Jurisprudence de Ruyter : la position du Conseil constitutionnel

Publié le 25/04/2017

Le Conseil constitutionnel valide la règle d’imposition qui permet de soumettre à la CSG un contribuable affilié à un régime non européen de sécurité sociale alors qu’un contribuable affilié à un régime européen ne l’est pas.

Le Conseil constitutionnel rend une nouvelle décision dans le cadre de l’affaire de Ruyter1. Il valide la différence de traitement entre personnes affiliées dans un pays européen et personnes affiliées dans un État tiers. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé dans l’affaire de Ruyter que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ne peuvent être prélevées sur les revenus patrimoniaux perçus par des non-résidents2. Il s’agissait pour la CJUE d’examiner pour la première fois la question des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, au regard du champ d’application du règlement n° 1408/71, article 13. Ces prélèvements, décrits comme étant à vocation universelle et non contributifs, entrent-ils ou non dans le champ de ce règlement ? Le critère déterminant retenu est l’affectation spécifique d’une contribution au financement de la sécurité sociale, indépendamment de l’existence de contreparties en termes de prestations. L’affaire avait trait à des prélèvements sociaux perçus en France sur des rentes viagères versées par deux sociétés d’assurance installées aux Pays-Bas à un ressortissant néerlandais, M. de Ruyter, travaillant aux Pays-Bas et domicilié en France. En l’espèce, le juge communautaire a considéré que M. de Ruyter, relevant du seul régime de sécurité sociale néerlandais, il ne pouvait être soumis à des prélèvements sociaux destinés au financement du système de sécurité sociale français. Des contributions prélevées sur les revenus du patrimoine telles que la CSG et la CRDS, le prélèvement social et la contribution additionnelle à ce prélèvement présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois françaises qui régissent les branches de sécurité sociale et relèvent du champ du règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971, les rendant incompatibles avec les dispositions communautaires, et ce, indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle. Le Conseil d’État, en juillet 2015, s’est conformé à la position de la CJUE3. La haute juridiction administrative a jugé que M. de Ruyter, salarié d’une entreprise néerlandaise et assujetti au régime de protection sociale néerlandaise, ne peut être soumis à des contributions prélevées sur les revenus du patrimoine telles que la CSG et la CRDS.

L’interprétation restrictive de Bercy

Les modalités de restitution des sommes réglées à tort ont été précisées par l’administration fiscale dans le cadre d’un communiqué daté du 20 octobre 2015. La jurisprudence de Ruyter, se fondant sur un règlement européen interdisant le cumul des régimes de sécurité sociale au sein de l’Union européenne, l’administration fiscale a appliqué cette jurisprudence à la lettre et restreint en conséquence les modalités de restitution des prélèvements sociaux. Bercy a exclu tout remboursement du prélèvement de solidarité de 2 %, dans la mesure où celui-ci est affecté spécifiquement au financement d’une prestation : le RSA, et non au financement des régimes obligatoires français de sécurité sociale. Bercy a également précisé que les non-résidents établis dans des États tiers ne pouvaient se prévaloir de cet arrêt pour solliciter le remboursement des cotisations sociales versées à tort. Pourtant, pour les spécialistes, cette position est contestable, une telle différence de traitement au regard du taux d’imposition des plus-values immobilières entre les non-résidents de l’Union européenne et les non-résidents d’États tiers à l’Union européenne étant contraire au principe de libre circulation des capitaux de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Pour Bercy, la décision rendue par la CJUE dans l’affaire de Ruyter, sur laquelle se fondent les remboursements en cours, ne peut avoir une portée plus large que celle du champ d’application du règlement, à savoir la coordination des régimes obligatoires de sécurité sociale de l’Espace économique européen (EEE) et de la Suisse4. C’est la raison pour laquelle, seules les demandes des personnes faisant état d’une affiliation à un régime d’assurance maladie obligatoire dans l’EEE ou en Suisse peuvent se prévaloir de cette jurisprudence, analyse Bercy. Par ailleurs, dès lors que la CJUE a condamné la France sur le fondement d’une liberté de circulation, il n’est pas envisageable que les changements induits par cette condamnation soient à la source d’une autre remise en question sur le fondement d’une autre liberté, se justifie encore l’administration fiscale.

