Imposition de la propriété foncière en Corse : de nouvelles pistes de réforme ?

Publié le 13/07/2016

Droits de succession, droit de partage, assainissement du cadastre, prolongation de la mission du GIRTEC : une proposition de loi fait le point sur les principales difficultés relatives aux biens immobiliers situés en Corse.

Le député de Corse du Sud, Camille de Rocca Serra, a présenté à l’Assemblée nationale en mars dernier une proposition de loi visant à clarifier la situation de la propriété foncière en Corse afin de mettre en place une réforme susceptible d’apporter une véritable sécurité juridique aux propriétaires de ces immeubles souvent détenus en indivision et d’améliorer le recouvrement de l’impôt1.

Les conséquences de l’arrêté Miot

Pendant deux siècles, le droit fiscal régissant les successions a été soumis en Corse à une législation particulière généralement désignée sous le terme d’« arrêté Miot ». Cette exception a pris fin le 23 janvier 2002 et l’« arrêté Miot » a cessé de produire ses effets, laissant la place à un régime fiscal transitoire. L’arrêté Miot du 21 prairial an IX (10 juin 1801) a en effet mis en place un mode de taxation forfaitaire spécifique pour déterminer l’impôt dû en cas de transmission à titre gratuit (donation, leg, succession). La valeur des immeubles, dont les héritiers, légataires ou donataires étaient tenus de faire la déclaration pour les successions qui leur étaient échues, est alors déterminée par le montant de la contribution foncière. Pour parvenir à cette fixation, la contribution foncière est considérée comme le centième du capital sur lequel les droits à percevoir sont liquidés. Cette règle a été appliquée sans difficulté dès l’an X jusqu’au 1er janvier 1949, date à laquelle la contribution foncière a été supprimée en tant qu’impôt d’État par l’article 1er du décret n° 48-1986 du 9 décembre 1948 portant réforme fiscale.

Un dispositif de substitution a été mis en place par une décision du ministre du Budget en date du 14 juin 1951, consistant à multiplier le revenu cadastral par le taux de la taxe proportionnelle sur le revenu des personnes physiques, plus connu sous le nom de « coefficient 24 », pour 24 % : montant du dernier taux en vigueur avant la disparition de cette taxe. Ce dispositif a été appliqué durant de nombreuses années jusqu’à ce que par le juge de cassation décide qu’il était dépourvu de base légale2. Les transmissions ont donc été exonérées de fait jusqu’à la publication de la loi de finances pour 1999 qui a étendu les règles d’évaluation des biens immobiliers de droit commun aux biens situés en Corse. Ces dispositions devaient s’appliquer aux successions ouvertes à partir du 1er janvier 2000 mais leur application a été repoussée successivement :

  • jusqu’au 1er janvier 2001 par l’article 27 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ;

  • jusqu’au 1er janvier 2002 par l’article 25 de la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 ;

  • par l’article 31 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001, jusqu’à la « publication des dispositions concernant la déclaration et la liquidation des droits d’enregistrement dus à raison des mutations par décès comprises dans la prochaine loi relative à la Corse et, au plus tard, le 1er janvier 2003 ».

La décision du Conseil constitutionnel de 2012

Le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 14 du projet de loi de finances pour 2013 qui prolongeait pour cinq ans de l’exonération des droits de succession sur les immeubles situés en Corse, estimant que le maintien de ce régime fiscal dérogatoire méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques et devait donc être déclaré contraire à la Constitution3. À compter du 1er janvier 2013, l’exonération totale de droits de succession des immeubles situés en Corse est donc passée à une exonération fixée à hauteur de 50 % de leur valeur vénale. La réduction de vingt-quatre à six mois, délai de droit commun, du délai de dépôt des déclarations de succession, comportant des immeubles situés en Corse, consécutive à la décision du Conseil constitutionnel n’a quant à elle pas eu de portée concrète, le Gouvernement ayant pris la décision de dispenser de pénalités, intérêts de retard et de majorations les déclarations déposées tardivement à la condition que la régularisation de la propriété des biens immeubles concernés intervienne dans les vingt-quatre mois suivant le décès. Dans la foulée, un groupe de travail a été constitué afin d’évaluer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et ses modalités concrètes de mise en œuvre.

