Mif 2 : la dernière ligne droite
Le 3 janvier prochain, les prestataires de services d’investissements devront composer avec les nouvelles normes posées par la directive Mif 2. Aimée Camilli, juriste à la direction des affaires juridiques d’UBS (France) SA apporte son éclairage sur la délicate transition de la place financière française à leurs nouvelles obligations.
LPA – Après un report d’un an, la directive Mif 21 et son règlement Mifir2 entreront en vigueur le 3 janvier 2018. Quels sont les objectifs poursuivis par la réforme ?
Aimée Camilli – L’objectif principal de ce paquet réglementaire Mif 2/Mifir est de garantir l’égalité des conditions de concurrence sur les marchés et de permettre à ceux-ci de servir l’économie. Son intérêt est double. Il consiste à renforcer la transparence et l’intégrité des marchés financiers et d’accroître la protection des investisseurs. Les événements survenus depuis l’entrée en application de la première directive sur les marchés financiers – qu’il s’agisse des cas avérés de ventes inadéquates ou du développement de « dark pools » – ont démontré les lacunes du système, notamment en ce qui concernait directement les marchés que les investisseurs. D’ailleurs, pour mettre en œuvre le renforcement de la protection des investisseurs, la directive s’est accompagnée de plusieurs textes, dont une directive déléguée3 et deux règlements4 bien que l’un des deux est davantage porté sur les marchés eux-mêmes et les produits financiers.
Des premiers « Q&A » et « Guidelines »5 ont été publiés pour compléter ces textes, afin de tenter d’apporter des réponses et précisions aux acteurs qui, il faut l’avouer, restent encore très dubitatifs, certains thèmes restants difficiles d’application.
LPA – La sphère financière française est-elle prête ?
A. C. – Sur le plan formel, la plupart des mesures sont publiées, certaines restent en cours de travaux au niveau des États membres pour procéder aux transpositions et adaptations nécessaires des textes existants. Mais malgré le report d’une année rendu nécessaire par l’ampleur des travaux à mener par les différents acteurs, une certaine inquiétude grandit tant la tâche reste importante. Les autorités françaises en sont conscientes et les consultations se poursuivent à un rythme élevé.
LPA – Quels sont les sujets qui posent des difficultés d’application ?
A. C. – Disons que les difficultés sont nombreuses. En premier lieu celui de la « gouvernance des produits ». Les nouvelles règles devront s’appliquer à tous les produits vendus sur les marchés primaire et secondaire, indépendamment du type de produit ou de service fourni, avec, néanmoins, des degrés d’applications distincts et proportionnés suivant, par exemple, la complexité du produit. Concrètement, il s’agit pour un producteur de produits financiers, de définir, avant même le lancement de son produit, un « marché cible », c’est-à-dire que le producteur devra, lors de l’élaboration du produit, identifier les investisseurs auxquels le produit s’adresse et, le cas échéant, ceux auxquels il ne s’adresse pas. Le distributeur de produits financiers devra procéder de la même manière et définir son marché cible, en s’appuyant sur le marché cible du producteur.
LPA – Concrètement comment définir un « marché cible » ?
A. C. – Les critères utilisés par le producteur comme le distributeur pour définir le marché cible d’un produit ont donné lieu à beaucoup de débats et d’échanges entre les États et les associations, notamment françaises, se sont fortement mobilisées. In fine, cinq critères seront utilisés : la catégorie de client à laquelle le produit est destiné (client de détail, client professionnel et/ou contrepartie éligible), le niveau de connaissance et d’expérience, la situation financière de l’investisseur et sa capacité à supporter des pertes, sa tolérance au risque ainsi que ses objectifs et besoins.
Des échanges entre les producteurs et les distributeurs de produits seront organisés, notamment pour que ces derniers informent les producteurs de leur expérience des produits et que chacun, le cas échéant, fasse évoluer le marché cible défini à l’origine.
L’appréhension de ces travaux, comme leur déclinaison opérationnelle sont sujettes à des travaux au sein des acteurs mêlant notamment juristes, spécialistes produits et experts informatiques, lesquels doivent développer des outils pour permettre une traçabilité des marchés comme des éventuelles ventes réalisées en dehors de ces marchés.