Un grand nombre de réclamations

Deux catégories de personnes sont concernées par l’arrêt de Ruyter. La première catégorie concerne les résidents fiscaux de France, lesquels peuvent être de nationalité étrangère. Cette catégorie peut concerner les frontaliers français travaillant à l’étranger (350 000 personnes) et 400 000 personnes installées en France qui reçoivent des revenus du capital de l’étranger. La seconde catégorie concerne les non-résidents fiscaux français affiliés hors de France. Le cas général, pour la population concernée ici, concerne les affiliés à un régime de sécurité sociale hors de France mais dans l’Union européenne. Pour chiffrer les conséquences budgétaires de cette jurisprudence, la principale difficulté méthodologique a consisté à identifier, au sein de la catégorie des non-résidents fiscaux affiliés hors de France, la proportion des personnes concernées par l’arrêt de Ruyter. Selon les estimations du gouvernement, 70 % de la catégorie des non-résidents fiscaux affiliés hors de France serait affiliée dans un autre État membre.

Au 1er septembre 2016, le nombre de réclamations reçues s’élevait à 52 810, dont 24 818 avaient déjà été traitées. En l’absence d’estimation fiable du montant des prélèvements sociaux acquittés par des non-résidents, l’évaluation du coût du contentieux est réalisée à partir des litiges déclarés. Elle distingue les restitutions à effectuer au titre des prélèvements sur les revenus du patrimoine qui incombent à l’État, de celles à effectuer au titre des prélèvements sur les plus-values immobilières et les revenus de placement à la charge du budget de la sécurité sociale. Pour l’année 2015, le montant provisionné dans le budget de l’État au titre de ce contentieux est de 240 millions d’euros, dont 25 millions d’intérêts moratoires. L’estimation du coût des litiges relevant du budget de la sécurité sociale est de 216 millions d’euros, dont 18 millions d’intérêts moratoires. Initialement, le coût global a donc été évalué à 456 millions d’euros. Compte tenu des dossiers déjà traités, ce coût global a été révisé à la baisse à 300 millions d’euros, dont 200 millions en 2016 et 100 millions en 2017.

Des contribuables domiciliés à Monaco

L’affaire qui a occasionné la question prioritaire de constitutionnalité sur laquelle vient de se prononcer le Conseil constitutionnel concerne un couple de contribuables M. et Mme Jacques Paul V., ressortissants français, domiciliés à Monaco depuis 1988, qui ont été imposés, au titre des années 2007 et 2008, à la contribution sociale généralisée, au prélèvement social de 2 % et à la contribution de solidarité sur les revenus du patrimoine, à raison notamment d’une plus-value réalisée à l’occasion de la cession de titres de la société de droit français Open Media. Ces contribuables disposant d’un certificat de résidence et d’une carte de séjour monégasque, le lieu de leur résidence fiscale est situé à Monaco par application de l’article 7 de la convention fiscale franco-monégasque. Ils cotisent depuis 1988 auprès des caisses sociales de Monaco et bénéficient à ce titre de leurs prestations. En revanche, au regard de l’article 4 B du Code général des impôts (CGI), ils devaient être considérés comme fiscalement résidents de France au regard des années 2007 et 2008. En effet, M. Jacques Paul V. disposait, au 1er janvier de l’année 2007, de titres de la société de droit français Open Media, lesquels étaient productifs de revenus. Il a cédé ces titres, le 31 janvier 2007, pour un prix de 2 239 357 €. L’importance des revenus tirés par les requérants de cette opération relative au patrimoine qu’ils possédaient en France était sans commune mesure avec les revenus de source monégasque obtenus par les intéressés en 2007, notamment ceux provenant de l’activité professionnelle salariée exercée par M. Jacques Paul V. Les requérants doivent dès lors être regardés comme ayant eu, durant l’année au cours de laquelle la cession de titres est intervenue, le centre de leurs intérêts économiques en France au sens des dispositions de l’article 4 B du Code général des impôts, quand bien même cette circonstance présenterait un caractère exceptionnel au regard de l’origine majoritairement monégasque des revenus des contribuables au titre des années antérieures et postérieures. Les contribuables ont initié une réclamation devant le juge administratif afin d’obtenir la décharge des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008 sur cette plus-value. L’affaire est parvenue jusqu’au Conseil d’État. À cette occasion, les époux ont soulevé, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au 31 janvier 2007. Ils soutenaient que cet article, qui est applicable au litige et n’a pas déjà, tel qu’interprété à la lumière de l’arrêt de la CJUE été déclaré conforme à la Constitution, méconnaît les principes d’égalité devant l’impôt et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Une question prioritaire de constitutionnalité

