Location en meublé professionnel et abus de droit
Le recours au statut de meublé non professionnel afin de pouvoir imputer un déficit sur un revenu global constitue une opération abusive lorsqu’elle porte exclusivement sur un bien dont le contribuable se réserve la jouissance.
Aux termes de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF), « afin d’en restituer le véritable caractère, l’Administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». Il résulte de ces dispositions que, lorsque l’Administration use de la faculté qu’elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Ce texte est lourd de conséquences puisque l’abus de droit est sanctionné par le rétablissement de l’impôt éludé majoré des pénalités de retard (4,8 % par an) et par l’application d’une pénalité spéciale égale à 80 % des droits rappelés. En revanche, il s’accompagne d’un cadre juridique précis protecteur pour le contribuable. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, le litige est soumis, à la demande du contribuable ou à celle de l’Administration, à l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal (CADF). Ses avis font l’objet d’un rapport annuel publié. Si l’avis du comité est favorable à l’Administration fiscale, la charge de la preuve pèse sur le contribuable. À l’inverse, si l’avis conforte la position du requérant, l’Administration doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement.
Le statut de loueur en meublé professionnel
La cour administrative d’appel de Paris vient de conclure à l’abus de droit dans une affaire relative au statut de loueur en meublé professionnel (LMP), qui est soumis à trois conditions cumulatives. Un membre du foyer fiscal au moins doit être inscrit au registre du commerce et des sociétés (RCS) en qualité de loueur professionnel. Les recettes locatives annuelles brutes représentent plus de 23 000 € TTC. Ces recettes locatives annuelles brutes doivent être supérieures aux revenus nets professionnels du foyer fiscal. Les revenus du patrimoine et de placements sont exclus de ce calcul. Le régime fiscal correspondant est assez attractif. Contrairement aux locations nues, imposables dans la catégorie des revenus fonciers, les revenus de location meublée professionnelle doivent être déclarés sous l’un des régimes suivants, en fonction de la structure juridique choisie par l’entrepreneur :
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impôt sur le revenu (IR) dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ;
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impôt sur les sociétés (IS) ;
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micro-entreprise (pour les auto-entrepreneurs), si le chiffre d’affaires hors taxe ne dépasse pas 82 800 €.
Dans la mesure où il s’agit d’une activité professionnelle soumise au régime réel d’imposition (sauf dans le cas d’une micro-entreprise), les charges peuvent être déduites du résultat fiscal (c’est-à-dire du loyer perçu) pour leur montant réel, qu’il s’agisse des frais d’établissement (frais de notaire, de constitution de société, par exemple), des frais d’entretien et de réparation, des impôts locaux, des frais de gestion et d’assurances, des intérêts d’emprunt, des amortissements du mobilier et des améliorations (sur une durée allant de 5 à 10 ans, soit un taux compris entre 10 % et 20 % par an). En outre, le loueur en meublé professionnel peut pratiquer l’amortissement des locaux. Le prix d’achat immobilier ne constitue pas une charge déductible, mais peut être amorti en fonction de la durée réelle de détention. Si celle-ci est estimée à 50 ans, 2 % du prix du bien peut être déduit pendant cette période chaque année.
Les déficits éventuels peuvent être imputés sur le revenu global sans limitation de montant. En outre, les déficits créés par des charges engagées avant le démarrage de la location peuvent être imputés par tiers sur le revenu des 3 premières années de location. C’est le cas lorsque le contribuable possède le statut de loueur professionnel dès l’année d’achèvement ou de livraison de l’immeuble et le conserve durant les 3 ans. Les plus-values réalisées sont imposées dans le cadre du régime des plus-values professionnelles au taux réduit de 16 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux au taux de 15,5 %. Elles bénéficient, pour une activité de loueur en meublé professionnel exercée depuis au moins 5 ans, d’une exonération totale lorsque la moyenne des recettes tirées de la location au cours des 2 années civiles précédentes n’excède pas 90 000 € HT et d’une exonération partielle si ces mêmes recettes sont comprises entre 90 000 € HT et 126 000 € HT.
