Fraude fiscale : le plan d’attaque de la Commission européenne
La Commission européenne présente une nouvelle série de mesures pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises. Ce paquet de mesures constitue une nouvelle étape dans la lutte contre la fraude fiscale destinée à garantir une imposition effective dans l’UE, renforcer la transparence fiscale et garantir des conditions de concurrence équitables.
Dans le cadre de son action pour s’attaquer à l’évasion fiscale des entreprises et la concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a présenté, le 28 janvier dernier, un nouveau paquet de mesures visant à apporter une réponse coordonnée de l’Union dans ce contexte, dans le prolongement des normes mondiales élaborées à l’automne dernier par l’OCDE1.
Une nouvelle étape dans la lutte contre la fraude fiscale
Pour Pierre Moscovici, commissaire chargé des Affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, « le manque à gagner dû à l’évasion fiscale se chiffre chaque année à des milliards d’euros, qui pourraient servir à financer des services publics comme les écoles et les hôpitaux ou encore à stimuler l’emploi et la croissance. C’est finalement sur les contribuables européens et les entreprises qui jouent le jeu que retombe le poids de ce déficit de recettes. C’est inacceptable et nous prenons toutes les mesures qui s’imposent. Aujourd’hui, nous faisons un pas important vers la création de conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises et une fiscalité juste et effective pour tous les Européens », a-t-il conclu lors de la présentation de ce nouveau paquet fiscal. Ces nouvelles propositions destinées à contrecarrer l’évasion fiscale des entreprises appellent les États membres à adopter une position plus ferme et mieux coordonnée à l’égard des entreprises qui cherchent à se soustraire au paiement de leur juste part de l’impôt, ainsi qu’à mettre en œuvre les normes internationales visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Ces mesures permettront de faire obstacle à la planification fiscale agressive, d’accroître la transparence entre les États membres et d’assurer une concurrence plus loyale pour l’ensemble des entreprises au sein du marché unique. « Nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape vers le renforcement de la confiance à l’égard du système fiscal dans son ensemble, en le rendant plus juste et plus efficace, a précisé Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne chargé de l’Euro et du Dialogue social. Les citoyens doivent pouvoir être certains que les règles fiscales s’appliquent de manière égale à tous les particuliers et à toutes les entreprises. Ces dernières doivent s’acquitter de leur juste part de l’impôt là où elles exercent leur activité économique réelle. L’Europe peut jouer un rôle de premier plan au niveau mondial dans la lutte contre l’évasion fiscale. Il faut pour cela une action européenne coordonnée, qui permettra d’éviter que 28 États membres appliquent 28 approches différentes ».
Mieux coordonner l’action de l’Union européenne
Dans son plan d’action de juin 2015, la Commission a défini un programme ambitieux pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises et assurer une fiscalité juste et efficace dans l’Union2. Le paquet de mesures contre l’évasion fiscale présenté en janvier 2016 constitue la dernière étape en date du processus de mise en œuvre de ce programme. Il contient une série d’initiatives visant à renforcer et à mieux coordonner l’action de l’Union contre les pratiques fiscales abusives auxquelles se livrent les entreprises, au sein du marché unique et au-delà. Il repose sur trois grands piliers : une imposition effective de toutes les entreprises là où elles réalisent leurs bénéfices ; la transparence fiscale, de sorte que les États membres disposent des informations nécessaires pour garantir la justice fiscale et la réduction du risque de double imposition, pour que les entreprises qui s’acquittent de leur juste part de l’impôt ne soient pas pénalisées en raison de leur activité sur le marché intérieur de l’Union. Le paquet de mesures proposé vient compléter le paquet sur la transparence fiscale proposé par la Commission en mars 20153 qui contenait notamment une proposition de directive sur l’échange automatique d’informations sur les décisions fiscales anticipées, adoptée en décembre 2015. Les mesures envisagées complètent également la série de propositions présentées en juin 2015 en vue de réformer la fiscalité des entreprises. Celles-ci visaient notamment à relancer le projet de directive sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS)4 et à définir un cadre permettant d’assurer une imposition effective au lieu de réalisation des bénéfices et de renforcer la transparence dans le domaine fiscal. La Commission présentera des propositions pour relancer l’ACCIS dans le courant de l’année 2016. Enfin, le paquet de mesures présentées en janvier 2016 complète et renforce le projet BEPS de l’OCDE5. Il vise à inscrire certaines mesures du projet BEPS dans le droit de l’Union, de telle sorte qu’elles soient mises en œuvre rapidement et sans heurts dans le marché unique. Il instaure un cadre solide au sein duquel les États membres pourront tenir leurs engagements BEPS de manière coordonnée et va même plus loin pour que l’Union continue à montrer l’exemple en matière de bonne gouvernance fiscale internationale. Le paquet de mesures comprend une nouvelle stratégie de l’Union destinée à promouvoir activement la bonne gouvernance fiscale au niveau mondial, y compris la mise en œuvre du projet BEPS dans les pays tiers. À cet égard, il vient à l’appui des travaux de l’OCDE allant au-delà du marché unique.