La question prioritaire de fiscalité portait sur les c et e du paragraphe I de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006 mentionnée ci-dessus. Ce paragraphe prévoit que pour leur assujettissement à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine, certains revenus sont déterminés comme en matière d’impôt sur le revenu. Selon les c et e de ce paragraphe I, il en va ainsi des revenus de capitaux mobiliers et des plus-values, gains en capital et profits réalisés sur les marchés à terme d’instruments financiers et de marchandises, ainsi que sur les marchés d’options négociables, soumis à l’impôt sur le revenu à un taux proportionnel, de même que de l’avantage défini au 6 bis de l’article 200 A du Code général des impôts (CGI). Pour l’application de ce texte, le gain net retiré de la cession d’actions est égal à la différence entre le prix effectif de cession des actions net des frais et taxes acquittés par le cédant et le prix de souscription ou d’achat majoré, le cas échéant, des rémunérations visées au deuxième alinéa de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale.

Les requérants soutiennent que ces dispositions, telles qu’interprétées par le juge administratif, sont contraires aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Elles créent, selon eux, une différence de traitement injustifiée entre les personnes affiliées au régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles affiliées au régime de sécurité sociale d’un autre État. Seules les secondes seraient en effet soumises à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine et aux autres contributions sociales. Dans une décision du 10 février dernier, le Conseil constitutionnel a déjà examiné le c du paragraphe I de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2008 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les requérants dans la présente question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, et en l’absence d’un changement de circonstances, il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d’examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ce texte.

Il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d’État que la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine prévue à l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, qui entre dans le champ du règlement européen du 29 avril 2004 mentionné ci-dessus, est soumise au principe de l’unicité de législation posé par l’article 11 de ce règlement. Il en résulte qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne autre que la France ne peut être soumise à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine. En revanche, le règlement européen du 29 avril 2004 n’étant pas applicable en dehors de l’Union européenne, sauf accord international le prévoyant, ses dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État tiers soit assujettie à cette contribution. Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Il résulte des dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement, au regard de l’assujettissement à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles relevant du régime de sécurité sociale d’un État tiers.

Toutefois, ces dispositions ont pour objet d’assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union. Au regard de cet objet, il existe une différence de situation, qui découle notamment du lieu d’exercice de leur activité professionnelle, entre ces personnes et celles qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers. La différence de traitement établie par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Le premier alinéa du e du paragraphe I de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.

La position attendue de la CJUE

Cette différence de traitement entre les contribuables affiliés dans un pays européen et les contribuables affiliés dans un État tiers fait en outre l’objet d’une question préjudicielle auprès de la CJUE5. En effet, le Conseil d’État, a renvoyé à la CJUE une question préjudicielle relative à la compatibilité de la réglementation fiscale relative aux non-résidents avec le principe de libre circulation des capitaux. Cette question préjudicielle a été posée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre le communiqué daté du 20 octobre 2015, publié par Bercy à la suite de la jurisprudence de Ruyter. Cette inégalité de traitement porte-t-elle atteinte au principe de libre circulation des capitaux, une liberté communautaire qui, à la différence de la liberté d’établissement, s’applique également à l’égard des États tiers ? C’est à cette question que la CJUE devra répondre.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 9 mars 2017, n° 2016-615 QPC.
  • 2.
    CJUE, 26 févr. 2015, n° C-623/13, Min. c/ de Ruyter
  • 3.
    CE, 27 juill. 2015, nos 334551 et 342944.
  • 4.
    Rép. min., n° 94575 : JO, 22 nov. 2016, p. 9636, Meyer Habib.
  • 5.
    CE, 25 janv. 2017, n° 397881, Jahin.
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