L’obligation d’information de l’Administration ne s’étend pas aux renseignements connus du contribuable
La méconnaissance de l’obligation d’informer le contribuable sur l’origine et la teneur des renseignements utilisés par l’Administration pour procéder à des rectifications est sans conséquence sur le bien-fondé de l’imposition lorsque le contribuable connaissait nécessairement ces éléments.
Le Conseil d’État confirme sa jurisprudence relative aux droits du contribuable vérifié dispensant l’administration fiscale d’informer le contribuable de l’origine des renseignements qu’elle a utilisés pour fonder son redressement lorsque l’intéressé connaît ces renseignements1. Le Conseil d’État vise les termes de l’article L. 76 B du Livre des procédures fiscales (LPF), selon lequel l’Administration est tenue d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition faisant l’objet de la proposition prévue au premier alinéa de l’article L. 57 du LPF ou de la notification prévue à l’article L. 76 du LPF. À cet effet, l’administration fiscale doit communiquer, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande.
L’exercice du droit de communication de l’administration fiscale…
Le droit de communication est le droit reconnu à l’administration fiscale de prendre connaissance et, au besoin, copie de documents détenus par des tiers (entreprises privées, administrations, établissements et organismes divers, etc.) voire par le contribuable lui-même afin de vérifier les déclarations souscrites par le contribuable (entreprise ou personne physique). Les renseignements recueillis à cette occasion peuvent être utilisés pour l’assiette et le contrôle de tous impôts et taxes à la charge, soit de la personne physique ou morale auprès de laquelle il est exercé, soit de tiers à cette personne. Le droit de communication peut être utilisé dans le cadre de l’assistance technique internationale, dans les limites et selon les modalités prévues par les conventions entre États.
… s’accompagne de garanties pour le contribuable
La jurisprudence du Conseil d’État s’est attachée à encadrer ce droit et faire progresser les garanties du contribuable avant même que l’article L. 76 B du LPF ne vienne codifier les obligations de l’administration fiscale en la matière. Afin que le principe du contradictoire soit respecté, l’administration fiscale doit respecter une double obligation. L’Administration doit d’une part informer le contribuable de la teneur et l’origine des renseignements et documents obtenus auprès de tiers et utilisés dans le cadre d’une procédure de rectification et d’autre part lui communiquer, sur demande, lesdits documents avant la mise en recouvrement des impositions. L’objectif de cette obligation d’information, consiste notamment à permettre à l’intéressé, de discuter utilement la provenance des informations le concernant ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contenaient ces renseignements, soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Le non-respect par l’Administration de l’une ou l’autre de ces deux garanties, qui sont attachées au respect des droits de la défense dans le cadre des opérations de contrôle, constitue une erreur substantielle. Il entache la procédure d’irrégularité, et entraîne la décharge des impositions fondées sur l’utilisation de ces renseignements et documents.
Le cadre de l’obligation d’information
L’obligation d’information contraint l’administration fiscale d’exposer dans la proposition de rectification le contenu des renseignements et documents utilisés au titre de la motivation des rehaussements. Au titre de l’obligation d’information sur l’origine des renseignements et documents, la proposition de rectification doit préciser les conditions de leur obtention en portant à la connaissance du contribuable la procédure ayant permis de les obtenir (droit de communication, procédure de visite et de saisie, questionnement,…) ainsi que l’identité du tiers auprès duquel cette procédure a été diligentée (autorité fiscale étrangère, autorité judiciaire, entreprise,…) et la nature du document, c’est-à-dire le support de l’information (document administratif, procès-verbal, facture, contrat,…). L’Administration est tenue de communiquer avant la mise en recouvrement des impositions, au contribuable qui en fait la demande de façon expresse et explicite une copie des documents sur lesquels elle s’est fondée pour l’établir2. Sont seuls concernés par l’obligation de communication les documents fondant les rectifications proposées au contribuable, c’est-à-dire ceux effectivement utilisés dans la proposition de rectification pour justifier les rehaussements. Bien que ne provenant pas de tiers, les documents dont le contribuable est l’auteur ou le destinataire doivent également être communiqués, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État3.
L’Administration n’est pas tenue de communiquer les documents, lorsqu’elle ne détient pas de support matériel de l’information. Elle n’est également pas tenue de communiquer les documents qu’elle a obtenus dans le cadre de l’assistance administrative internationale, lorsque la convention internationale fondant l’échange d’informations entre États contient des clauses restrictives interdisant la communication au contribuable. La communication se fait par voie postale ou le cas échéant, par consultation dans les locaux de l’Administration. Une preuve écrite de la communication est conservée par le service. L’article L. 76 B du LPF ne comporte pas de précision sur la date à laquelle doit intervenir l’information du contribuable, précisant seulement que l’Administration doit communiquer, avant la mise en recouvrement, une copie des documents concernés au contribuable qui en fait la demande. Pour l’Administration fiscale, l’information doit être effectuée au stade de la proposition de rectification dans l’exposé des faits utiles à la motivation des rehaussements. Pour le Conseil d’État le droit à l’information du contribuable s’applique tout au long de la procédure d’imposition4.
Une exigence moins grande en matière d’obligation d’information…
Dans l’affaire soumise au Conseil d’État, un contribuable, Monsieur B. a été imposé à l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2007 à raison du bénéfice réalisé par la société unipersonnelle à responsabilité limitée de droit espagnol Schungenvino, dont il est l’associé unique. La proposition de rectification adressée à Monsieur B. le 4 août 2009 lui a notamment indiqué qu’il était personnellement imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux à raison du bénéfice de la société Schungenvino au titre de l’année 2007, dès lors qu’il avait acquis la totalité des parts de la société le 21 mai 2007. Cette proposition ne mentionnait pas que le vérificateur avait pris connaissance de l’acte de cession de parts dans le cadre des opérations de visite et de saisie conduites en novembre 2007, dans les locaux de la société Schungenvino, sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF. Monsieur B. a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l’année 2007 ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande5. La cour administrative d’appel de Paris, faisant droit à l’appel de contribuable, a annulé ce jugement et prononcé la décharge de l’imposition en litige6. La cour administrative d’appel de Paris, a considéré que même si Monsieur B. avait nécessairement connaissance de l’acte de cession de parts auquel il était parti, il avait été privé de la garantie prévue par les dispositions de l’article L. 76 B du LPF. L’Administration fiscale s’est pourvue en cassation contre cet arrêt.
