Affaire Wendel : la position de la cour administrative d’appel

Publié le 23/05/2018

La cour administrative d’appel de Paris vient de statuer sur les requêtes d’appel d’anciens dirigeants du groupe Wendel, qui sollicitaient la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils avaient été assujettis au titre de l’année 2007, ainsi que des pénalités correspondantes.

Dans cette affaire, l’administration fiscale a émis des propositions de redressement fondées sur les dispositions de l’article L. 64 du LPF relatif à l’abus de droit. Elle a écarté un montage dont elle a estimé qu’il dissimule la liquidation anticipée d’une société créée deux ans plus tôt dans le but exclusif d’écarter l’imposition d’un boni de liquidation. L’article L. 64 du LPF prévoit qu’afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du Comité. Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du Comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification.

Une succession d’opération

En 2004 les cadres dirigeants de Wendel Investissement ont décidé de créer une société ad hoc, la Compagnie de l’Audon, pour acquérir auprès de la société Solfur 569 333 options d’achat, à échéance octobre 2010 et au prix d’exercice de 40 euros, portant sur les titres Wendel-Participations, dont la valeur était estimée à 72,5 millions d’euros à fin décembre 2006. Précisons que la société Wendel Participations qui avait pour seul actif, environ 34 % du capital de Wendel Investissement, était détenue à hauteur de 13,5 % par Solfur qui était elle-même une filiale à 100 % de Wendel Investissement. En 2007, cette société ad hoc a acquis de Wendel Investissement les titres de la société Solfur et a procédé le même jour à sa dissolution avec transmission universelle de son patrimoine entraînant l’extinction de l’option d’achat des 569 333 actions de Wendel Participations et la détention directe de 13,5 % du capital de cette société. Lors d’une assemblée générale du 3 mai 2007, la société ad hoc a décidé de transférer les titres de cette société dans des sociétés civiles détenues par les 10 cadres ayant demandé ce transfert. Le 29 mai 2007, la société ad hoc a cédé les titres détenus dans Wendel Participations à Wendel Participations contre remises d’actions de Wendel Investissement. Ces opérations d’apport cession ont permis aux 14 cadres dirigeants d’appréhender en franchise d’impôt un gain total de 315 millions d’euros pour un investissement de départ de 996 250 euros, le montant total des souscriptions au capital de la la société la Compagnie de l’Audon. L’administration fiscale a remis en cause cette succession d’opérations et adressé, le 20 décembre 2010, 25 propositions de rectification notifiées à la société ad hoc, à 14 cadres et à 10 sociétés civiles, en visant les dispositions de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales relatives à l’abus de droit. L’administration fiscale a considéré que l’apport des titres de la société à une société civile créée par chacun des dirigeants, préalablement au rachat de ses propres titres par la société, avait eu pour seul objet d’éviter l’imposition du gain correspondant à la plus-value constatée lors de l’apport des titres de la société, que l’intéressé aurait dû supporter si, à défaut d’interposition de la société civile qu’il avait créée, il avait cédé lui-même directement ses titres de la société. Pour ce motif, l’administration fiscale a remis en cause le bénéfice du sursis d’imposition en recourant à la procédure de répression des abus de droit. L’administration a, par ailleurs, estimé que le gain correspondant au montant de la plus-value d’apport constituait, pour partie, un complément de salaire accordé au dirigeant concerné, à raison des fonctions que celui-ci exerçait au sein du groupe Wendel, et l’a taxé à hauteur de 65 % de son montant dans la catégorie des traitements et salaires et, pour le surplus, dans celle des revenus de capitaux mobiliers. Ces dirigeants ont, en conséquence de cette rectification, été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2007, assorties notamment de la majoration (de 40 ou 80 % selon les dossiers) pour abus de droit prévue par le Code général des impôts. Ces affaires font également l’objet de poursuites pour fraude fiscale puisque l’administration fiscale a déposé plainte pour fraude en 2012. Les 14 cadres de la société ont été mis en examen aux côtés de la succursale française de la banque américaine JP Morgan Chase et de leur avocat.

