premier scénario qui consistait également à transférer aux communes l’intégralité de la TFPB, y compris la part intercommunale, soit 1, 3 milliards d’euros en 2016 devrait être écartée, a indiqué le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt. Les quatre associations du bloc communal qui ont participé à  l’instance de dialogue de la Conférence nationale des territoires réunie le 4 juillet à Matignon, à savoir, l’Assemblée des communautés de France, l’Association des Petites Villes de France, France urbaine et Villes de France ont salué dans un communiqué de presse commun cette décision, tout en rappelant la nécessité de poursuivre la réflexion sur la ressource fiscale complémentaire qu’il faudra identifier. La mise en place d’un fonds de compensation devrait permettre de neutraliser les écarts entre anciennes et nouvelles ressources. De nouvelles ressources devront également être fléchées en direction des intercommunalités afin de compenser la perte des recettes générées par la taxe d’habitation. Un impôt national partagé, vraisemblablement une fraction de la TVA ou bien une fraction de la part départementale de la CVAE pourrait y contribuer. Cette dernière solution contribuerait à appauvrir un peu plus les départements. Une solution alternative pourrait donc avoir la préférence de Bercy. Il s’agit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). L’ADCF, l’APVF, France urbaine et Villes de France ont exprimé leur engagement dans la transition énergétique et la mobilité durable. Elles ont salué les objectifs poursuivis par le projet de loi d’orientation sur les mobilités présenté par la ministre Élisabeth Borne tout en plaidant pour l’affectation d’une part de la contribution « énergie climat » aux projets de transition énergétique et de mobilité durable dans les territoires. Les départements pourraient, quant à eux, percevoir une fraction de la TVA ou de la CSG.

Pas de nationalisation des droits de mutation

La mission présidée par Alain Richard et Dominique Bur avait plaidé pour une nationalisation et une baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), une ressource qui rapporte annuellement environ 10 milliards d’euros. Leur évolution imprévisible et répartie très inégalement selon les départements est mal adapté au financement des dépenses sociales, avaient souligné les deux rapporteurs. D’après les chiffres du rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales, entre 2013 et 2016, les DMTO encaissés par les départements sont passés de 7,16 milliards à 9,55 milliards d’euros, soit une hausse de 33,4 %. En 2017, le dynamisme des ventes immobilières a soutenu la progression des DMTO encaissés par les départements, chiffrés à 11,5 milliards d’euros. Mais ces ressources sont réparties très inégalement entre les départements. À eux seuls, les 10 départements représentant les marchés immobiliers les plus actifs cumulent plus de 40 % de la totalité des DMTO encaissés. Avec 25 milliards de transactions, à elle seule, la ville de Paris génère 1 milliard de DMTO. Les 10 départements les moins actifs en termes de ventes immobilières ne représentent que 1 % du montant total des transactions en France. Ces départements perçoivent des DMTO qui sont jusqu’à 200 fois moins importants que les départements les plus dynamiques. En outre, soulignent Alain Richard et Dominique Bur, les DMTO freinent la fluidité du marché immobilier et la mobilité résidentielle des travailleurs. Bercy s’est récemment opposé, à ce sujet, à l’idée soulevée par Matignon d’un éventuel déplafonnement des DMTO faisant passer cet impôt de 4,5 % à 4,7 %, jugeant une telle option défavorable à la mobilité des salariés et donc à l’emploi. Le gouvernement n’a pas retenu la piste de la centralisation des DMTO, un scénario jugé sans doute trop défavorable pour les départements.

