Les armes de l’administration fiscale face à l’évasion fiscale internationale

Publié le 01/04/2022
évasion fiscale, billets, argent, lutte, impôts
torwaiphoto/AdobeStock

Pour le gouvernement, la lutte contre l’évasion fiscale internationale constitue une priorité. Le renforcement des moyens mis à la disposition de l’administration fiscale par la loi relative à la lutte contre la fraude témoigne de cette résolution. Ainsi, pour mener cette lutte, Bercy dispose d’outils spécifiques et éprouvés et dresse le bilan des dispositifs anti-abus utilisés pour contrer la fraude fiscale internationale ; focus sur une sélection de ces dispositifs.

Application des règles de territorialité de l’impôt sur les sociétés

L’article 209 du Code général des impôts (I) (CGI) détermine les règles de territorialité de l’impôt sur les sociétés. C’est sur ce fondement que sont imposés les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, et dans le respect des conventions fiscales, dans les entreprises étrangères qui disposent d’un siège de direction effective ou d’un établissement stable sur le territoire français. En 2020, le montant total des rectifications notifiées sur le fondement de l’article 209-I du CGI se caractérise par une nette augmentation des bases rectifiées par rapport à 2019 (+ 67 %), passant de 191 millions d’euros à 319 millions d’euros. Cette progression est toutefois à nuancer, dans la mesure où elle est due à un ensemble de dossiers emblématiques traités par la Direction spécialisée de contrôle fiscal (DIRCOFI) Sud-Est visant une même structure, pour lesquels la notion de siège de direction effective a été privilégiée. En réalité, le recours à l’article 209-I du CGI continue à reculer par rapport aux années précédentes (79 dossiers en 2020, 142 en 2019, 181 en 2018). Et la Direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) demeure fortement impliquée dans les dossiers d’activités non déclarées en France. Si l’année 2020 a été marquée par l’impossibilité de réaliser de très nombreuses opérations, les procédures de visite et de saisie (LPF, art. L. 16 B) garantissent la poursuite de la programmation de nouvelles affaires à moyen terme (56 dossiers en 2020, soit 90 % des perquisitions fiscales de l’année, contre 87 en 2019).

Notion de régime fiscal privilégié

Nombre des dispositifs anti-abus utilisés par l’administration fiscale renvoient à l’article 238 A du CGI qui définit la notion de régime fiscal privilégié. Cet article donne une définition pragmatique de ce régime. Il s’agit d’un État ou d’un territoire, dans lequel le contribuable n’est pas imposable ou bien est assujetti à un impôt dont le montant est inférieur de plus de 40 % à celui dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, s’il y avait été domicilié. Cet article opère un renversement de la charge de la preuve, puisqu’il appartient au débiteur de ces charges d’établir qu’elles correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. Cet article, qui vise les versements faits à destination de personnes établies dans des pays à régime fiscal privilégié (intérêts de prêts, redevances de brevets, etc.), a été appliqué à 15 reprises, en 2020 (20 dossiers en 2019), pour un montant de rectifications de 10 millions d’euros en base (8 millions d’euros, en 2019). Les territoires concernés par ce dispositif sont, généralement, et de manière non exhaustive, le Luxembourg, la Tunisie, l’Irlande, les Îles Marshall, l’Île Jersey, le Panama, Belize, Hong-Kong, Andorre et, de façon de plus en plus récurrente, les Émirats arabes unis (EAU).

La lutte contre les montages artificiels mis en place par les entreprises

L’article 209 B du CGI est mis en œuvre pour lutter contre la délocalisation de capitaux dans des États et territoires à régime fiscal privilégié. Il permet de rapatrier, en France, les bénéfices réalisés à l’étranger par des entités contrôlées par des entreprises françaises. Au sein de l’Union européenne, il n’est applicable qu’aux montages artificiels dont le but est de contourner la législation fiscale française. En-dehors de l’Union européenne, la correction ne s’applique pas si la personne morale établie en France démontre que les opérations conduites par l’entité étrangère n’ont pas pour but principal de localiser des bénéfices dans des États ou territoires à fiscalité privilégiée. Cette condition est présumée satisfaite lorsque l’entité établie à l’étranger exerce une activité industrielle ou commerciale effective sur son territoire. Même si, cette année encore, la clause de sauvegarde est généralement soulevée lors des contrôles, des cas de fictivité de l’activité établie dans ces territoires ont été établis à plusieurs reprises dans les dossiers vérifiés : sociétés holding sans activité opérationnelle situées aux Îles Caïmans, sociétés d’un groupe constituant une coentreprise opérationnelle à Singapour dépourvue de personnel. En 2020, l’article 209 B a été mis en œuvre à 13 reprises pour un montant de rectifications de 82 millions d’euros en base (543 millions d’euros, en 2019, appliqué à 10 reprises).

