Le contrôle des schémas de management package

Publié le 24/04/2019

La cour administrative d’appel de Paris se prononce dans une affaire où l’administration remettait en cause des schémas de management package. Elle considère que la procédure d’imposition est entachée d’un vide de procédure, un abus de droit rampant.

Dans trois arrêts rendus le même jour (CAA Versailles 14 févr. 2019, n° 16PA02994 ; CAA Versailles 14 févr. 2019, n° 16PA03172 ; CAA Versailles 14 févr. 2019, n° 16PA03176), la cour administrative d’appel de Versailles rejette le recours formé par l’administration fiscale au motif qu’elle ne peut requalifier une fraction de plus-value mobilière en complément de salaires sans avoir recours à la procédure de l’abus de droit fiscal prévu par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Ces arrêts sont rendus dans le cadre de schémas de management package. Bercy a, dans cette affaire, considéré que les prises de participations devaient s’interpréter comme des salaires déguisés grâce à un montage sophistiqué.

Vigilance sur les schémas de management package

Or Bercy tend généralement à aborder les schémas de management package avec une certaine suspicion. Ces dispositifs d’intéressement des dirigeants ou des cadres salariés au développement de leur entreprise sont typiquement utilisés dans des opérations de type leverage buy-out (LBO). Ils permettent à ces cadres d’appréhender, en cas de succès économique de l’opération une fraction des gains supérieure à la part qui aurait due être si on se limite à une allocation strictement proportionnelle aux montants investis. Ces montages reposent sur l’octroi, lors de l’acquisition ou la cession de ces titres, de conditions préférentielles, généralement indexées sur la rentabilité de l’investissement de l’investisseur financier partie à l’opération. Or lorsque les titres sont attribués dans des conditions préférentielles octroyées eu égard à la qualité de salarié ou mandataire social sans aucune prise de risque financière ou en contrepartie d’un investissement modique, les gains qui en sont issus constituent un avantage en argent imposable dans la catégorie des traitements et salaires (CE, 26 sept. 2014, n° 365573). Ces dispositifs sont régulièrement remis en cause par l’administration fiscale qui a d’ailleurs consacré une fiche aux management packages dans sa cartographie des montages abusifs (https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgfip/controle_fiscal/montages_abusifs/Fiche_01_Management_package_2017-05-23.pdf).

Pour l’administration fiscale, ces montages, s’ils ne présentent pas un caractère systématiquement frauduleux, peuvent conduire à exonérer à tort les gains réalisés (inscription des titres dans un PEA) ou à leur faire bénéficier indûment des avantages liés au régime social (absence de cotisations sociales) et fiscal des plus-values mobilières (application d’abattements, différés d’imposition…). Lorsqu’elle estime qu’en dehors de tout dispositif légal d’intéressement, un dirigeant salarié ou toute autre personne en relation d’affaires avec un groupe de sociétés bénéficie ou s’est vu attribuer ou a cédé dans des conditions préférentielles des titres porteurs d’un intéressement, l’administration fiscale procède à une requalification du gain réalisé le plus souvent à l’issue de l’opération pour l’imposer, non pas dans la catégorie des plus-values, mais dans celle des salaires. « La procédure d’abus de droit fiscal peut être mise en œuvre lorsque les cadres-dirigeants ont eu recours à un montage destiné à effacer toute imposition (PEA, interposition d’une structure…), auquel cas les rappels correspondants sont assortis d’une majoration de 80 % », rappelle Bercy dans sa cartographie des montages abusifs.

