Focus sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

Publié le 26/06/2018

Afin de mieux détecter la fraude sociale, fiscale et douanière, un projet de loi anti-fraude stratégique devrait être adopté d’ici l’automne.

Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a présenté le 29 mars dernier le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude (projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, Sénat n° 385, 28 mars 2018) lors d’une visite de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), un service de contrôle fiscal qui joue un rôle clé dans la lutte contre la fraude. Le présent projet de loi relatif à la lutte contre la fraude est le complément du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC), en cours d’examen par le Parlement, qui définit un nouvel équilibre dans les relations entre le citoyen ou l’entreprise et l’Administration : une logique d’accompagnement et de conseil, notamment face aux erreurs commises de bonne foi. Ce nouveau projet de loi a pour objectif  de cibler et de renforcer les sanctions à l’encontre des fraudeurs qui contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt. Pour le gouvernement, l’ensemble de ces dispositions devrait permettre de renforcer l’efficacité de l’action des différentes administrations dans la lutte contre les fraudes fiscale, sociale, et douanière, mission essentielle au maintien du pacte républicain.

Une nouvelle police fiscale

Par rapport aux textes qui l’ont précédé, ce projet de loi relatif à la lutte contre la fraude comporte un certain nombre d’innovations. Il renforce les moyens de détection et de caractérisation de la fraude avec la création d’une « police fiscale » au sein du ministère chargé du Budget, en complémentarité des moyens du ministère de l’Intérieur, pour accroître les capacités d’enquête judiciaire en cas de fraude fiscale. La procédure judiciaire d’enquête fiscale est effective depuis le 1er janvier 2010. Elle s’est accompagnée de la mise en place de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) qui constitue un atout majeur dans la lutte contre la fraude fiscale. Lors de sa création en 2010, 14 agents de la DGFiP ont été dédiés à cette mission, auxquels s’ajoutaient 9 officiers de police judiciaire. Un renforcement du nombre de ces emplois a été décidé au cours du premier trimestre 2013. Les effectifs de la BNDRF se portent à présent à 51 agents dont 30 appartenant à la DGFiP. Ils sont compétents pour rechercher et constater sur l’ensemble du territoire national, les infractions en matière de fraude fiscale et le blanchiment des ces infractions, ainsi que les infractions qui leurs sont connexes. Le gouvernement souhaite compléter ce dispositif avec un nouveau service à compétence nationale entièrement dédié à rassembler des preuves en matière de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. Cette police, qui devrait vraisemblablement être opérationnelle dès 2020, devrait disposer des même pouvoirs que les officiers de police judiciaire (garde à vue, écoute, perquisition, etc.).

Faciliter les échanges de données

Le projet de loi prévoit également l’harmonisation des outils dont disposent les administrations et l’intensification du partage de données à des fins de lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale.  Il s’agit de renforcer l’accès à l’information en matière de contrôle et de recouvrement des agents chargés de lutter contre la fraude fiscale, sociale et douanière. Concrètement les fichiers de la DGFiP pourraient être ouverts aux assistants spécialisés mis à la disposition des juridictions judiciaires par l’administration fiscale. Ils devraient également pouvoir avoir accès aux fichiers FICOBA, FICOVIE, PATRIM, etc.

Les obligations des plates-formes d’économie collaborative

Le projet de texte définit également des modalités précises de mise en œuvre de la transmission automatique des revenus générés par les utilisateurs des plates-formes d’économie collaborative, qui entre en vigueur l’an prochain. Depuis le 1er juillet 2016, ces plates-formes doivent informer leurs adhérentes de leurs obligations juridiques et fiscales et leur communiquer le montant annuel des recettes générées sur leurs sites. Elles devront désormais transmettre à l’administration fiscale un certain nombre d’éléments comme les éléments identifiants de l’utilisateur, son adresse électronique, son statut (particulier ou professionnel), le montant de ses revenus et leur catégorie d’imposition. Ces dispositions s’appliqueront aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2019. Les règles relatives à l’obligation de renseignement des utilisateurs et celles relatives aux obligations déclarative de ces plates-formes seront regroupées en un seul texte afin d’en améliorer la lisibilité. 

Des sanctions plus efficaces

Ce projet de loi renforce les moyens de sanction de la fraude avec : la mise en œuvre d’une logique de publicité plus large des sanctions, tant pénales qu’administratives, en cas de fraude fiscale. Afin de renforcer l’arsenal de sanction, il est proposé de rendre obligatoire pour les personnes morales condamnées pour fraude fiscale, sauf décision contraire motivée en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, de prévoir une peine complémentaire d’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci, par voie de presse écrite ou tout autre moyen de diffusion au public, notamment par voie électronique.  Les amendes ou majorations appliquées à l’occasion de manquements graves caractérisés par des manœuvres frauduleuses et des montants de droits éludés excédant 50 000 euros seraient également sujet à publication, sauf en cas de dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration. Cette décision serait soumise à l’avis d’une commission ad hoc, la commission de publication des sanctions fiscale et effectuée sur le site internet de l’administration fiscale. Seules les manquements intervenant à compter de l’entrée en vigueur de la loi seront concernés par ces dispositions.

