Les conditions de validité d’une mention expresse en matière de majoration de 10 %

Publié le 04/04/2017

Une mention expresse portée par un contribuable sur sa déclaration dont la formulation est équivoque ne lui permet pas d’échapper aux intérêts de retard.

Le Conseil d’État vient de préciser les caractéristiques qu’une mention expresse doit revêtir pour être efficace1.

Le mécanisme de mention expresse

La mention expresse permet au contribuable qui y procède d’être dispensé de l’intérêt de retard éventuellement applicable. Prévu à l’article 1727, II, 2 du Code général des impôts (CGI), ce dispositif nécessite que le contribuable indique expressément les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas mentionner, en totalité ou en partie, certains éléments d’imposition ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou à faire état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées. Afin de ne pas pénaliser les contribuables de bonne foi qui ne disposent pas, à l’expiration du délai de dépôt de leur déclaration, de tous les éléments d’interprétation nécessaires pour remplir leurs obligations déclaratives, la loi de finances rectificative pour 20082 a étendu ce dispositif. Il s’applique désormais aux contribuables qui ont interrogé l’administration fiscale sur une difficulté d’interprétation d’une loi nouvelle ou sur une difficulté de détermination des incidences fiscales d’une règle comptable, lorsqu’ils n’ont pas obtenu de réponse avant l’expiration du délai de déclaration ou lorsque l’Administration n’a pas publié sa position sur le sujet dans ce même délai. La mention expresse ne fait pas obstacle à ce que la déclaration souscrite par le contribuable fasse l’objet de rehaussements. En revanche, les impositions supplémentaires résultant de ces rehaussements ne sont pas assorties de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du CGI. Toutefois, si le contribuable n’acquitte pas les droits supplémentaires mis à sa charge dans les délais impartis, il est redevable soit de l’intérêt de retard pour la période postérieure à la mise en recouvrement soit de la majoration de 10 % prévue par l’article 1730 du CGI, selon que l’impôt en cause est recouvré par un comptable des impôts ou par un comptable du Trésor. Bien entendu, le contribuable ne sera dispensé de l’intérêt de retard qu’à hauteur des rehaussements concernés par la mention expresse. Les éventuels autres rehaussements seront, pour leur part, assortis de l’intérêt de retard dans les conditions de droit commun. Par ailleurs, si l’Administration établit que le contribuable n’était pas de bonne foi, non seulement l’intérêt de retard pourra lui être appliqué mais également l’une des majorations prévues à l’article 1729 du CGI. Le Conseil d’État a déjà jugé que le fait, pour un contribuable, d’avoir annexé à sa déclaration une note explicative répondant aux prescriptions de l’article 1732 du CGI n’est pas, par principe, de nature à empêcher l’Administration d’apporter la preuve de la mauvaise foi de ce contribuable3. Une conclusion logique puisque les dispositions relatives à la mention expresse renvoient exclusivement au champ des intérêts de retard et ne portent absolument pas sur la notion de mauvaise foi. Il est à noter qu’en l’espèce, la nature, le montant et la répétition des infractions commises par le contribuable pouvaient être de nature à traduire une intention délibérée d’éluder le paiement de l’impôt. La profession du contribuable, professeur de droit et consultant dans un cabinet d’avocat, a sans doute également joué en sa défaveur. Si la présence d’une mention expresse pouvait a contrario être retenue parmi les éléments pouvant permettre d’écarter une telle interprétation, le Conseil d’État n’excluant pas cette possibilité, encore aurait-il fallu que cette mention soit suffisamment détaillée et explicite quant aux déductions effectuées pour permettre à l’Administration d’en apprécier la teneur.