La notion d’abus de droit rampant

En l’espèce, la cour administrative d’appel relève un abus de droit rampant qui entraîne la nullité de l’ensemble de la procédure d’imposition. Lorsqu’elle invoque l’existence d’un abus de droit, l’administration est tenue de respecter la procédure spécifique prévue à l’article L. 64 du LPF. En effet, ce texte prévoit un cadre juridique précis et offre un certain nombre de garanties au contribuable et notamment de permettre au contribuable de demander l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal (CADF). Lorsque l’administration procède à des rectifications en suivant la procédure de droit commun prévue par l’article L. 55 du LPF, sans invoquer l’article L. 64 du LPF, alors que ces rectifications relèvent par nature de la procédure de répression des abus de droit, elle prive le contribuable de ces garanties spécifiques. Il s’agit de ce qu’on appelle un abus de droit rampant. Le juge peut alors requalifier l’argumentation de l’administration, en considérant que celle-ci invoque implicitement mais nécessairement les dispositions relatives à l’abus de droit. Ce principe, dégagé par le Conseil d’État en 1986 (CE, 19 nov. 1986, nos 30465 et 32295) a été confirmé en 1989 dans un arrêt rendu en formation plénière (CE, 21 juill. 1989, n° 59970, Bendjador) et a été mis en œuvre régulièrement depuis. La Cour de cassation considère également que certaines rectifications entrent dans le cadre de l’article L. 64 du LPF, même si la notification ne vise pas expressément ce texte (Cass. com., 24 avr. 1990, Heimburger). L’abus de droit rampant constitue un vice de procédure car il prive le contribuable de ses garanties et notamment de la possibilité de saisir le CCRAD. De ce fait, le juge considère que l’administration a commis un vice de procédure qui rend nul et non avenu l’ensemble des avis d’imposition complémentaires (Cass. com., 9 juin 2004, SA Prominox). La jurisprudence de la Cour de cassation paraît à cet égard plus exigeante que celle du Conseil d’État puisqu’elle prévoit non seulement que l’administration fasse référence à la notion d’abus de droit mais en outre qu’elle vise expressément cet article, alors que le Conseil d’État n’exige pas cette double référence. L’enjeu de la requalification opérée par le juge est l’annulation même de la procédure de redressement fiscal eu égard au non-respect des garanties dont est entourée la mise en œuvre de la procédure de répression d’abus de droit. Ce moyen ne peut cependant être soulevé d’office par le juge, car il a le caractère d’un moyen de procédure puisqu’il est tiré de la méconnaissance des garanties légales attachées à l’article L. 64 du LPF.

Un montage abusif ?

À l’origine de cette affaire, se trouve un montage, jugé abusif par l’administration fiscale destiné à utiliser le mécanisme du sursis d’imposition afin de permettre à certains dirigeants de détenir une participation directe et personnelle dans le capital d’un groupe industriel coté. La société Wendel Investissement a acquis le 30 septembre 2004, le groupe Editis Holding, qu’elle a revendu le 30 mai 2008 au groupe espagnol Planeta. Parallèlement, elle a mis en place des instruments juridiques et financiers visant à associer à cette opération certains de ses cadres dirigeants, afin de leur permettre d’appréhender, au travers de prises de participations, une partie du gain réalisé lors de la revente d’Editis en 2008. Les dirigeants concernés ont acquis des actions de préférence de la société CDO, constituée à cet effet et conçue comme un véhicule d’investissement, au prix unitaire de 20 euros, qu’il ont cédées à leur prix de revient, à des sociétés civiles créée ad hoc, en 2007 dans le cadre d’une opération patrimoniale. Ces sociétés ont cédé ces actions de préférence à la société Ofilux Finances. La plus-value correspondante, réalisée en 2008, a été placée sous le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières dans la déclaration de revenus souscrite par ces dirigeants au titre de l’année 2008. À la suite de contrôles sur pièces des dossiers fiscaux des contribuables concernés, l’administration fiscale a considéré que le gain ainsi réalisé constituait, dans sa majeure partie, un complément de salaire à raison des fonctions qu’il exerçait alors au sein du groupe Wendel, dès lors qu’il résultait, dans cette proportion, du mécanisme d’investissement mis en place, financé et contrôlé par le groupe Wendel, et qu’il n’avait demandé de la part de dirigeants concernés qu’un investissement limité et non risqué. L’administration fiscale a, en conséquence, taxé cette fraction du gain, dans la catégorie des traitements et salaires et mis en recouvrement une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu assortie des intérêts de retard et des pénalités pour manquement délibéré, sur le fondement de l’article 1729 du CGI.

