Les listes noires des paradis fiscaux

Publié le 08/01/2018

Les 28 États membres de l’UE ont adopté leur première liste de paradis fiscaux, comprenant 17 pays ou juridictions, tous situés en dehors des frontières de l’Union européenne. Cette liste vient se juxtaposer à une pluralité de listes nationales et internationales.

Dès juin 2015, la Commission européenne a publié une première liste de paradis fiscaux établie grâce aux différentes listes noires dressées par les d’États membres de l’Union européenne, comme celle de la France. Une nouvelle liste vient d’être publiée.

La liste française

La France, conformément à l’article 238 A du Code général des impôts (CGI), a posé comme définition de la notion de paradis fiscal, la notion d’État à fiscalité privilégiée, qui renvoie au critère du taux d’imposition. Est défini comme un État à fiscalité privilégiée, l’État ou le territoire dont le taux d’imposition est inférieur de 50 % à l’impôt français. Le législateur dans le cadre du vote de la troisième loi de finances rectificative pour 2009, a défini le concept d’États et territoires non coopératifs (ETNC), fondé sur la qualité des informations échangées par les États notamment via les conventions d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale. Selon la définition, codifiée à l’article 238-0 A du CGI, sont considérés comme non coopératifs, à la date du 1er janvier 2010, les États et territoires non membres de la Communauté européenne, dont la situation au regard de la transparence et de l’échange d’informations en matière fiscale a fait l’objet d’un examen par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et qui, à cette date, n’ont pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention.

La liste des États et territoires non coopératifs est fixée par un arrêté des ministres chargés de l’Économie et du Budget après avis du ministre des Affaires étrangères. Elle est mise à jour chaque année. En pratique, sont inscrits sur cette liste les États ou territoires figurant sur la dernière liste grise publiée par l’OCDE et ceux n’ayant pas signé avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention. En avril 2016, à la suite du scandale des Panama Papers, la France a décidé de réinscrire le Panama sur sa liste des États non coopératifs. En janvier, une feuille de route a été fixée entre les deux États pour améliorer la transparence et la coopération fiscale.

La liste de la commission Moscovici

En 2015, la liste de la Commission européenne, baptisée « liste Moscovici » a été publiée. Elle comprend 30 États et territoires assimilés à des paradis fiscaux. Cette liste s’inscrit dans le cadre d’un plan d’action visant à réformer en profondeur la fiscalité des entreprises au sein de l’Union. La première liste paneuropéenne des juridictions fiscales non coopératives de pays tiers couvre les cinq continents et correspond à une synthèse partielle des listes établies par les États membres. Les 18 listes qui ont été utilisées recensent 85 juridictions non coopératives qui n’appliquent pas les standards de bonne gouvernance fiscale, notamment les critères de transparence et d’échange d’informations. Bruxelles a choisi de retenir les juridictions dont les noms apparaissaient sur au moins dix de ces listes. La cartographie dressée par la Commission européenne est amendée au moins une fois par an pour refléter des changements initiés dans les listes nationales des États membres. Cette liste a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. En effet, certaines des listes compilées n’avaient pas été actualisées depuis plusieurs années. Des États ou territoires figurant sur la liste Moscovici, comme Guernesey, le Liechtenstein, les Bermudes, l’Ile Maurice ont protesté vigoureusement, rappelant leur engagement à pratiquer l’échange automatique de données fiscales à l’horizon 2017 ou 2018. « Il ne peut s’agir d’une véritable liste car cela minerait les efforts et le travail de transparence entrepris par de nombreuses juridictions », a de son côté estimé Pascal Saint-Amans, le directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

Une nouvelle étape

À la suite du scandale des Panama Papers, les États membres dont décidé de franchir un pas supplémentaire en se dotant de critères communs pour définir ensemble une liste communautaire des États non coopératifs. Trois indicateurs ont été prévus : manque de transparence, présence de régimes fiscaux de faveur et absence ou taux très bas d’impôt sur les sociétés. Ce dernier critère ayant fait l’objet de vives critiques en interne, notamment de la part des Britanniques, il a été temporairement mis de côté le temps qu’un groupe d’experts évalue son impact. La Commission européenne a dressé une liste intermédiaire de 92 États ou territoires avec qui un dialogue doit être instauré avant de décider de les faire figurer ou non dans la liste noire européenne. Aucun État membre ne devrait figurer sur cette liste.

