Fraude et blanchiment de capitaux : focus sur le marché de l’art

Publié le 09/02/2021

Fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et financement du terrorisme : le secteur de l’art est particulièrement exposé mais ses acteurs sont encore peu mobilisés pour faire face à leurs obligations.

Le secteur de l’art présente des vulnérabilités qui l’exposent à des risques de blanchiment, comme de financement du terrorisme, souligne la 6e édition du rapport de Tracfin, la cellule du ministère de l’Économie et des Finances, chargée de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (BC/FT) et dédiée à l’analyse des tendances et des risques en ces matières.

Une faible mobilisation du secteur

Ce marché, qui regroupe plus de 130 000 acteurs (galeristes, antiquaires et brocanteurs) est considéré comme particulièrement exposé aux risques de BC/FT. Or les professionnels concernés soumis au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT) font pour l’instant preuve d’une mobilisation encore très limitée au regard de leurs obligations de vigilance.

Le rapport pointe notamment le faible taux de déclarations de soupçon au regard du dynamisme et des enjeux financiers liés au marché de l’art émanant des commissaires-priseurs judiciaires et des opérateurs de ventes volontaires. Pourtant, le dispositif de contrôle et de sanction des professionnels du secteur de l’art a été amélioré par l’ordonnance n° 2016-1635 de transposition de la 4e directive en date du 1er décembre 2016 qui confirme que les personnes se livrant habituellement au commerce d’antiquités et d’œuvres d’art sont assujetties au dispositif national de LCB/FT. La Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a été désignée comme autorité de contrôle de ces professionnels et la Commission nationale des sanctions comme autorité de sanction. Tracfin et la DGDDI ont publié des lignes directrices conjointes le 10 mai 2019 pour ce secteur d’activité.

Une pluralité de facteur de risques

Le degré d’exposition au risque en matière de BC/FT est d’abord fonction d’une fréquence importante des paiements en espèces. En effet, l’interdiction des paiements en espèces au-delà de 1 000 € n’est applicable qu’aux résidents français. Les résidents étrangers, très représentés dans le secteur de l’art, peuvent régler leurs achats en liquide jusqu’à un plafond de 15 000 €. Parce que les prix de vente sont extrêmement volatils, le marché de l’art connaît une dynamique spéculative complexe. « Dans les ventes publiques, le régime des cotes est soumis à des critères très disparates de nature à masquer certaines opérations de blanchiment », soulignent les équipes de Tracfin. « Les professionnels disposent de peu de moyens de vigilance pour détecter d’éventuelles complicités entre vendeurs et acheteurs susceptibles de manipuler les prix. Enfin, les foires représentent des lieux de vente de gré à gré sans contrôle possible sur les transactions et les prix pratiqués. Le risque de recel d’objets volés y est important ».

Le développement accru des enchères et des ventes à distance constitue un autre facteur de risque. Les vérifications préalables aux ventes sur internet, organisées par des sociétés de ventes volontaires, sont souvent insuffisantes, en raison d’une connaissance du client limitée et d’un manque de traçabilité des œuvres et des fonds.

L’internationalisation de la profession et des flux financiers en est un autre. Les grandes maisons de vente d’art sont présentes à l’international. Certains acheteurs et vendeurs recourent à des sociétés et des comptes offshore qui complexifient la traçabilité des œuvres vendues et des fonds utilisés.

Autre facteur d’inquiétude, l’utilisation détournée des ports francs. « Créés initialement pour entreposer des matières premières puis des biens manufacturés pour un temps limité, ils sont, pour la plupart, devenus des zones de stockage à long terme d’œuvres d’art de grande valeur, offrant anonymat et sécurité à leurs propriétaires. Ils sont utilisés pour brouiller la traçabilité d’un bien et éviter d’éventuels contrôles », souligne le rapport. Les transactions d’achat et de vente peuvent être réalisées d’un propriétaire à l’autre sans que les œuvres quittent ces entrepôts. La faille majeure des ports francs en termes de LCB/FT découle de l’absence d’obligation de déclarer le bénéficiaire effectif des œuvres.

Fraude et blanchiment de capitaux : focus sur le marché de l’art

Un secteur exposé au risque de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale

Alors même qu’il jouit d’une fiscalité attractive, le secteur de l’art peut être utilisé comme un moyen de contournement d’obligations fiscales et est exposé à la commission de fraudes fiscales. Ce type de fraude peut revêtir différentes formes. La vente d’un bien culturel peut être effectuée en dehors de toute démarche légale ou à un prix minoré afin que l’acheteur et le vendeur éludent tout ou partie des taxes relatives ou consécutives à la transaction. Cette fraude est facilitée par la difficulté à évaluer le prix des biens dont la valeur est souvent subjective. Un bien culturel peut également être vendu par l’entremise de différentes structures offshore formant des montages juridiques complexes. Ces derniers permettent d’injecter et de blanchir, dans le marché légal de l’art, le produit d’une fraude fiscale. Les marchands d’art eux-mêmes peuvent minorer leurs revenus professionnels déclarés à l’administration fiscale. Cette pratique est facilitée par le recours fréquent aux espèces lors des transactions ainsi que par l’encaissement de chèques émis par les acquéreurs directement sur les comptes personnels des marchands d’art.

Le poids du trafic d’objets archéologiques

Enfin, ce marché souffre d’une exposition particulière aux risques de financement du terrorisme via le trafic d’objets archéologiques. Les pillages archéologiques commis en zone de conflit et dans des pays instables sur le plan sécuritaire présentent une porosité élevée avec le financement d’organisations terroristes. « Si le trafic d’antiquité existe de longue date, son organisation a pris un nouvel élan dans le cadre de conflits armés impliquant des organisations terroristes contrôlant des régions dotées d’un patrimoine culturel important. Les membres de ces organisations ont professionnalisé des mécanismes permettant d’exfiltrer massivement des biens pillés, communément appelées “antiquités du sang”, vers des pays occidentaux, avant de les blanchir dans les circuits légaux du marché de l’art », soulignent les équipes de Tracfin. Ces trafiquants recourent à une grande diversité de modes opératoires pour insérer les antiquités pillées dans l’économie légale. Tracfin recense ainsi la vente successive entre initiés d’objets pillés pour brouiller leur traçabilité, le recours à l’exportation d’antiquités pillées via des structures écrans, la production de faux documents douaniers permettant de masquer le pays d’origine des œuvres, la production de passeports de biens culturels falsifiés ou le recours à des expertises de complaisance et des marchands d’art internationaux peu scrupuleux.

La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 relative au renforcement de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement a créé une incrimination spécifique pour le trafic des biens culturels en provenance de zones d’opérations de groupements terroristes (C. pén., art. 322-3-2). Dès lors, un marchand d’art français peut être mis en cause pour possession ou vente d’un bien culturel soustrait d’une zone d’opérations de groupements terroristes. À défaut de pouvoir justifier la licéité de l’origine du bien, le mis en cause encourt une peine de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. La répression du trafic d’œuvres d’art peut également être poursuivie par le biais d’incriminations plus communes comme le vol, le recel, l’usage de faux, le blanchiment en bande organisée et l’association de malfaiteurs.

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