Le désordre de la propriété foncière

La loi de finances pour 1999 a également supprimé une mesure d’exception mise en place par l’arrêté Miot qui dispensait les successions corses de toute pénalité en cas d’absence de dépôt de déclaration de succession dans les six mois du décès du propriétaire des biens. Cette mesure, ajoutée à un certain nombre de raisons socio-économiques ont conduit nombre de générations d’héritiers à ne pas déposer de déclaration de succession aboutissant à des indivisions de fait et conduisant à un flou juridique, qualifié de « désordre de la propriété » foncière dans la proposition de loi présentée par Camille de Rocca Serra. Ce désordre est lié à l’absence de titres opposables, à l’existence de biens non délimités dont on ne connaît pas la contenance exacte, qu’il s’agisse des droits de chacun des propriétaires présumés, ou encore de l’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées. Au 1er janvier 2012, il existait 63 800 biens non délimités en Corse, à rapporter aux 1 005 600 parcelles existantes, soit un taux de 6,4 %, très supérieur au taux national qui est de 0,4 %. La surface couverte par ces biens non délimités représente 15,7 % de la surface cadastrée de la Corse. Précisons que les 3/4 des biens non délimités sont situés sur seulement 1/3 des communes. Il s’agit donc d’un phénomène géographiquement très concentré.

Un cadastre à assainir

L’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées, c’est-à-dire des parcelles qui n’ont fait l’objet depuis des décennies d’aucune mutation au fichier immobilier des services de la publicité foncière représente un phénomène assez considérable. Une situation illégale au regard de l’article 1400 du Code général des impôts qui dispose que toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel. Le propriétaire concerné par cet article est le propriétaire apparent. Peu importe qu’il dispose ou non d’un titre de propriété pour être inscrit au rôle de taxe foncière. Conformément à l’article 1402 du CGI, « les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Aucune modification à la situation juridique d’un immeuble ne peut faire l’objet d’une mutation si l’acte ou la décision judiciaire constatant cette modification n’a pas été préalablement publié au fichier immobilier ». « Le ratio qui peut être établi entre le nombre de déclarations de succession qui sont déposées dans les services de la Direction générale des finances publiques et le nombre de décès. Ce ratio est très inférieur à la moyenne nationale, ce qui laisse supposer que de nombreux décès ne sont pas suivis d’une transmission des droits immobiliers », précise le rapport du groupe de travail mis en place à la suite de la décision du Conseil constitutionnel en matière de droit de succession en Corse. D’après les chiffres dont on dispose, 63,7 % des parcelles et 62,1 % de la surface sont ainsi détenus par des propriétaires dont la succession n’a pas été réglée (v. encadré infra « Les chiffres »). Environ 30 % de la surface qui sont détenus par une ou des personnes dont l’une est présumée décédée.

« La situation de désordre foncier est génératrice d’insécurité juridique et provoque des effets économiques néfastes. L’absence de titres de propriété prive d’abord les citoyens de recourir aux dispositions de droit civil relatives à la propriété immobilière. Elle entrave également toute possibilité d’accès à l’emprunt », souligne l’exposé des motifs qui précède la proposition de loi. Il en est de même pour les biens non délimités puisque le propriétaire présumé d’un lot au sein d’un bien non délimité est dans l’incapacité de produire un titre opposable. La détention de biens par de multiples héritiers censés détenir des droits indivis concurrents dilue les responsabilités et rend plus difficile l’entretien des biens concernés. Autant d’éléments qui participent au délabrement du patrimoine immobilier et alimentent des contentieux abondants dans les familles. « Cette situation est également lourde de conséquences pour les autorités publiques, l’État ou les collectivités territoriales. Le recouvrement de l’impôt, foncier, d’habitation et surtout de transmission, relève du parcours du combattant. Les mairies se trouvent également en difficulté pour faire appliquer la réglementation environnementale, pour recourir à la législation des biens vacants et sans maître, ou encore celle des immeubles menaçant de ruine. Les communes n’ont alors d’autre choix que de laisser le patrimoine immobilier se dégrader sans avoir la possibilité d’intervenir efficacement », précisent encore les parlementaires à l’origine de cette proposition.