Refonte globale des bases cadastrales

La feuille de route du gouvernement inclut également une révision des bases locatives pour les particuliers, visant 46 millions de locaux d’habitation et professionnels, 3,5 millions de locaux d’habitation. Les représentants des quatre associations du bloc communal se sont d’ailleurs « félicités de la décision du gouvernement de poursuivre la révision des valeurs locatives en l’étendant aux locaux résidentiels, décision qui constitue la mère des réformes pour organiser une fiscalité équitable pour les contribuables et dynamique pour les collectivités ». D’après les annonces de l’exécutif, les nouvelles bases devraient être effectives dès 2024 avec des mécanismes de lissage sur dix ans. Le principe de cette réforme devrait être inscrit dans le projet de loi de finances rectificative début 2019 qui portera la réforme de la fiscalité locale. Les valeurs locatives cadastrales servent à calculer les bases d’imposition des taxes directes locales. Elles sont fixées par les services du cadastre avec le concours de la commission communale des impôts directs.

Des bases vieillies

Lors de la révision générale de 1970, après une analyse des déclarations souscrites par chaque propriétaire, un zonage géographique de la collectivité organisé en zones locatives homogènes a été fixé et des valeurs de référence ou de comparaison ont été établies dans chaque zone, pour chaque type et catégorie de biens (bâti, non bâti, locaux commerciaux et industriels). Par la suite, les valeurs locatives cadastrales ont été régulièrement corrigées par des coefficients d’actualisation et de revalorisation nationaux, pour tenir compte de l’érosion monétaire et de l’évolution des loyers. La valeur locative cadastrale des locaux d’habitation correspond au loyer annuel normal de cet immeuble lorsqu’il est loué aux conditions du marché. Elle est calculée par unité d’évaluation, l’unité étant le local, c’est-à-dire une propriété ou fraction de propriété faisant l’objet d’une utilisation distincte. La révision de 1970 a permis de choisir pour chaque zone les locaux représentatifs de chaque catégorie de locaux présents sur le territoire communal, afin de constituer une nomenclature de classement et fixer, suivant le cas, des tarifs (des valeurs au mètre carré pondéré) ou des valeurs locatives de référence par catégorie de local. La valeur locative cadastrale résulte de l’application de neuf paramètres qui interviennent dans la fiche de calcul : la surface totale des pièces et annexes affectées à l’habitation, la catégorie du logement, l’importance du logement, la surface des dépendances, le degré d’entretien, la situation générale, la situation particulière, l’existence ou non d’un ascenseur, l’équipement et le confort mesurés en équivalences superficielles. Pour obtenir la valeur locative cadastrale du local, on applique donc un tarif d’évaluation à la surface pondérée totale. Initialement, le législateur a prévu que les valeurs locatives cadastrales, fixées à la date de référence du 1er janvier 1970 pour les propriétés bâties ou du 1er janvier 1961 pour les propriétés non bâties seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année pour prendre en compte l’évolution des loyers.

Remédier à l’obsolescence

En réalité, cette actualisation n’a eu lieu qu’une seule fois en 1980 permettant de mettre en place un premier coefficient d’actualisation reflétant l’évolution du marché locatif au niveau départemental entre 1970 et 1980. Chaque année à partir de 1981, on y a ajouté un coefficient de revalorisation nationale fixé chaque année en loi de finance), correspondant à l’évolution des loyers constatée entre le 1er janvier 1978 et le 1er janvier de l’année d’imposition. C’est cette valeur locative actualisée et revalorisée qui sert pour le calcul des bases. Déconnectées de la réalité du marché locatif, les valeurs locatives foncières qui servent de base aux impôts locaux entraînent en conséquence des répartitions d’impôt inéquitables entre les différents contribuables. Tous les acteurs s’accordent donc sur la nécessité de revoir ces valeurs locatives pour qu’elles correspondent mieux aux loyers actuels. Mais l’ampleur de la tâche et les inévitables transferts d’impôt qu’elle va générer entre les contribuables découragent. Ces risques transforment la réforme en un sujet politiquement complexe.