Un montage abusif
Un certain nombre de contribuables échafaudent des montages destinés à tirer parti des dispositions du statut de LMP. Certains de ces montages sont abusifs. À cet égard, la cour administrative de Paris1 vient de rendre un arrêt de confirmation dans une affaire où le Comité de l’abus de droit fiscal a conclu que l’Administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L 64 du LPF2. Le Comité a considéré que les deux contribuables en cause devaient être regardés comme ayant eu l’initiative principale des actes constitutifs de l’abus de droit et, en outre, en ont été les principaux bénéficiaires au sens du b) de l’article 1729 du CGI. L’Administration est donc fondée à appliquer la majoration de 80 % prévue par ces dispositions.
Dans cette affaire, un couple de contribuables, M. et Mme B. ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2008 à la suite du rejet, par l’administration fiscale, de l’imputation, sur leur revenu global de ladite année, du déficit de la société Victoire, dont ils étaient associés. M. et Mme B. ont constitué le 6 février 2008 la SARL Victoire dont ils détiennent respectivement 45 % et 55 % des parts et qui a pour activité l’acquisition, la gestion et l’administration de tous biens immobiliers et droits immobiliers destinés à la location meublée à titre professionnel. La SARL Victoire, qui a opté pour le régime des sociétés de personnes, a acquis, le 23 mai 2008 et pour 1 715 000 €, un appartement situé 6, rue Meissonier à Paris, dans lequel elle a effectué des travaux pour un montant de 124 216 € et des achats de mobiliers pour 178 139 €. À compter du 1er novembre 2008, la société a donné le bien en location à ses deux associés pour un loyer mensuel de 8 000 € selon les termes du bail conclu pour la période du 1er novembre 2008 au 31 octobre 2010, reconductible pour un an. Pour l’administration fiscale, la constitution de la SARL et le contrat de location meublée mis en place avaient pour seul objet et effet de placer les requérants sous le régime de la location meublée professionnelle, régime favorable du fait de l’existence d’un résultat déficitaire imputable de 345 189 €, au demeurant non justifié, et ne reflète pas la réalité de la situation des époux B, qui entendaient se réserver la jouissance de l’immeuble, unique actif de la SARL. Ainsi le bail contracté dans le cadre d’un montage purement artificiel, alors même qu’il avait donné lieu à paiement de loyers, doit être regardé comme fictif. Leur réclamation auprès de l’administration fiscale n’ayant pas abouti, M. et Mme A. B. ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à leur charge au titre de l’année 2008 ainsi que des pénalités y afférentes pour un montant total de 265 106 €. Le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande3. Les contribuables se sont pourvus en appel afin d’obtenir l’annulation de ce jugement de première instance.
Ce bien, unique actif de la société, constituait la résidence principale de M. et Mme B. Les apports en compte courant ont servi à financer l’acquisition du mobilier. Aucun élément ne démontre que la société a développé des relations économiques avec des tiers ou aurait eu l’intention d’en établir. La société n’a exercé aucune activité après la revente du bien, jusqu’à sa dissolution en 2010. En se bornant à faire valoir devant la Cour qu’ils exerçaient par ailleurs une activité réelle de location meublée dont la création de la société Victoire n’a constitué que l’extension, M. et Mme B. ne contestent pas utilement le rehaussement dont ils ont fait l’objet. L’absence de remise en cause, par l’Administration, du statut de loueur en meublé à l’occasion de la revente de l’immeuble par la société Victoire est sans influence sur le bien-fondé du rehaussement sur le terrain de la loi fiscale et ne constitue en tout état de cause pas une interprétation formelle d’une situation de fait au regard du texte fiscal, invocable sur le fondement de l’article L. 80 B du LPF.