La pression des ONG

Les institutions et les décideurs concernées doivent également faire face à un certain nombre de revendications. Outre les scandales comme les Panama Papers, un certain nombre de groupe de pression se font entendre et trouvent une oreille favorable auprès de l’opinion publique. Ainsi, en décembre 2017, l’intervention de l’ONG Oxfam a connu un écho très favorable dans la presse grand public. L’ONG de lutte contre la pauvreté a dévoilé la liste des pays qu’elle estime devoir être considérés comme des paradis fiscaux au regard des critères de l’Union européenne. Elle a publié une liste contenant 35 pays hors de l’Union, qui doivent être considérés comme des paradis fiscaux au regard des critères européens, si l’Union européenne les appliquait « de manière objective », « sans céder à la pression politique ». Il s’agit ainsi de l’Albanie, des Bahamas, des Bermudes, de la Bosnie-Herzégovine, des Émirats Arabes Unis, de Gibraltar, de Hongkong, de l’Île Maurice, Jersey, la Nouvelle-Calédonie, la Suisse, Singapour ou Taïwan qui sont à considérer comme des paradis fiscaux. Il s’agit également pour l’OXAM de pays membres de l’Union européenne, comme l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas, une annonce quelque peu provocatrice au regard de la feuille de route de l’Union européenne.

Une liste de 17 paradis fiscaux

« Nous avons adopté aujourd’hui au niveau de l’UE une liste d’États qui ne font pas le nécessaire pour lutter contre l’évasion fiscale. Cette liste qui est une liste noire comprend 17 États », a annoncé Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances le 5 décembre dernier. Les 17 pays qui figurent sur la liste noire finale adoptée par l’Union européenne sont les suivants : Bahreïn, Barbade, Corée du Sud, Émirats Arabes Unis, Grenade, Guam, Îles Marshall, Macao, Mongolie, Namibie, les Palaos, Panama, Samoa, les Samoa américaines, Sainte Lucie, Trinidad-et-Tobago et Tunisie. Il a ajouté que 47 pays figuraient sur une liste grise « des pays qui ont pris des engagements qui doivent être suivis ». Il s’agit notamment de pays comme le Maroc et le Cap-Vert. Un certain nombre d’États qui devaient faire l’objet d’un examen poussé des pays de l’Union européenne, ne subiront cet examen qu’au printemps. Ils se situent sur des terres touchées par les ouragans de septembre. Il s’agit également d’Anguilla, Antigua et Barbuda, les Bahamas, la Dominique, les Îles Vierges britanniques, les Îles Vierges américaines et les Îles Turks-et-Caïcos. En dépit de leurs efforts, les eurodéputés sociaux-démocrates ne sont pas parvenus à faire ajouter les Pays-Bas, l’Irlande, le Luxembourg et Malte à la liste noire des paradis fiscaux établie par l’Union européenne.

Quelles conséquences ?

Sur la question des sanctions applicables, les positions divergent. Si le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, s’est dit en faveur de sanctions, qui auraient le mérite de conférer plus d’efficacité à la liste noire, pour son homologue luxembourgeois, Pierre Gramegna, le simple fait de figurer sur une telle liste, constitue à lui seul une sanction. Aux côtés de la France, d’autres États comme la Belgique, l’Autriche, l’Allemagne, la Roumanie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Slovénie appellent à la prise de sanctions alors que des États comme le Luxembourg, le Royaume-Uni, Malte, la Suède, l’Irlande, les Pays-Bas, la Lituanie, la Finlande et la Grèce optent plus en faveur de mesures de surveillance. Cette liste devrait être régulièrement actualisée car « si les États qui ne respectaient pas les règles se mettent en conformité, il faut qu’ils puissent sortir le plus vite possible de la liste noire », selon la formule de Bruno Le Maire. Les eurodéputés ont en revanche, voté à une large majorité une série de recommandations visant à mieux lutter contre les paradis fiscaux, incluant de nouvelles règles pour les conseils, une protection des lanceurs d’alerte, ou la création d’une commission d’enquête permanente sur le sujet.

La liste noire de l’OCDE

Même si elle a été qualifiée de lacunaire cette liste européenne n’en reste pas moins beaucoup plus complète que celle adoptée par l’OCDE, qui ne comprend désormais plus qu’un seul nom, celui de Trinité-et-Tobago ! Pour définir le concept de paradis fiscal ou de territoire à fiscalité privilégiée, l’OCDE a opté pour quatre facteurs d’identification : l’absence d’imposition ou l’imposition insignifiante des revenus, l’absence d’un système effectif d’échange de renseignements avec les autres États, l’absence de transparence dans le fonctionnement des dispositions législatives, juridiques ou administratives comme le secret bancaire, et l’absence d’obligation d’exercer une activité substantielle dans le territoire considéré. En 2000, l’OCDE a publié une liste de 35 États ou territoires remplissant les critères de paradis fiscal. Entre 2000 et avril 2002, 31 juridictions ont officiellement pris des engagements pour mettre en œuvre les principes de l’OCDE en matière de transparence et d’échange effectif de renseignements en matière fiscale. Les sept juridictions qui ne s’étaient pas engagées à ce moment-là (Andorre, la Principauté de Liechtenstein, Liberia, la Principauté de Monaco, la République des Îles Marshall, la République de Nauru et la République de Vanuatu) à améliorer la transparence et à mettre en place des échanges effectifs de renseignements en matière fiscale ont été désignées comme des juridictions non coopératives par le Comité des affaires fiscales de l’OCDE. En 2009, l’OCDE a élaboré trois listes distinctes : une liste noire, regroupant les États qui ne se sont jamais engagés à respecter les standards de l’OCDE, une liste grise dénombrant les États qui se sont engagés à respecter ces standards, mais qui ne les ont pas appliqué substantiellement et une liste blanche regroupant les États appliquant substantiellement les standards internationaux. Nauru et Vanuatu ont pris leur engagement en 2003 et le Liberia et les Îles Marshall en 2007. À la suite des engagements pris par les trois dernières juridictions figurant sur la liste (Andorre, la Principauté de Liechtenstein et la Principauté de Monaco) de mettre en œuvre les principes de l’OCDE de transparence et d’échanges effectifs de renseignements en matière fiscale et le calendrier qu’elles ont adopté pour la mise en œuvre de ces engagements, le Comité des affaires fiscales a retiré en 2009 ces juridictions de la liste des juridictions non coopératives. Depuis lors, la liste noire établie par l’OCDE ne comprenait plus aucun nom.