Un redressement portant sur une cession de titres

Le juge administratif a pris position dans une affaire où l’administration fiscale entendait appliquer une majoration de 10 % à un contribuable ayant porté une mention expresse sur sa déclaration d’impôt sur le revenu. Dans cette affaire, un contribuable M. A a cédé en 2006 les actions qu’il détenait dans la SA Horace à la SAS Aurore. Il a mentionné dans la déclaration d’ensemble de ses revenus de l’année 2006 la cession des titres de la SA Horace à ses enfants tout en se prévalant de l’exonération prévue au 3 du I de l’article 150 0-A du Code général des impôts (CGI) dont il estimait qu’elle pouvait s’appliquer dans le cadre d’une cession à une personne morale. La mention portée sur la déclaration était la suivante : « une cession en 2006 au sein du groupe familial de 1 425 actions de la société Horace au prix de 3 157 € l’action. Opération exonérée réalisée dans le cadre d’une transmission patrimoniale et managériale du groupe à mon fils et à ma fille. Ceux-ci ont pris un engagement de conservation de leurs titres pendant cinq ans ». Dans le cadre d’une proposition de rectification du 14 décembre 2009, l’Administration a remis en cause cette exonération et a assujetti M. et Mme A à une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2006, en suivant la procédure de redressement contradictoire prévue à l’article L. 55 du Livre des procédures fiscales (LPF), qui a été assortie de la majoration de 10 % prévue à l’article 1758 A du CGI. Les contribuables ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu ainsi que des pénalités qui l’ont assortie à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2006. Le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande4. Les requérants se sont donc pourvus devant la cour administrative d’appel de Marseille pour obtenir l’annulation de ce jugement du tribunal administratif de Marseille et la décharge de l’impôt demandée. La cour administrative d’appel de Marseille a jugé que c’est à bon droit que l’Administration a remis en cause le bénéfice de l’exonération de la plus-value intervenue à l’occasion de la cession des titres de la SA Horace5. En revanche, elle a jugé que les contribuables étaient fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande en ce qui concerne les intérêts de retard. L’administration fiscale s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cet arrêt.

Une formulation équivoque

Les contribuables M. et Mme A soutenaient qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer les intérêts de retard et la majoration de 10 % prévue à l’article 1758 A du CGI en raison de la mention expresse portée sur la déclaration de revenus. Aux termes de l’article 1727 du CGI, le taux de l’intérêt de retard est de 0,40 % par mois. Il s’applique sur le montant des créances de nature fiscale mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé. Toute créance de nature fiscale, dont l’établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n’a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d’un intérêt de retard. À cet intérêt s’ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. Cependant, l’intérêt de retard n’est pas dû au titre des éléments d’imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l’acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées. Conformément à l’article 1758 A du CGI, le retard ou le défaut de souscription des déclarations qui doivent être déposées en vue de l’établissement de l’impôt sur le revenu ainsi que les inexactitudes ou les omissions relevées dans ces déclarations, qui ont pour effet de minorer l’impôt dû par le contribuable ou de majorer une créance à son profit, donnent lieu au versement d’une majoration égale à 10 % des droits supplémentaires ou de la créance indue. Cette majoration n’est pas applicable en cas de régularisation spontanée ou lorsque le contribuable a corrigé sa déclaration dans un délai de trente jours à la suite d’une demande de l’Administration.

La cour administrative d’appel a jugé que la circonstance que la formulation de cette mention expresse était équivoque et ne mettait pas l’Administration à même d’apprécier la situation des contribuables ne faisait pas obstacle à ce qu’elle soit cependant regardée comme une indication expresse au sens des dispositions précitées du II de l’article 1727 du CGI.

Elle en a déduit que les époux A satisfaisaient aux conditions posées par cet article et étaient, par suite, fondés à demander la décharge des intérêts de retard. En statuant ainsi, alors qu’une indication expresse au sens du II de l’article 1727 du CGI doit comporter des éléments précis et circonstanciés sur les motifs de droit et de fait qui justifient l’absence de déclaration d’un gain par les contribuables, afin de mettre l’Administration en mesure d’apprécier immédiatement si les conditions du régime d’exonération invoqué sont remplies, et alors que les intéressés n’avaient pas indiqué que les actions avaient été transférées à des personnes morales et non à des personnes physiques, la cour a méconnu ces dispositions.

Par suite, conclut le Conseil d’État et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, les articles 1er et 2 de son arrêt doivent être annulés. Choisissant de régler l’affaire au fond, le Conseil d’État précise que les époux, qui n’ont pas mentionné dans leur déclaration que la cession litigieuse avait été consentie à une personne morale et n’ont ainsi pas mis l’Administration en mesure d’apprécier immédiatement si les conditions du régime d’exonération prévu par le 3 du I de l’article 150-0 A du CGI étaient remplies, ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 10 mars 2017, n° 396843.
  • 2.
    L. n° 2008-1443, 30 déc. 2008, portant loi de finances rectificative pour 2008, art. 49.
  • 3.
    CE, 9e et 10e ss-sect. réunies, 7 nov. 2012, n° 338465, Carreau.
  • 4.
    TA Marseille, 29 oct. 2013, n° 1104811.
  • 5.
    CAA Marseille, 10 déc. 2015, n° 14MA00356.
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