La lutte contre les montages du type rent a star company

En 1979, le législateur a mis en place un dispositif prévu pour contrer un schéma prisé des artistes et des sportifs, utilisant une société, dite « rent a star company », installée à l’étranger, de préférence dans un État à fiscalité privilégiée, pour percevoir la quasi totalité des rémunérations dues à la personne physique et, ainsi, éviter l’impôt en France, codifié à l’article 155 A du CGI. Cette règle de droit fiscal permet d’assujettir à l’impôt français les sommes versées à l’entité ad hoc lorsque les services rémunérés par les sommes en question ont été rendus en France ou par une personne domiciliée en France lorsque l’une des conditions suivantes est satisfaite :

  • la personne domiciliée en France contrôle celle qui reçoit la rémunération ;

  • elle n’apporte pas la preuve qu’elle exerce de façon prépondérante une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services ;

  • la personne qui reçoit la rémunération est domiciliée ou établie dans un État où elle est soumise à un régime fiscal privilégié…

L’article 155 A s’est appliqué à 31 reprises, en 2020, contre 86 l’année précédente, pour un montant de rectifications de 13 millions d’euros en base (contre 41 millions d’euros, en 2019). Les rectifications visent des problématiques diversifiées : une activité occulte d’apporteur d’affaires via des sociétés implantées en Andorre et en Espagne, un sportif rémunéré à raison de l’exploitation de son image à travers des sociétés luxembourgeoises et suisses, des salaires versés à une société établie au Royaume-Uni pour le compte du redevable en contrepartie de prestations artistiques (concerts).

Le recours à l’interposition de structures situées dans des régimes fiscalement privilégiés

Depuis le 1er janvier 1999, l’article 123 bis du CGI permet d’imposer, en France, les revenus réalisés par l’intermédiaire de structures soumises hors de France à un régime fiscal privilégié. Ce dispositif modifié suite à une décision du Conseil constitutionnel rendue en 2017 a pour champ d’application les personnes physiques, fiscalement domiciliées en France qui détiennent, directement ou indirectement, une participation d’au moins 10 % dans une structure établie hors de France, bénéficiant d’un régime fiscal privilégié, au sens de l’article 238 A du CGI et dont le patrimoine est principalement constitué d’actifs financiers et monétaires. Elles sont imposables à raison de leurs droits sur les bénéfices ou revenus positifs correspondant aux participations qu’elles détiennent. Au sein de l’Union européenne, l’application de ce dispositif est limitée aux seules entités qui résultent de montages artificiels mis en place afin de contourner l’application de la législation française. En 2020, ce dispositif a été appliqué à 50 reprises (contre 78, en 2019) pour un montant de rectifications de 72 millions d’euros en base (104 millions d’euros, en 2019). Une trentaine de dossiers ont été traités dans le cadre de contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et concernent la régularisation d’avoirs à l’étranger faisant suite à une demande de mise en conformité sur la base de renseignements obtenus grâce à l’échange automatique d’information. Pour les dossiers clos en 2020, les territoires où sont hébergées les structures juridiques visées par ce dispositif sont le Panama (pour au moins 15 dossiers), les Bahamas, les Îles Vierges Britanniques, les Seychelles, Dubaï (EAU), Hong-Kong, Gibraltar, Brunei, le Canada, l’Île Maurice, la Suisse, les Antilles néerlandaises, les États-Unis et le Luxembourg. Compte tenu de la volonté manifeste des contribuables d’éluder l’impôt au moyen de structures interposées visant à dissimuler les véritables bénéficiaires des avoirs, ces dossiers font systématiquement l’objet de pénalités, voire dans certains cas, de poursuites pénales.

Le contrôle de la déduction des charges financières

L’administration fiscale utilise l’article 212 du CGI pour encadrer la déduction des charges financières en cas de faible imposition ou d’exonération des intérêts dans le résultat de l’entreprise créancière liée. En 2020, ce dispositif a été mis en œuvre à 45 reprises (55 dossiers, en 2019) pour un montant total de rectifications en base de 387 millions d’euros, soit 2,5 fois plus qu’en 2019 (150 millions d’euros durant cette année). La plupart des dossiers visent des taux d’intérêt excessifs. Une partie significative des montants rectifiés provient cependant de trois dossiers mettant en évidence un mécanisme de déduction d’intérêts fictifs au Luxembourg. Les entités établies dans ce pays bénéficiant d’un ruling dont la consultation a fait apparaître le lien direct entre l’exonération accordée au Luxembourg et le montant des charges financières versées par la société française. Près de la moitié des bases procèdent, par ailleurs, d’un règlement d’ensemble conclu avec deux sociétés d’un groupe concernant une problématique initialement abordée sous l’angle du montage financier abusif. Cet accord prévoit l’abandon des sommes réclamées sur le fondement de l’abus de droit en raison d’un précédent montage financier mis en place avant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 212 I) b.  En contrepartie, les sociétés acceptent les rappels afférents aux exercices suivants ainsi que la majoration exclusive de bonne foi (40 %). Le groupe a, en outre, pris l’engagement de démanteler le schéma de financement en cause.

X