Des critères objectifs

L’affaire des Panama Papers a redonné une nouvelle actualité à la notion de liste noire. Et en juillet 2016, les pays du G20 ont demandé au Forum mondial de définir des critères objectifs permettant d’identifier les juridictions n’ayant pas accompli suffisamment de progrès vers un niveau satisfaisant de mise en application des normes internationales telles que la norme d’échange de renseignements sur demande et la norme d’échange automatique de renseignements. Une liste des juridictions non coopératives devait ainsi être élaborée en vue du sommet de Hambourg de 2017, sachant qu’une juridiction est exclue de cette liste dès lors qu’elle satisfait à au moins deux des trois critères suivants :

  • elle a reçu la notation « conforme pour l’essentiel » concernant la norme d’échange de renseignements sur demande ;

  • elle s’est engagée à mettre en application la norme sur l’échange automatique de renseignements, et à réaliser les premiers échanges dans ce cadre au plus tard en 2018 ;

  • elle est partie à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ou membre d’un réseau d’échange suffisamment important qui autorise l’échange de renseignements sur demande et l’échange automatique de renseignements.

De plus, un critère qui prévaut à ces conditions s’applique dans trois cas : si l’examen par les pairs conduit par le Forum mondial attribue à une juridiction la notation « non conforme » ; si une juridiction est bloquée à la phase 1 du processus d’examen ; ou si une juridiction, précédemment bloquée à la phase 1, n’a pas encore reçu de notation globale au titre du processus d’examen de phase 2.

Le Forum mondial a par ailleurs mis au point une procédure accélérée d’examen qui permet d’évaluer les efforts récemment déployés par certaines juridictions pour respecter les normes de transparence à l’approche du sommet du G20. Les conclusions issues de cette procédure accélérée témoignent des progrès effectifs accomplis par la plupart des juridictions quant au respect des normes internationales de transparence fiscale. Ainsi, quinze juridictions qui avaient obtenu une notation inférieure au niveau satisfaisant lors des examens par les pairs relatifs à la norme d’échange de renseignements sur demande ont fait l’objet d’un nouvel examen pour déterminer si leurs progrès récents leur permettraient de recevoir une meilleure notation. À l’issue de cet exercice, le Forum mondial a établi les notations provisoires suivantes :

– Conforme pour l’essentiel – Andorre, Antigua-et-Barbuda, Costa Rica, Dominique, Émirats arabes unis, États Fédérés de Micronésie, Guatemala, Îles Samoa, Liban, Nauru, Panama, République dominicaine et Vanuatu.

– Partiellement conforme – Îles Marshall.

– Trinité-et-Tobago, qui avait reçu la notation « non conforme », n’a pas été en mesure d’établir que les progrès accomplis justifiaient une révision à la hausse de cette notation.

Après application des critères objectifs, et en tenant compte des conclusions de la procédure accélérée, Trinité-et-Tobago a été identifiée comme la seule juridiction n’ayant pas suffisamment progressé à ce jour pour assurer une mise en œuvre satisfaisante des normes de transparence fiscale. Les échanges avec Trinité-et-Tobago suivent leur cours, et de nouveaux progrès sont attendus prochainement.

La procédure accélérée appliquée par le Forum mondial n’a pas vocation à remplacer un examen par les pairs en tant que tel. Un examen complet sera donc conduit et une évaluation par les pairs effectuée au regard de la version révisée de la norme internationale pour l’échange d’informations sur demande, qui impose désormais un accès aux renseignements relatifs à la propriété effective. Le premier cycle d’examens par les pairs concernant l’échange de renseignements sur demande s’est terminé avec la remise des conclusions issues des évaluations accélérées. Un deuxième cycle d’examens par les pairs est désormais lancé. Les juridictions qui ont fait l’objet de la procédure accélérée seront évaluées au début de ce deuxième cycle d’examen.

 

 

 

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