Locaux professionnels

Une révision des valeurs locatives des locaux professionnels commerciaux a déjà été lancée. L’ensemble des paramètres départementaux d’évaluation (secteurs géographiques, grilles tarifaires, coefficients de localisation) ont été publiés à cet effet en juin 2016, à la suite des travaux des commissions départementales constituées des représentants des élus locaux et des professionnels, assistées par la DGFiP. Depuis le 1er janvier 2017, tous les locaux professionnels entrant dans le champ de la révision disposent ainsi d’une nouvelle valeur locative révisée. Des simulations de la Direction générale des finances publiques précisent les effets de la réforme. Même si des mécanismes ont été mis en place pour atténuer les conséquences de cette revalorisation (mécanismes de lissage et de plafonnement des variations de cotisations) un certain nombre de professionnels devront faire face à des hausses à deux chiffres de leur cotisation de taxe foncière. La révision des valeurs locatives des locaux professionnels frappe notamment de plein fouet les professionnels implantés dans des centres commerciaux et des galeries marchandes qui verront en moyenne leur cotisation augmenter de 47 % d’ici 2026. Des établissements comme, les maisons de retraite, les déchetteries, les parcs de stationnement, les centres de médecine préventive, les crèches et halte-garderies, devront faire face à des hausses comprises entre 40 et 15 %. La réforme fait également des gagnants et environ 15 % des contribuables devraient voir leur impôt baisser. Les professionnels installés dans des villes de plus de 10 000 habitants devraient enregistrer une baisse de leurs cotisations. Au contraire, les professionnels installés dans les communes de moins de 250 habitants verront leur taxe foncière augmenter de plus de 8 % dans dix ans. Et à l’intérieur de ces grandes tendances, les situations peuvent s’avérer très contrastées d’un contribuable à l’autre. Ces nouvelles valeurs locatives, assises sur des valeurs calculées à partir de loyers réels constatés, ont été utilisées pour l’établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties et la cotisation foncière des entreprises en 2017. Une intégration des résultats de la révision foncière pour les locaux professionnels qui marque l’aboutissement d’un chantier engagé depuis 2010.

Une phase test pour les locaux d’habitation

Des expérimentations ont été menées ces dernières années pour étudier les méthodes de modernisation des bases foncières et leur conséquences concrètes. Ainsi le principe d’une réforme des bases foncières a été acté dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2013. Et une expérimentation a été menée dans cinq départements tests. Il s’agit des départements de la Charente-Maritime (17), de l’Orne (61), de Paris (75), du Nord (59), et du Val-de-Marne (94). Cette expérimentation a pour but de mesurer les écarts entre les valeurs actuelles du marché locatif et les valeurs cadastrales utilisées aujourd’hui. D’après cette phase de test, les valeurs locatives des locaux d’habitation appartenant au parc privé augmenteraient de 151,5 %. Ce chiffre masque toutefois une forte hétérogénéité entre les départements, de + 131,2 % à Paris à + 239,8 % dans le Nord. Ils montrent qu’une révision des valeurs locatives des locaux d’habitation engendrerait des transferts de charge entre différents contribuables. Ces transferts dépendront in fine des paramètres précis qui seront retenus par le législateur, et en particulier des modalités de transition. Cependant, on observe assez systématiquement qu’au sein des sous-groupes « maisons » et « appartements », les tarifs des locaux de petites surfaces sont plus élevés que ceux des locaux de grandes surfaces. En moyenne, les grandes maisons gagneraient à cette réforme tandis que les petits appartements y perdraient. En effet, la valeur du prix au mètre carré des petites surfaces est plus importante que celle des grandes surfaces d’habitation. Pour les appartements, les valeurs locatives issues du travail mené dans les cinq départements augmentent de 125 %, alors que pour les maisons d’habitation, elles augmentent de 185 %. Pour les petits appartements, l’augmentation serait de 223 %. Cependant, les locaux sont classés par catégorie de taille : pour chaque catégorie, il y aura un prix au mètre carré, ce qui devrait permettre de modérer cet effet. Mener la réforme des bases foncières en parallèle avec le chantier de la réforme de la taxe d’habitation représente donc un challenge de taille pour le gouvernement Philippe.

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