Focus sur la reconstitution des titres de propriété foncière en Corse

Publié le 06/04/2018

Assainissement du cadastre, prolongation de la mission du GIRTEC, mesures civiles et fiscales : le point sur les aménagements de la législation applicable aux biens immobiliers situés en Corse.

Le législateur dans le cadre de la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 a mis en place des règles spécifiques afin de faciliter la reconstitution des titres de propriété et d’accélérer les opérations de successions en Corse. Ces règles sont applicables jusqu’au 31 décembre 2027. Cette durée d’application de dix ans a pour but de permettre au Groupement d’intérêt public chargé de la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC) de pouvoir finaliser ses travaux de reconstitution de la propriété foncière.

L’activité du GIRTEC

Le constat de la situation exceptionnelle de la propriété immobilière en Corse a en effet conduit à l’adoption d’une organisation spécifique, avec la création du GIRTEC. Ce groupement d’intérêt public est chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus (L. n° 2006-728, 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, art. 42). Le groupement est constitué entre l’État, la collectivité territoriale de Corse, l’association des maires de Corse-du-Sud, l’association des maires de Haute-Corse et le Conseil régional des notaires. Le GIRTEC est chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus. À ce titre, son rôle est d’apporter un soutien technique aux notaires en recherchant tous documents ou éléments se rapportant tant aux biens immobiliers qu’aux héritiers successifs. Il apporte une aide financière et administrative aux héritiers. Il prend financièrement en charge, à la place des héritiers, les frais les plus lourds nécessités par la reconstitution des titres de propriété, principalement ceux exposés par les généalogistes et les géomètres, et informe l’ensemble des acteurs concernés sur l’avantage d’engager la procédure de titrisation. Son financement a été prorogé jusqu’en 2020 par le Gouvernement. Dans son discours à l’Assemblée de Corse en juillet 2016, le Premier ministre a assuré que son financement serait désormais garanti jusqu’en 2027. Ce groupement d’intérêt public, peut prendre « toute mesure permettant de définir ces biens et d’en identifier leurs propriétaires et créer ou gérer l’ensemble des équipements ou services d’intérêt commun rendus nécessaires pour la réalisation de son objet ». Il est aujourd’hui présidé par Paul Grimaldi. Le GIRTEC n’est véritablement opérationnel que depuis l’automne 2008, à la suite de l’arrêté interministériel du 31 octobre 2007 qui a acté la création du GIRTEC et d’une période de constitution et de recrutement. Très peu connu en 2008, le GIRTEC a atteint sa vitesse de croisière en 2012, avec une capacité de traitement annuelle de l’ordre de 500 dossiers. Fin 2016, le GIRTEC avait traité 3 682 dossiers représentant 36 360 parcelles, dont 3 747 parcelles assises d’un bâti. L’action du GIRTEC a notamment permis une augmentation du nombre de propriétaires apparents, et une baisse de propriétaires présumés décédés, à un rythme toutefois modéré. L’augmentation du nombre de propriétaires apparents trouve sa source dans le règlement juridique de certaines situations, comme l’augmentation des partages mettant fin à des indivisions de fait, et l’évolution du bâti, accroissement du nombre d’immeubles comprenant plusieurs propriétaires. La baisse du nombre de propriétaires physiques, dont la date de naissance est antérieure à 1910, s’explique aussi en grande partie par le travail réalisé par la DGFiP entre 2009 et 2011, consistant à agréger au niveau départemental ces données, qui étaient auparavant disséminées au niveau des communes.

Une législation d’exception

Parcelles sans titres de propriétés, déclarations de successions non déposées, multitudes d’indivisaires, la reconstitution de la propriété foncière en Corse est une opération de longue haleine et un enjeu majeur pour les pouvoirs publics. Cette situation est le résultat de plus de deux siècles de législations d’exception. Le droit fiscal régissant les successions a été soumis en Corse à une législation particulière généralement désignée sous le terme d’« arrêté Miot », jusqu’au 23 janvier 2002. L’arrêté Miot du 21 prairial an IX (10 juin 1801) a en effet mis en place un mode de taxation forfaitaire spécifique pour déterminer l’impôt dû en cas de transmission à titre gratuit. La valeur des immeubles, dont les héritiers, légataires ou donataires étaient tenus de faire la déclaration pour les successions qui leur étaient échues, est alors déterminée par le montant de la contribution foncière. Pour parvenir à cette fixation, la contribution foncière est considérée comme le centième du capital sur lequel les droits à percevoir sont liquidés. Cette règle a été appliquée sans difficulté dès l’an X jusqu’au 1er janvier 1949, date à laquelle la contribution foncière a été supprimée en tant qu’impôt d’État par l’article 1er du décret n° 48-1986 du 9 décembre 1948 portant réforme fiscale. Un dispositif de substitution a été mis en place par une décision du ministre du Budget en date du 14 juin 1951, consistant à multiplier le revenu cadastral par le taux de la taxe proportionnelle sur le revenu des personnes physiques, plus connu sous le nom de « coefficient 24 », pour 24 % : montant du dernier taux en vigueur avant la disparition de cette taxe. Ce dispositif a été appliqué durant de nombreuses années jusqu’à ce que par le juge de cassation décide qu’il était dépourvu de base légale (Cass. com., 4 déc. 1984, n° 82-10688, Dame Benedetti et Cass. com., 28 janv. 1992, n° 90-13706, Sieur Perrino). Les transmissions ont donc été exonérées de fait jusqu’à la publication de la loi de finances pour 1999 qui a étendu les règles d’évaluation des biens immobiliers de droit commun aux biens situés en Corse. Ces dispositions devaient s’appliquer aux successions ouvertes à partir du 1er janvier 2000 mais leur application a été repoussée successivement, par une série de lois de finances rectificatives.