Le recours à la procédure de prescription acquisitive

Dans ces conditions, la prescription acquisitive joue un rôle important en Corse, en raison de l’importance des indivisions et de l’absence de titres de propriété. Dans de nombreux cas, elle permet de reconstituer les chaînes de propriété avec un contentieux qui reste limité. Conformément aux articles 2261 et 2272 du Code civil, il s’agit d’établir « une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et, à titre de propriétaire » pendant 30 ans. Afin de faciliter l’établissement de cette possession, la pratique notariale, s’appuyant sur les recommandations de la commission Badinter de 1984 et sur la circulaire du président du conseil régional des notaires, a recours à l’élaboration d’actes de notoriété acquisitive. L’article 1er de la proposition de loi propose donc d’introduire dans le Code civil la procédure de prescription acquisitive afin de sécuriser les actes issus de la reconstitution de titres opérée par le biais de cette procédure qui n’est à ce jour qu’une pratique notariale non codifiée. L’acte serait réputé incontestable à l’issue de la période de publicité de six mois. Cette mesure aurait également un impact positif pour les caisses de l’État puisque les services fiscaux pourraient, sur la base d’un titre de propriété opposable, procéder au recouvrement de l’impôt lié à la propriété, à l’habitation et à la transmission.

Proroger l’exonération partielle à 50 % des droits de succession pour dix ans

En matière de succession, le retour au droit commun est prévu pour 2018. Les parlementaires proposent de proroger l’exonération partielle à 50 % des droits de succession sur les biens sis en Corse de dix années pour permettre au Groupement d’intérêt public chargé de la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC) d’avancer sur les dossiers de reconstitution (v. encadré infra « La mission du GIRTEC », p. 4). L’action du GIRTEC a eu un impact positif sur les recettes fiscales puisqu’en traitant cinq cents dossiers par an de reconstitution de titres, l’État a perçu comme ressources fiscales issues du paiement des droits de succession (50 %) en Corse depuis la fin de l’exonération totale au 31 décembre 2012 : 15 042 430 euros en 2013, 21 303 510 euros en 2014, et 41 793 331 euros en 2015. Sur le principe, l’État perçoit déjà 50 % des droits, ce qui constitue une avancée en comparaison avec les deux siècles d’exonération totale. La situation foncière de la Corse nécessite que les insulaires continuent pour une période de dix années, concomitante à la durée d’activité du GIRTEC, à bénéficier d’une exonération partielle de 50 %. « La Corse est la région française qui a le produit intérieur brut le plus faible (huit milliards d’euros) et le taux de pauvreté le plus important (19 %), précisent les parlementaires. Pour que la transition se fasse en douceur, il faut laisser le temps aux familles d’engager les démarches nécessaires pour éviter ce choc fiscal ».

Exonération du droit de partage

Les députés proposent également que les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires répondant aux conditions prévues au II de l’article 750 soient exonérés du droit de 2,5 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse, jusqu’à la cessation des activités du GIRTEC. Afin de faciliter le règlement des indivisions successorales comportant des biens immobiliers situés en Corse, l’article 750 bis A du CGI prévoyait une exonération temporaire de l’impôt de partage à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse sur les actes de partage de succession, établis entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 2014, lorsqu’ils intervenaient uniquement entre les membres originaires de l’indivision, leur conjoint, ascendants, descendants ou ayants droit à titre universel de l’un ou plusieurs d’entre eux. « Depuis le 31 décembre 2014, le droit de partage de 2,5 % constitue souvent un frein aux règlements successoraux et favorise le maintien dans l’indivision. L’exonération des droits de partage en étant un levier important, il convient de la proroger tant que le GIRTEC est en activité pour ne pas enrayer la dynamique de reconstitution des titres constatée depuis quelques années », conclut l’exposé des motifs de la proposition de loi.

Première mutation et exonération partielle

Autre proposition : optimiser une disposition prise dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, qui avait institué une exonération de 30 % des droits de mutation à titre gratuit lors de la première mutation d’un bien situé sur le territoire national qui a été titré pour la première fois entre le 1er octobre 2014 et le 31 décembre 2017. S’appliquant à tous les droits de mutation à titre gratuit, successions comme donations, cette mesure incitative, transitoire et de portée générale, s’inscrit dans une logique visant à accélérer la reconstitution des titres de propriété. Cependant, elle peine à trouver son effectivité. La proposition de loi envisage d’améliorer le dispositif à deux niveaux, d’une part en augmentant le taux à 50 % pour qu’il y ait une attractivité réelle et fortement avantageuse, et d’autre part, en prorogeant l’échéance du dispositif de 2017 à 2027.

Notes de bas de pages

  • 1.
    A.N. Proposition de loi n° 3609 du 29 mars 2016 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété.
  • 2.
    Cass. com., 4 déc. 1984, n° 82-10688, Dame Benedetti et Cass. com., 28 janv. 1992, n° 90-13706, Sieur Perrino.
  • 3.
    Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-662 DC.
X