Ce paquet de mesures comprend plusieurs éléments dont une directive sur la lutte contre l’évasion fiscale, qui propose une série de mesures de lutte contre l’évasion fiscale juridiquement contraignantes, que tous les États membres devront mettre en œuvre pour contrecarrer les principaux mécanismes de planification fiscale agressive ; une recommandation sur les conventions fiscales, qui indique aux États membres les moyens de rendre leurs conventions fiscales plus étanches aux pratiques abusives utilisées par ceux qui se livrent à la planification fiscale agressive, d’une manière conforme à la législation de l’Union ; une révision de la directive sur la coopération administrative, qui introduira un système d’échange de déclarations pays par pays entre les autorités fiscales sur les principales informations relatives à la fiscalité des multinationales et une communication sur une stratégie extérieure pour une imposition effective, qui définit une approche coordonnée de l’Union à l’égard des risques extérieurs d’évasion fiscale et vise à promouvoir une bonne gouvernance fiscale internationale. Le paquet de mesures contient également une communication chapeau et un document de travail des services de la Commission, qui expliquent les raisons politiques et économiques qui sous-tendent les différentes mesures.
Le contenu de la directive sur la lutte contre l’évasion fiscale
La directive sur la lutte contre l’évasion fiscale énonce six grandes mesures visant à empêcher l’évasion fiscale. La règle relative aux sociétés étrangères contrôlées (SEC) vise à prévenir les transferts de bénéfices vers des pays à fiscalité faible ou nulle. L’OCDE estime que le manque à gagner mondial dû aux transferts de bénéfices se situe au bas mot entre 100 et 240 milliards de dollars chaque année, soit l’équivalent de 4 à 10 % des recettes tirées de l’impôt sur les sociétés dans le monde. Le service de recherche du Parlement européen a chiffré les pertes de recettes imputables à l’évasion fiscale des entreprises à environ 50 à 70 milliards d’euros par an dans l’Union. La règle proposée permettra à l’État membre de la société mère d’imposer les bénéfices que celle-ci place dans un pays à fiscalité faible ou nulle. Elle sera appliquée si le taux d’imposition effectif dans le pays tiers est inférieur à 40 % de celui de l’État membre en question. La société se verra accorder un crédit fiscal pour les impôts qu’elle aura effectivement payés à l’étranger. Ce système permettra de garantir l’imposition effective des bénéfices, au taux d’imposition de l’État membre dans lequel ils ont été générés. La règle du « switch-over » vise à éviter la double non-imposition des dividendes, plus-values en capital et bénéfices d’un établissement stable. Afin d’empêcher les entreprises de délocaliser leurs actifs dans le seul but d’éluder l’impôt, la directive propose que tous les États membres appliquent une taxe de sortie sur les actifs transférés hors de leur territoire. Pour décourager les entreprises de mettre en place des montages d’endettement artificiels afin de réduire au minimum leurs impôts, la directive propose de limiter le montant des intérêts nets qu’une entreprise peut déduire de son revenu imposable, en prenant pour base un ratio fixe de ses bénéfices. Une règle spécifique est créée pour les dispositifs hybrides afin d’empêcher les entreprises d’exploiter des asymétries nationales pour éluder l’impôt. La directive propose qu’en cas d’asymétrie, la qualification juridique donnée à un dispositif ou à un instrument hybride par l’État membre d’origine du paiement soit appliquée par l’État membre de destination. La déduction fiscale ne sera autorisée que dans un seul État membre. Dès lors, le revenu est effectivement imposé au sein de l’Union. Enfin, une clause anti-abus générale devrait permettre de lutter contre la planification fiscale agressive lorsque d’autres règles spécifiques ne peuvent s’appliquer.