Pour le Conseil d’État, la cour a commis une erreur de droit. L’obligation d’information à laquelle est soumise l’Administration fiscale quant à l’origine et la teneur des renseignements qu’elle a utilisés pour procéder à des rectifications a pour objet de permettre au contribuable, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, afin qu’il puisse vérifier l’authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée.
La méconnaissance par l’Administration fiscale de son obligation d’information est sans conséquence sur le bien-fondé de l’imposition s’il est établi qu’eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu du contribuable, celui-ci n’a pas été privé, du seul fait de l’absence d’information sur l’origine du renseignement, de cette garantie. Le ministre est donc fondé, pour ce motif à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.
… qu’en matière d’obligation de communication ?
L’obligation de communiquer aux contribuables, à sa demande, les documents d’où ont été extraits les renseignements ayant fondé les redressements semble, en revanche, entourée d’une plus grande exigence. En effet, elle s’applique même s’il s’agit de documents dont le contribuable a nécessairement connaissance. Le Conseil d’État a apporté des précisions au droit de communication exercé par l’Administration fiscale dans le cas de documents obtenus de tiers mais connus du contribuable7. En cause, dans l’affaire soumise au Conseil d’État, une entreprise, la société financière François Ier, assujettie à la suite d’un contrôle sur pièces à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés ainsi qu’à des pénalités correspondantes. En l’espèce, l’Administration s’était abstenue de communiquer à la société, qui lui en avait fait la demande, les documents en sa possession, qu’elle avait obtenus auprès de tiers et qu’elle avait utilisés pour établir les redressements. Les redressements étaient relatifs à des ventes d’actions auxquelles la société était partie et dont elle connaissait les modalités. En outre, les notifications de redressements comportaient tous les éléments de fait concernant les opérations d’achat et de vente de titres. Le Conseil d’État a précisé, sans ambiguïté, que lorsque le contribuable en fait la demande à l’Administration, celle-ci est tenue de lui communiquer les documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin notamment de lui permettre d’en vérifier, et le cas échéant d’en discuter, l’authenticité et la teneur. Il en va ainsi, précise le juge administratif alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d’entre eux. Le principe du contradictoire nécessite, dès lors que des renseignements utilisés pour fonder une imposition entrent dans le champ de l’obligation d’information imposée à l’Administration, que celle-ci soit toujours tenue, à peine d’irrégularité de la procédure, de communiquer au contribuable, lorsqu’il en fait la demande, les documents en sa possession qui sont le support de ces renseignements, afin de lui permettre de discuter utilement du redressement. Si celle-ci n’en est pas détentrice, il lui appartient d’en informer le contribuable et de lui préciser l’origine des documents pour qu’il s’adresse, le cas échéant, à l’organisme ou à la société d’où ils proviennent8. Seul tempérament à cette exigence, l’Administration fiscale n’est pas tenue de communiquer des documents librement accessibles au public. Le Conseil d’État a en effet posé pour principe que l’obligation de communication ne s’étend pas aux documents déposés au greffe du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance, en vertu d’une obligation légale ayant pour objet de les rendre accessibles au public. La jurisprudence est plus mesurée en ce qui concerne les informations consultables en ligne, notamment dans des bases de données9. Le Conseil d’État a précisé sa position dans une affaire relative à des informations recueillies par l’Administration fiscale sur le service informatique Eurodun délivrant moyennant paiement des informations légales et financières sur les entreprises européennes. En ce qui concerne les documents ou copies de documents contenant des renseignements recueillis sur des sites internet ou sur des serveurs de données, qui sont considérés en accès public, et utilisés par l’Administration pour établir un redressement, l’Administration fiscale doit les mettre à disposition du contribuable avant la mise en recouvrement des impositions qui en résultent si celui-ci lui indique avant cette mise en recouvrement, en réponse à un refus de communication fondé sur le caractère librement accessible des informations en cause, qu’il n’a pu y avoir accès. Il s’agit d’une solution particulièrement protectrice des intérêts du contribuable, puisque celui-ci n’est pas tenu d’apporter la preuve qu’il n’a pu avoir accès aux informations. C’est également une solution équilibrée, dans la mesure où l’accès à internet n’est pas toujours possible, où l’information a pu changer entre le moment où l’Administration fiscale a effectué ses consultations et celui où le contribuable va se connecter pour retrouver ces éléments, où certains sites sont parfois payants, consultables uniquement sur abonnement ou d’accès restreint, etc.
Notes de bas de pages
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1.
CE, 17 mars 2016, n° 381908.
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2.
CE, 22 nov. 2006, n° 280252, Bozzi
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3.
CE, 6 oct. 2008, n° 299768, M. et Mme Erbin.
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4.
CE, 31 juill. 2009, n° 297308, Sté financière François Ier.
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5.
TA Paris, 17 juill. 2012, n° 1016660.
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6.
CAA Paris, 29 avr. 2014, n° 12PA04235.
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7.
CE, 6 oct. 2008 nos 299768 et 315233.
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8.
CE, 3 mai 2011, n° 318676.
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9.
CE, 30 mai 2012, n° 345418, AFICOM.