L’avis du Comité de l’abus de droit

Le Comité de l’abus de droit a considéré que le montage incriminé devait s’analyser comme une dissolution partage, la plus-value d’apport en sursis constituant en réalité un boni dans le cadre d’un retrait d’une société par réduction de capital, les actions apportées ayant été rachetées par l’émettrice (avis du Comité de l’abus de droit, 15 et 16 mars 2012, BOI 13 L 4 12). Pour le Comité de l’abus de droit, les décisions prises par l’assemblée générale des associés en 2007 ont emporté des effets comparables à ceux d’une dissolution anticipée de cette société. L’ensemble de ces décisions procédaient donc d’un montage artificiel ayant eu pour seul objet et pour seule finalité de répartir l’actif de cette société en dissimulant sa dissolution et sa liquidation anticipée. L’apport des titres de la société à une société civile, ayant opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés, participait de ce montage qui a permis en réalité aux dirigeants d’échapper à l’imposition du gain résultant de cette répartition de l’actif en plaçant artificiellement, par l’interposition de cette société civile, les opérations qu’il a réalisées dans le champ de l’article 150-0 B du Code général des impôts, à l’encontre des objectifs que le législateur a poursuivis en procédant à son adoption, aux seules fins de permettre l’application de cet article à ce gain qu’il a qualifié de plus-values mobilières. Le Comité de l’abus de droit a également considéré que la pénalité de 80 % prévue à l’article 1729 du Code général des impôts devait s’appliquer à 5 des 14 cadres, qui ont eu l’initiative principale du montage constitutif de l’abus de droit et qui en sont les principaux bénéficiaires. Le Comité de l’abus de droit a considéré en revanche que pour les 9 autres cadres, la pénalité ne devrait être que de 40 % car ils n’ont pas eu l’initiative du montage litigieux et n’en sont pas les principaux bénéficiaires.

Échec d’une question prioritaire de constitutionnalité

Le 5 janvier 2016 (TA, 5 janvier 2016, n°s 1309874 et 1400260), la première chambre du tribunal administratif de Paris a confirmé la position du Comité de l’abus de droit mais en opérant une ventilation entre les gains imposables, au motif qu’une partie de ces gains peut être assimilée à des plus-value et taxé au taux de 16 % au lieu de 40 %, le taux maximal de l’impôt sur le revenu au moment des faits, a diminué le montant total du redressement. Les requérants qui se sont pourvus en appel contre les jugements qui ont laissé à leur charge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à leur charge au titre de l’année 2007, ainsi que des pénalités correspondantes, ont soulevé à l’appui de leur appel deux questions prioritaires de constitutionnalité devant la cour administrative d’appel de Paris. La cour administrative d’appel de Paris a décidé de transmettre ces QPC au Conseil d’État (CE, Ord., 8 juill. 2016, n° 16PA00861, et CE, Ord., 8 juill., 2016, n° 16PA01157),  lequel a décidé de les joindre pour statuer par une seule décision. Les QPC transmises sont relatives à l’article 150-0 B du Code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000. Conformément à l’article 150-0 B du Code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige, « les dispositions de l’article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l’année de l’échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d’une opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement par une société d’investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (…) ». Les requérants estimaient que ces dispositions sont contraires aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en tant qu’elles ne s’appliquent pas aux gains réalisés avant le 1er  janvier 2014, par les actionnaires ou associés personnes physiques de sociétés non cotées à l’occasion du rachat de leurs titres par la société émettrice, gains dont l’imposition relève du régime des plus-values de cession en application de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014, dans l’hypothèse où un tel rachat est rémunéré par la remise, par la société émettrice, de titres d’une autre société.