Les objectifs de la recommandation sur les conventions fiscales
Le « chalandage fiscal » permet aux entreprises d’échapper à l’impôt en mettant en place des structures artificielles pour avoir accès au traitement fiscal le plus avantageux au titre de divers accords fiscaux avec d’autres États membres ou des pays tiers. Pour lutter contre ce phénomène, l’OCDE a proposé, dans le cadre de son projet BEPS, que les pays instaurent une règle anti-abus générale dans leurs conventions fiscales. La Commission soutient l’objectif consistant à lutter contre l’utilisation abusive des conventions fiscales et la recommandation conseille les États membres sur la manière d’introduire une règle anti-abus générale dans leurs conventions fiscales selon des modalités qui soient conformes à la législation de l’Union européenne et n’entravent pas la liberté d’établissement au sein du marché unique. La recommandation invite également les États membres à revoir leur définition de l’« établissement stable », en conformité avec la formulation convenue dans le projet BEPS. L’objectif est de lutter contre la situation actuelle, où certaines entreprises exploitent les points faibles de la définition de l’établissement stable pour éviter une présence imposable dans un ou plusieurs pays où elles opèrent.
Favoriser une meilleure transparence fiscale ?
Une révision de la directive sur la coopération administrative introduira une règle d’échange, entre les administrations fiscales, de déclarations pays par pays, qui permettront à ces administrations d’échanger des informations-clés liées à la fiscalité sur les multinationales opérant dans l’Union. Les États membres disposeront ainsi d’informations essentielles pour mieux cibler leurs contrôles fiscaux et repérer les mécanismes d’évasion fiscale. Le paquet prévoit également une mise à jour de la « liste paneuropéenne » : informations consolidées consignées sur les listes de pays tiers établies par les États membres à des fins fiscales, publiées pour la première fois avec le plan d’action de juin 2015. Le but ultime est de remplacer cette consolidation des listes nationales par une seule liste de l’Union, claire et objective. Il s’agirait d’un outil pour traiter avec les pays tiers qui refusent d’appliquer les principes de bonne gouvernance fiscale, qui n’interviendrait qu’après l’échec de toutes les autres tentatives de nouer le dialogue avec ces pays. Une liste noire unique de l’Union, établie selon des critères bien définis, cohérents et objectifs, serait plus simple à gérer pour les entreprises et supprimerait les charges administratives liées aux politiques nationales divergentes. Dans l’intervalle, la Commission veillera à ce que la « liste paneuropéenne » en ligne soit régulièrement mise à jour, afin de refléter la version la plus récente des listes établies par les États membres.
Une stratégie à l’échelle mondiale
La Commission présente une stratégie extérieure pour une imposition effective car l’évasion fiscale est un problème mondial, qui ne peut être réglé au seul niveau du marché unique. Il est aussi essentiel, pour qu’un niveau élevé de bonne gouvernance fiscale puisse être atteint à l’échelle mondiale, que l’Union fasse preuve de davantage de cohérence dans ses relations avec les partenaires internationaux. La stratégie met à jour les critères de l’Union en matière de bonne gouvernance fiscale, en les alignant sur les normes internationales les plus récentes. Les critères mis à jour sont conformes à la nouvelle norme mondiale en matière de transparence fiscale et aux mesures BEPS de l’OCDE pour une concurrence fiscale loyale. La stratégie propose une approche innovante et plus ambitieuse de la négociation par l’Union de clauses de bonne gouvernance fiscale dans certains accords, notamment commerciaux, d’association ou de partenariat, conclus avec des pays tiers. Il est également proposé de doubler le soutien financier accordé aux pays en développement pour les aider à se constituer une base de recettes stable et de leur fournir une assistance technique destinée à améliorer leurs administrations fiscales. La Commission étoffera et renforcera les dispositions du règlement financier de l’Union relatives à la bonne gouvernance de sorte que les décisions concernant l’investissement des fonds européens encouragent la transparence et les pratiques fiscales loyales au niveau international.
Le paquet de mesures contient également une communication chapeau et un document de travail des services, qui expliquent les raisons politiques et économiques qui sous-tendent les différentes mesures et l’action plus large de la Commission en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Il est accompagné d’une nouvelle étude sur la planification fiscale agressive, qui passe en revue les principaux instruments utilisés par les entreprises pour échapper à l’impôt.
Les deux propositions législatives du paquet de mesures seront soumises au Parlement européen pour consultation et au Conseil pour adoption. Le Conseil et le Parlement devraient également approuver la recommandation sur les conventions fiscales et les États membres devraient l’appliquer lors de la révision de leurs conventions fiscales. Les États membres devraient également s’accorder formellement sur la nouvelle stratégie extérieure et décider des modalités de sa mise en œuvre aussi rapidement que possible une fois qu’elle aura été approuvée par le Parlement européen.
Notes de bas de pages
-
1.
http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/anti_tax_avoidance/index_fr.htm.
-
2.
http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-5188_fr.htm.
-
3.
http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/transparency/index_fr.htm.
-
4.
http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/common_tax_base/index_fr.htm.
-
5.
http://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps-rapports-finaux-2015.htm.