Sanctionner les tiers

Autre mesure au programme, la création de sanctions administratives à l’encontre des tiers facilitant la fraude fiscale et sociale afin de sanctionner non seulement les auteurs de la fraude, mais aussi ses « ingénieurs », qui diffusent des schémas frauduleux.  Actuellement ces derniers ne sont passibles que de sanctions pénales, alors que les auteurs de la fraude encourent des sanctions fiscales et pénales. Le projet de loi prévoit une amende pour les tiers qui sont à l’origine ou jouent un rôle déterminant dans l’organisation de cette fraude. Sont visés les professionnels exerçant une profession de conseil juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte de tiers.

Des peines alourdies

Ce projet prévoit également  la révision du mode de calcul des amendes pénales en cas de fraude fiscale, pour permettre de les fixer en proportion du produit tiré de l’infraction. Si l’administration fiscale détecte un comportement frauduleux, elle peut engager des poursuites pénales après avis de la commission des infractions fiscales. Indépendamment des sanctions fiscales, l’auteur d’une fraude fiscale encourt 500 000 € d’amende et 5 ans d’emprisonnement. Ces peines sont portées à 3 000 000 € d’amende et 7 ans d’emprisonnement lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou grâce à :

– l’ouverture de comptes ou à la souscription de contrats auprès d’organismes établis à l’étranger ;

– l’interposition de personnes ou d’organismes écran établis à l’étranger ;

– l’usage d’une fausse identité ou de faux documents (ou toute autre falsification) ;

une domiciliation ou un acte fictif ou artificiel à l’étranger.

Les peines d’emprisonnement encourues sont réduites de moitié si l’auteur ou le complice du délit participe à l’identification des autres auteurs ou complices.

Pour les personnes morales, la peine d’amende est égale au quintuple de ces sommes, 2 500 000 € pour une fraude fiscale simple et 15 000 000 € pour une fraude fiscale agravée. Le montant de l’amende encourue pourrait être portée au double du produit tiré de l’infraction et au triple pour les personnes morales. Cette augmentation ne viserait que les infractions intervenant après l’entrée en vigueur du texte de loi.

Procédure du plaider-coupable

Au programme de ce projet de loi on trouve également l’extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution immédiate sur reconnaissance de culpabilité (CRPC), dite de « plaider-coupable », afin d’accélérer les procédures judiciaires et d’obtenir une réparation plus rapide sans amoindrir en rien le niveau des peines. D’origine anglo-saxonne, la procédure du plaider-coupable a été introduite en France sous le nom de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC) par la loi du 9 mars 2004. Il s’agit d’un mode de traitement des infractions qui consiste, au terme d’une procédure allégée, à proposer au prévenu une peine inférieure à celle encourue en échange de la reconnaissance de sa culpabilité. Le procureur peut alors proposer au prévenu une peine, dont le quantum en termes d’emprisonnement ne peut être supérieur à un an ou à la moitié de la peine encourue. Si cette proposition est acceptée par le prévenu au terme d’une audience tenue obligatoirement en présence de son avocat, elle est soumise à un magistrat du siège qui peut, le cas échéant, l’homologuer par ordonnance lors d’une audience publique. En cas de refus de la proposition de peine par le prévenu, ou en cas de refus d’homologation de la proposition par le magistrat du siège, le tribunal correctionnel est saisi et statue dans les conditions habituelles. La CRPC n’est toutefois pas applicable à certains délits ou certaines accusations particulièrement graves ainsi que les délits dont la procédure de poursuite est prévue par un texte spécifique comme la fraude fiscale. Le projet de loi propose d’étendre cette procédure à la fraude fiscale. Le procureur de la République pourrait y recourir d’office ou bien à la demande de l’intéressé ou de son avocat.

Étendre la liste des États et territoires non coopératifs

L’extension de la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC), à la liste européenne est également programmée, afin d’enrichir les critères pris en compte et de rendre cette liste effective en prévoyant des sanctions, prévues par la législation française mais absentes au niveau européen. La troisième loi de finances rectificative pour 2009 a innové en définissant la notion d’État et de territoire non coopératif (ETNC), fondée sur la qualité des informations échangées par les États notamment via les conventions d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale  auxquels peuvent s’appliquer des dispositions législatives et fiscales spécifiques. Selon la définition qui en est codifiée à l’article 238-0 A du Code général des impôts (CGI), sont considérés comme non coopératifs les États et territoires non membres de la Communauté européenne dont la situation au regard de la transparence et de l’échange d’informations en matière fiscale a fait l’objet d’un examen par l’Organisation de coopération et de développement économiques et qui, à cette date, n’ont pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention. La liste des États et territoires non coopératifs est fixée par un arrêté des ministres chargés de l’Économie et du Budget après avis du ministre des Affaires étrangères. Cette liste est mise à jour, au 1er janvier de chaque année. En pratique, pour l’administration fiscale un État ou territoire est qualifié de non coopératif s’il figure sur la dernière liste grise publiée par l’OCDE et s’il n’a pas signé à cette date avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention. Actuellement 7 États figurent sur cette liste : le Bostwana, Brunei, le Guatémala, les Iles Marshall, Nauru, Niue et le Panama. Le 5 décembre 2017, l ‘Union Européenne s’est dotée d’une liste des pays et territoires non coopératifs contenant 17 noms. Cette liste qui repose sur trois critères (transparence fiscale, équité fiscale, mise en œuvre des mesures anti-BEPS) a été modifiée en janvier et mars derniers. Elle ne contient désormais plus que 9 États ou territoires : les Bahamas, Guam, la Namibie, les Iles Vierges Britanniques, les Samoa, les Samoa américaines, Palaos, Saint-Christophe-et-Nieves, Trinité et Tobago.

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