Si les requérants soutiennent que la différence de traitement fiscal ainsi opérée entre deux catégories d’opérations qui se traduisent toutes deux par un échange de titres susceptible de faire naître une plus-value mobilière méconnaîtrait le principe d’égalité devant la loi fiscale, pour le Conseil d’État les contribuables dont les titres sont rachetés par la société émettrice et qui, ce faisant, se désengagent de leur investissement, ne sont pas placés dans la même situation que ceux participant à l’une des opérations énumérées à l’article 150-0 B, lesquelles revêtent par nature un caractère intercalaire en ce qu’elles ont pour objet de poursuivre, sous une autre forme, l’investissement réalisé dans l’activité économique en cause. La différence de traitement opérée, dans l’octroi du sursis d’imposition, par les dispositions contestées trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi et ne méconnaît donc pas le principe d’égalité devant la loi fiscale. Par ailleurs, ces dispositions ont seulement pour objet, en vue d’éviter que le paiement immédiat des impositions dues par les personnes physiques à raison des gains découlant de certaines opérations de restructuration d’entreprises fasse obstacle à la réalisation de ces opérations, de différer la liquidation et le paiement de ces impositions, sans en exonérer les redevables ni même en réduire le montant. La différence de traitement fiscal qu’elles opèrent par rapport aux opérations non incluses dans leur champ repose sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés par le législateur. En outre, la seule circonstance que les contribuables puissent être conduits, du fait du choix opéré par la société procédant au rachat de ses propres titres de rémunérer ce rachat par la remise d’autres titres, à acquitter un impôt sur la plus-value qu’ils réalisent à cette occasion sans que l’opération en cause leur procure par elle-même les liquidités nécessaires ne suffit pas à faire regarder l’imposition correspondante comme établie en méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques. Il ne peut donc être sérieusement soutenu que les dispositions législatives en cause méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi fiscale et d’égalité devant les charges publiques. Il n’y a donc pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, conclut que le Conseil d’État.

La position du juge d’appel

La cour administrative d’appel confirme l’abus de droit mais prononce deux dégrèvements pour vice de forme (CAA Paris, 12 avril 2018). Le juge administratif a en effet considéré que l’administration avait pu, sans irrégularité, usant de la procédure de répression des abus de droit, remettre en cause le bénéfice par les contribuables du sursis d’imposition, après avoir relevé que l’opération d’apport des titres de la société à la société civile créée par chacun des dirigeants constituait un montage abusif ayant pour seul objet de permettre à l’intéressé, par une application littérale des dispositions de l’article 150-0 B du CGI, contraire à l’intention du législateur, de disposer d’un gain en en différant l’imposition grâce à l’interposition d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, qu’il contrôlait et dirigeait, sans que le produit de la cession ait été réinvesti dans une activité économique. Cependant, dans les affaires n°s 16PA00861 et 16PA00923, la cour administrative d’appel a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités correspondantes, mises à la charge des contribuables concernés au titre de l’année 2007. Elle a en effet constaté que l’administration avait omis de communiquer aux requérants des documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’était fondée pour établir les impositions en litige, et avait ainsi méconnu les dispositions de l’article L. 76 B du Livre des procédures fiscales, qui exigent le respect d’une telle garantie pour les contribuables, ce qui a entaché la procédure d’imposition d’irrégularité. Concernant la catégorie d’imposition dans lesquels devait figurer les gains réalisés par les dirigeants du groupe Wendel, la Cour a considéré qu’en l’absence de risque et alors que le gain en litige se rattachait aux fonctions exercées par chacun des dirigeants au sein de la société Wendel Investissement, la totalité de ce gain devait être regardée comme un complément de salaire imposable dans la catégorie des traitements et salaires. Elle a cependant exclu de cette catégorie, dans une partie des dossiers, les sommes perçues par les sociétés civiles régies par l’article 8 du Code général des impôts, qui, ne pouvant être qualifiées de complément de salaire, devaient être imposées selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières.

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