Un autre exemple peut être cité : il s’agit de celui relatif aux coûts et frais. Dorénavant en effet, les investisseurs devront être informés des coûts et frais qui seraient générés par une opération, ces coûts et frais étant relatifs au produit financier concerné, comme aux services d’investissement. Au-delà des difficultés rencontrées par exemple pour les distributeurs de produits à récupérer et exploiter toutes les informations relatives aux coûts et frais relatifs aux produits, le traitement des coûts et frais afférents aux services est là encore d’une extrême complexité. Par ailleurs, la fourniture ex-ante de ce type d’information contraint les acteurs à procéder à des calculs et des simulations qui, même effectués au plus juste, peuvent aboutir à un résultat assez éloigné de ce que seront les coûts et frais réels. Cela est assez problématique et l’on se souvient à cet égard que l’une des obligations des prestataires est de fournir une information présentant un contenu exact, clair et non trompeur.
LPA – Au-delà des défis d’implémentation de ces nouvelles règles, le défi majeur n’est-il pas celui de la remise en cause de certains modèles d’affaires actuels ?
A. C. – En effet, les gérants de portefeuilles ne pourront plus, à compter du 3 janvier prochain, recevoir ou conserver les droits, commissions et avantages pécuniaires versés ou fournis par des tiers. Dès lors, leur rémunération sera amputée desdits montants, alors que le modèle français était plutôt resté ces dernières années sur un schéma où les gérants recevaient d’une part des honoraires de gestion (facturés directement à leurs clients) et d’autre part des rétrocessions (perçues des fonds dans lesquels ils avaient décidé d’investir).
LPA – Quels sont les futurs modèles envisagés ?
A. C. – En perdant les rétrocessions, les gérants vont devoir repenser leur modèle et nécessairement s’adapter. Certains feront le choix de revoir la tarification de leurs services, les clients vont gagner, au passage, une espérance de performance des actifs investis. Cela, à condition que les gérants de fonds jouent le jeu en abaissant les commissions de gestion des fonds. D’autres gérants limiteront probablement la part de leurs investissements dans des fonds, préférant d’autres formes, qu’il s’agisse d’investissement en actions ou autre instrument coûtant moins cher à l’achat pour les clients, et permettant néanmoins de continuer à générer des revenus pour les gérants ou le groupe auxquels ils appartiennent. De la même manière, la transparence sur les coûts et frais évoquée un peu plus haut va peut-être modifier les rapports que les investisseurs entretenaient avec leurs banquiers et les conduire à une plus grande attention sur les contreparties de ces coûts et frais facturés. C’est donc là également un défi pour les acteurs.
LPA – Celles-ci sont-elles toujours en cours de conception ?
A. C. – Disons que ces derniers mois nécessitent une mobilisation de toutes les équipes, d’autant que d’autres chantiers sont en cours, tels ceux liés à la réforme sur la distribution d’assurance avec la nouvelle réglementation Pripps (Packaged Retail and Insurance-based Investment Products : produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance)6.
Notes de bas de pages
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1.
Dir. n° 2014/65/UE du PE et du Cons., 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant les dir. nos 2002/92/CE et 2011/61/UE : JOUE L 173/349, 12 juin 2014.
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2.
Règl. (UE) n° 600/2014 du PE et du Cons., 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant le règl. (UE) n° 648/2012 : JOUE L 173/84, 12 juin 2014.
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3.
Dir. déléguée (UE) n° 2017/593 de la Commission, 7 avr. 2016, complétant la dir. n° 2014/65/UE du PE et du Cons. en ce qui concerne la sauvegarde des instruments financiers et des fonds des clients, les obligations applicables en matière de gouvernance des produits et les règles régissant l’octroi ou la perception de droits, de commissions ou de tout autre avantage pécuniaire ou non pécuniaire : JOUE L 87/500, 31 mars 2017.
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4.
Règl. délégué (UE) n° 2017/565 de la Commission, 25 avr. 2016, complétant la dir. n° 2014/65/UE du PE et du Cons. en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive : JOUE L 87/1, 31 mars 2017 – règl. délégué (UE) n° 2017/567 de la Commission, 18 mai 2016, complétant le règl. (UE) n° 600/2014 du PE et du Cons. en ce qui concerne les définitions, la transparence, la compression de portefeuille et les mesures de surveillance relatives à l’intervention sur les produits et aux positions : JOUE L 87/90, 31 mars 2017.
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5.
Par ex. « Q&A ESMA35-43-349 » ou, les « Guidelines on certain aspects of the Mi-fin II suitability requirements ESMA35-43-748 » en cours de consultation pour une publication dans le courant du premier ou deuxième trimestre 2018.
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6.
Règl. (UE) n° 1286/2014 du PE et du Cons., 26 nov. 2014, sur les documents d’informations-clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance : JOUE L 352/1, 9 déc. 2014.