Des mesures d’exonération fiscales en matière de mutations

La loi de finances pour 2015 a institué une exonération de 30 % des droits de mutation à titre gratuit lors de la première mutation d’un bien situé sur le territoire national dont le titre de propriété a été constaté pour la première fois entre le 1er octobre 2014 et le 31 décembre 2017. L’allégement des droits de mutation à titre gratuit auxquels sont soumis les biens utilisés par des redevables ayant fait l’effort de mener à bien les démarches de reconstitution des titres de propriété vise à permettre un assainissement de la situation cadastrale et foncière des territoires concernés. Un rapport parlementaire rendu en octobre 2013 dénombrait en Corse 63 800 biens non délimités au 1er janvier 2012, pour 1 005 600 parcelles existantes, soit un taux de 6,4 %, contre 0,4 % au plan national. Ces biens représentaient 15,7 % de la surface cadastrée de la Corse. À titre de comparaison, ce taux était de 0,7 % pour un échantillon de dix départements similaires (Ardennes, Ariège, Aude, Creuse, Lozère, Pas-de-Calais, Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion). Afin d’améliorer l’efficacité de ce dispositif, la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété en Corse a porté cette exonération à 50 % pour augmenter l’attractivité réelle, et ce jusqu’en 2027. Cette mesure s’inscrit dans une logique visant à accélérer la reconstitution des titres de propriété.

Le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 14 du projet de loi de finances pour 2013 qui prolongeait pour 5 ans l’exonération des droits de succession sur les immeubles situés en Corse, estimant que le maintien de ce régime fiscal dérogatoire méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques et devait donc être déclaré contraire à la Constitution (Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-662 DC). Les successions ouvertes entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 se voyaient donc appliquer une exonération de droit de succession partielle : 50 % de la valeur des immeubles et droits immobiliers situés en Corse, à l’exception des biens acquis à titre onéreux par le défunt depuis le 23 janvier 2002. La loi du 6 mars 2017 a prorogé cette exonération jusqu’au 31 décembre 2027.

Faciliter les partages et la gestion des indivisions

La loi de finances pour 1999 a supprimé une mesure d’exception mise en place par l’arrêté Miot qui dispensait les successions corses de toute pénalité en cas d’absence de dépôt de déclaration de succession dans les six mois du décès du propriétaire des biens. Cette mesure, ajoutée à un certain nombre de raisons socio-économiques ont conduit nombre de générations d’héritiers à ne pas déposer de déclaration de succession aboutissant à des indivisions de fait. La détention de biens par de multiples héritiers censés détenir des droits indivis concurrents dilue les responsabilités et rend plus difficile l’entretien des biens concernés. Autant d’éléments qui participent au délabrement du patrimoine immobilier et alimentent des contentieux abondants dans les familles.

Les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires sont passibles d’un droit de partage de 2,5 % sur la valeur des immeubles et droits immobiliers depuis le 31 décembre 2014. Ce droit de partage constitue souvent un frein aux règlements successoraux et favorise le maintien dans l’indivision. L’exonération des droits de partage constituant un levier important pour soutenir la dynamique de reconstitution des titres de propriété, le législateur a mis en place une exonération des droits de partage en 2017. Elle s’applique aux actes passés entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2027 et portant sur les biens immobiliers corses. En outre, pour faciliter la gestion des biens indivis les actes d’administration et de disposition des biens immobiliers situés en Corse, le législateur a prévu qu’ils puissent être accomplis à la majorité simple des indivisaires (au lieu de la majorité des 2/3 des droits indivis en droit commun). Là encore cette mesure devrait permettre d’accélérer les règlements successoraux. Ces dispositions spécifiques sont également applicables jusqu’au 31 décembre 2027.

Le recours à la procédure de prescription acquisitive

Cette situation a conduit à un flou juridique lié à l’absence de titres opposables, à l’existence de biens non délimités dont on ne connaît pas la contenance exacte, qu’il s’agisse des droits de chacun des propriétaires présumés, ou encore de l’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées. L’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées, c’est-à-dire des parcelles qui n’ont fait l’objet depuis des décennies d’aucune mutation au fichier immobilier des services de la publicité foncière représente en effet un phénomène assez considérable. Dans ces conditions, la prescription acquisitive joue un rôle important en Corse. Conformément aux articles 2261 et 2272 du Code civil, il s’agit d’établir « une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et, à titre de propriétaire » pendant 30 ans. Dans de nombreux cas, cette règle permet de reconstituer les chaînes de propriété avec un contentieux qui reste limité. Afin de faciliter l’établissement de cette possession, la pratique notariale, s’appuyant sur les recommandations de la Commission Badinter de 1984 et sur la circulaire du président du conseil régional des notaires, a recours à l’élaboration d’actes de notoriété acquisitive. En 2017, le législateur a sécurisé ces actes déclaratifs en prévoyant que lorsqu’ils portent sur un bien situé en Corse, ils font foi de la possession sauf preuve contraire. En outre, ils ne peuvent être contestés que dans un délai de cinq ans à partir de leur publication. Cette mesure génère des conséquences positives pour les caisses de l’État puisque les services fiscaux peuvent, sur la base d’un titre de propriété opposable, procéder au recouvrement de l’impôt lié à la propriété, à l’habitation et à la transmission.

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