Des arrêts de confirmation

Les requérants se sont pourvus devant le juge administratif afin d’obtenir la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2008 ainsi que des intérêts de retard et des pénalités y afférents. Le tribunal administratif de Paris a fait droit à leurs demandes (TA Paris, 12 juill. 2016, n° 1426805), jugeant que l’administration fiscale ne peut requalifier en salaire les gains générés par un management package, initialement taxés en plus-value, dans la mesure où elle n’établit pas que les titres n’ont pas été acquis à leur juste valeur et que cet investissement ne s’accompagnait pas d’une prise de risque. Précisons que la même affaire avait donné lieu quelque mois plus tôt, en mars 2016, à deux jugements en défaveur du contribuable rendu par le tribunal administratif de Montpellier, qui concluait que la plus-value pouvait effectivement s’analyser comme un salaire.

Le ministre de l’Économie et des Finances a fait appel de ces jugements et demande à la cour administrative d’appel de Paris d’annuler les jugements rendus en première instance le 12 juillet 2016. Il demande également à la cour de rétablir les contribuables au rôle de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2008, à raison des droits et pénalités dont la décharge a été prononcée par le tribunal. Enfin, il demande également que soit ordonnée la restitution de la somme de 2 000 € indument versée en exécution de ce jugement au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Le ministre de l’Économie et des Finances soutient que c’est à tort que les premiers juges ont prononcé la décharge des impositions en litige, dès lors qu’elles procèdent de la taxation de la fraction d’un gain qui présente la nature d’un complément de salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires.

Les parties ont été informées, par application de l’article R. 611-7 du Code de justice administrative, de ce que l’arrêt de la cour administrative d’appel était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce que le gain en litige a été réalisé par une société de personnes relevant du régime de l’article 8 du Code général des impôts, non soumise à l’impôt sur les sociétés, et dont les résultats ne sont pas imposables dans la catégorie des traitements et salaires.

Le ministre de l’Action et des Comptes publics persiste dans ses conclusions. Il fait valoir qu’en se dépossédant de l’avantage qui lui a été consenti par la société Wendel par la cession à la société de personnes des actions de préférence CDO à leur prix de revient, le contribuable a souhaité faire bénéficier, sans contrepartie, la société du bonus à percevoir lors du débouclage du schéma d’investissement. La perception de ce bonus par la société s’analyse comme un acte de disposition du contribuable, qui a permis à la société de bénéficier de l’avantage consenti par le groupe Wendel à ce dernier. L’imposition d’un gain dans une catégorie n’est pas nécessairement attachée à la qualité de la personne qui le perçoit. La circonstance que le gain ait été encaissé par la société civile n’est pas de nature à remettre en cause sa nature salariale.

Aux termes de l’article 8 du Code général des impôts (CGI) sous réserve des dispositions de l’article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n’ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. Il en est de même, sous les mêmes conditions des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l’une des formes de sociétés visées à l’article 206 °1, et qui, sous réserve des exceptions prévues à l’article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35. Enfin, aux termes de l’article 238 bis K du CGI, dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l’activité et du montant des recettes de la société ou du groupement.

 

Le juge administratif sanctionne l’abus de droit rampant

Il résulte de l’instruction que les sociétés en nom collectifs, dont les bénéficiaires initiaux des actions étaient les associés et à laquelle ils ont cédé, le 18 décembre 2007, les actions de préférence de la société CDO pour leur valeur d’origine, n’ont pas opté pour leur assujettissement à l’impôt sur les sociétés. Elles n’étaient, par nature, pas salariées du groupe Wendel ni d’aucun autre employeur. Par suite, l’administration fiscale, qui n’a pas entendu écarter l’interposition de ces sociétés de personnes comme ne lui étant pas opposables, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, au motif qu’elles présentaient un caractère fictif ou que leur création répondaient à un but exclusivement fiscal en vue d’une application littérale de textes ou de décisions en méconnaissance des objectifs de leurs auteurs, ne pouvaient pas requalifier en complément de salaire, même pour partie, le gain dégagé par la cession des titres CDO à la société Ofilux Finances par les sociétés en nom collectif, et ce, alors même que les associés, qui contrôlaient et dirigeaient cette société, exerçaient lui-même une activité salariée au sein de la société Wendel. En conséquence, c’est à tort que l’administration fiscale a requalifié une fraction de cette plus-value en complément de salaires et qu’il l’a, par suite, imposée entre les mains de ses associés dans la catégorie des traitements et salaires. Le ministre de l’Économie et des Finances n’est donc pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme B. ont été assujettis au titre de l’année 2008, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités y afférents. Et le recours du ministre de l’Économie et des Finances est rejeté.

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