Focus sur la question prioritaire de constitutionnalité

Publié le 31/12/2021
Focus
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Le point sur les questions prioritaires de constitutionnalité rendues en matière fiscale, alors que la procédure vient de fêter sa première décennie.

Les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à la fiscalité se succèdent assez régulièrement depuis que la procédure a été mise en place. Les contribuables se sont saisis de cette nouvelle voie de recours pour contester de nombreux dispositifs législatifs et le Conseil d’État et la Cour de cassation ont adopté une politique de renvoi assez généreuse en la matière.

L’importance de la matière fiscale

Entre le 1er mars 2010 et le 31 décembre 2019, la matière fiscale a représenté 22 % des QPC rendues par le Conseil constitutionnel, c’est dire l’importance prise par cette procédure en matière fiscale. Dans la très grande majorité des cas, le Conseil constitutionnel a rendu des décisions de conformité et dans une proportion moins importante, des décisions de conformité sous-réserve. Les décisions de non-conformité partielle, de non-conformité totale et de non-conformité de date à date restent minoritaires. En ce sens, le bilan paraît assez décevant, au regard des espoirs que cette nouvelle procédure a initialement suscités chez les contribuables et leurs conseils. Précisons à cet égard que les personnes physiques représentent environ la moitié des auteurs de QPC alors que les grandes entreprises, notamment multinationales, ne représentent qu’une part assez faible de ces auteurs.

Remodeler le droit fiscal

« Les décisions fréquentes du Conseil constitutionnel en matière fiscale constituent autant d’occasions de remodeler le droit fiscal », souligne le Conseil constitutionnel dans son rapport publié en octobre dernier, intitulé : QPC et droit fiscal, les apports croisés du droit fiscal et de la QPC, et pour qui, « la QPC et le droit fiscal se nourrissent mutuellement ». Il est indéniable qu’avec les QPC, les contribuables ont trouvé un outil de protection de leurs droits et libertés fondamentaux. L’usage de la QPC permet de rendre plus effective l’exigence de sécurité juridique dans la jurisprudence constitutionnelle, grâce notamment à une meilleure protection des situations acquises et des attentes légitimes ainsi qu’à une intensification du contrôle des lois fiscales rétroactives et de validation. À cet égard, le Conseil constitutionnel a intensifié son contrôle en substituant à l’exigence d’un motif d’intérêt général suffisant celle de « motif impérieux d’intérêt général » pour justifier le recours à la rétroactivité, notamment dans le cadre d’une opération de validation (Cons. const., QPC, 14 févr. 2014, n° 2013-366, SELARL PJA), alignant ainsi sa formulation sur celle de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Des avancées en matière de sanctions

En matière de modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés, l’instauration de la QPC a permis d’intensifier le contentieux et de donner ainsi plus d’occasions au Conseil constitutionnel de faire évoluer sa jurisprudence relative à la sécurité juridique et aux sanctions en matière fiscale. En conséquence, les garanties dont les contribuables sanctionnés bénéficient sur le fondement de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) ont progressé même si certaines sanctions fiscales échappent encore au contrôle de constitutionnalité a posteriori faute d’avoir franchi le filtre du Conseil d’État.

Les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ainsi que le principe d’individualisation des peines, ont été mobilisés pour contester soit l’adéquation entre la sanction et l’infraction, soit le cumul de sanctions et de poursuites. Le Conseil constitutionnel a parfois émis des réserves d’interprétation pour prévenir une violation potentielle du principe de non-rétroactivité des sanctions. S’agissant de l’adéquation entre la sanction et l’infraction, le Conseil constitutionnel veille à ce que la sanction soit directement liée à l’infraction. En matière fiscale ce lien est généralement assuré par sa nature financière (amende, pénalité ou majoration) dont le montant est modulé en fonction de la gravité des comportements réprimés. Cette modulation permet d’assurer le respect du principe d’individualisation de la peine et le Conseil constitutionnel veille à ce que cette modulation soit assurée que l’amende soit une somme forfaitaire ou qu’elle soit calculée en référence à un taux unique et fixe ou encore à un éventail de taux déterminés. Concernant le montant de la sanction, soucieux de respecter le pouvoir d’appréciation du législateur, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité entre l’infraction et la peine encourue restreint à l’erreur manifeste.

Anticiper les risques budgétaires ?

L’équilibre du système fiscal peut être menacé par les QPC dans la mesure où la censure de certains dispositifs fiscaux peut modifier les prévisions de ressources fiscales faites par le gouvernement et le législateur. On peut à cet égard, citer l’exemple de la décision du Conseil constitutionnel rendue le 6 octobre 2017 (Cons. const., QPC, 6 oct. 2017, n° 2017-660, Société de participations financière) dont les conséquences financières pour l’État se sont élevées à 10 Md€. Pour le Conseil constitutionnel, il convient « de réfléchir sur l’opportunité de mieux prendre en considération le coût des décisions de censure rendues dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a posteriori ». Or lorsqu’une QPC est transmise au Conseil constitutionnel, les conséquences d’une censure sur le budget de l’État ne lui sont pas nécessairement présentées de façon approfondie. L’argumentaire du représentant du gouvernement accorde peu de place à ce type de conséquences. Le plus souvent, il présente les circonstances particulières de l’espèce qui justifieraient selon lui que le juge constitutionnel limite les effets rétroactifs de la réserve d’interprétation qu’il formulerait pour déclarer la loi inapplicable à certaines situations et il conclut que le gouvernement s’en remet à la sagesse du Conseil constitutionnel. Conviendrait-il de « prévoir et procéduraliser la réception par le juge constitutionnel des informations concernant les suites concrètes de ses décisions en matière fiscale ? », s’interroge le Conseil constitutionnel.

Modifier le mécanisme de filtre ?

Aucune QPC relative à l’abus de droit fiscal n’a été présentée à la Cour de cassation, contre 8 QPC adressées au Conseil d’État dont aucune n’a été transmise au Conseil constitutionnel. L’étude diligentée par le Conseil constitutionnel a mis en évidence, à partir du cas des dispositions législatives relatives à l’abus de droit, que le filtre opéré par les cours suprêmes peut se révéler un obstacle dirimant pour obtenir le contrôle de constitutionnalité d’une disposition législative en vigueur. La question se pose de savoir s’il ne conviendrait pas de modifier à la marge le système de filtre mis en place par le législateur organique, de sorte qu’il soit possible de lever certaines résistances lorsqu’elles sont caractérisées. En effet, si pour ces 8 questions prioritaires de constitutionnalité transmises au Conseil d’État, « on relève trois moyens dont le rejet ne prête pas à discussion : l’incompétence négative du Parlement dans la définition de l’abus de droit, le défaut ou manque de contradictoire devant le comité de l’abus de droit fiscal et la prétendue présomption irréfragable de fraude contenue à l’article 150-0 B du Code général des impôts, en revanche, le rejet systématique est discutable dans les autres situations », souligne l’étude réalisée par le Conseil constitutionnel. « La faiblesse des arguments utilisés par le Conseil d’État pour refuser de transmettre les QPC relatives à l’abus de droit est surprenante. Il apparaît ainsi que la haute assemblée ne souhaite pas que le Conseil constitutionnel ait à connaître de l’abus de droit, alors qu’il pourrait apporter une contribution utile à la clarification de cette notion fortement répressive qui peut conduire à l’application d’une majoration de 40 % à 80 % de l’impôt éludé ».