Modalité de preuve d’un compte à l’étranger non déclaré

Publié le 03/10/2016

Le Conseil d’État, se prononçant sur la question des comptes ouverts à l’étranger et non déclarés l’étranger, a précisé que pour faire application affective d’une amende, l’administration fiscale doit établir l’ouverture effective de ce compte.

Le juge administratif a précisé au cours de l’été les conditions d’application de l’article 1646 quater A du Code général des impôts (CGI) qui permet à l’administration fiscale d’appliquer une amende fiscale pour défaut de déclaration d’utilisation de comptes bancaires à l’étranger1. Précisons que ces dispositions, réformées en loi de finances2, ont été partiellement remises en cause dans le cadre d’une récente question prioritaire de constitutionnalité (v. encadré)3.

Un dispositif purement déclaratif

Si, conformément à la réglementation européenne, les personnes domiciliées en France peuvent investir librement dans le pays étranger de leur choix et notamment y ouvrir les comptes qu’ils souhaitent et y transférer librement leurs avoirs et ce conformément au principe européen de la liberté de circulation des capitaux, les contribuables français sont soumis à l’obligation de déclarer les revenus de source étrangère, de déclarer les actifs situés à l’étranger dans le cadre des droits de succession et de l’ISF et aussi de déclarer les comptes à l’étranger. Pour le législateur, cette obligation trouve sa justification dans le fait que les comptes bancaires ouverts à l’étranger sont des supports privilégiés de l’évasion et de la fraude fiscales. Conformément aux termes du deuxième alinéa de l’article 1649 A du CGI, les personnes physiques domiciliées en France, sont donc tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger. Chaque compte à usage privé, professionnel ou à usage privé et professionnel doit être mentionné distinctement. Un compte est réputé avoir été utilisé par l’une des personnes visées au premier alinéa dès lors que celle-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration, qu’elle soit titulaire du compte ou qu’elle ait agi par procuration, soit pour elle-même, soit au profit d’une personne ayant la qualité de résident. Précisons que pour le Conseil d’État, dans la mesure où ce dispositif, de nature purement déclarative, ne subordonne pas les transferts de fonds vers un compte ouvert à l’étranger ou en provenance de ce compte à une autorisation préalable de l’Administration et est destiné à assurer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, il doit être considéré comme compatible avec les stipulations du Traité sur l’Union européenne4.

Un compte dans une banque au Luxembourg

En l’espèce, la contribuable Madame E. A. a fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 ainsi que d’un contrôle sur pièces portant sur l’année 2009. À l’issue de ces contrôles, l’administration fiscale a considéré que l’intéressée était co-titulaire depuis 2005 d’un compte bancaire ouvert au Luxembourg et non déclaré en France, pour chacune des années 2007, 2008 et 2009. Aux termes de l’article 1736 du CGI, dans sa version applicable en 2007 et 2008, il est prévu l’application « d’une amende de 750 € par compte ou avance non déclaré », et dans sa version applicable en 2009 « d’une amende de 1 500 € par compte ou avance non déclaré. Toutefois, pour l’infraction aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 1649 A, ce montant est porté à 10 000 € par compte non déclaré lorsque l’obligation déclarative concerne un État ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires ». En conséquence, l’administration fiscale a mis à la charge de Madame E. A. une amende sur le fondement du IV de l’article 1736 du CGI pour chacune des trois années précitées, d’un montant de 750 € pour l’année 2007 et d’un montant de 10 000 € pour les années 2008 et 2009, le Luxembourg n’ayant, à cette époque, pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires. Les deux propositions de rectification du 15 décembre 2010 émises par l’administration fiscale relatives, d’une part, aux années 2007 et 2008 et, d’autre part, à l’année 2009 relevaient que, lors de l’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de Madame E. A. portant sur les années 2007 et 2008, il a été mis en évidence que l’intéressée possédait un compte bancaire au Luxembourg ouvert, sous le n° 0141536727000000, auprès de la banque ING à Esch-sur-Alzette depuis le 18 février 2005 et que ce compte n’a pas été mentionné sur les déclarations n° 2042 souscrites par l’intéressée au titre des années 2007 et 2008 ainsi que de la période, antérieure à son mariage, du 1er janvier au 19 juin 2009.

Sa réclamation auprès des services de l’administration fiscale n’ayant pas abouti, Madame E. A. a demandé au tribunal administratif de Dijon5 de prononcer la décharge des amendes pour non-déclaration d’un compte à l’étranger mises à sa charge au titre des années 2007, 2008 et 2009. Le tribunal administratif de Dijon ayant rejeté cette demande, la demanderesse s’est pourvue devant la cour administrative d’appel de Lyon afin d’obtenir l’annulation de ce jugement et la décharge des amendes contestées.

Une demande d’entrée en relation

Pour la requérante, l’application de l’amende n’était pas justifiée dans la mesure où, en se fondant sur un prétendu aveu oral, sur une simple demande, non signée, d’entrée en relation avec une banque luxembourgeoise et sur la situation d’un autre contribuable, l’administration fiscale n’apportait pas la preuve de l’existence d’un compte bancaire effectivement ouvert à son nom au Luxembourg.

Lors d’une procédure de visite et de saisie au domicile de Madame E. A., l’Administration a saisi un document daté du 18 février 2012 et se présentant comme une demande d’entrée en relation en vue de l’ouverture auprès de la banque ING Luxembourg d’un compte bancaire joint solidaire au nom de Monsieur C. B. et de Madame E. A. Pour l’administration fiscale, comme le montre sa réponse aux observations présentées par Madame E. A., à la suite de la proposition de rectification relative aux années 2007 et 2008, l’intéressée a admis le 10 décembre 2010, lors de l’entretien de clôture des opérations de vérification, qu’elle détenait ce compte bancaire et qu’elle l’aurait mentionné sur sa déclaration n° 2042 d’impôt sur le revenu si elle avait eu connaissance du montant de l’amende sanctionnant l’absence de déclaration. L’administration fiscale précisait également que Monsieur C. B. a admis, lors du même entretien, détenir le compte bancaire litigieux et qu’il a déclaré, lors de la souscription de sa propre déclaration des revenus de l’année 2009, ledit compte bancaire, en précisant que ce dernier avait été ouvert le 18 février 2005. L’administration fiscale a déduit de l’ensemble de ces éléments qu’ils attestent de l’existence de ce compte bancaire, alors même que l’intéressée a contesté cette existence dans ses observations du 17 février 2011.

Des éléments de preuve insuffisants

Pour les juges du fond, le document du 18 février 2012 ne constitue qu’une simple demande de mise en relation ne comportant ni la signature de la contribuable ni celle de la banque. Ce document préparatoire, non signé et ne mentionnant aucun numéro de compte, ne suffit pas à révéler l’ouverture effective d’un compte bancaire. Si aucune disposition ni aucun principe n’interdit aux parties d’invoquer devant le juge de l’impôt et à celui-ci de prendre en compte, parmi d’autres éléments de preuve, un aveu recueilli oralement, les seules mentions de la réponse aux observations du contribuable ne suffisent pas à établir que l’intéressée, qui le conteste, aurait effectivement reconnu, lors d’un entretien avec le vérificateur, être titulaire du compte bancaire litigieux. En outre, la circonstance qu’un autre contribuable, Monsieur C. B., a reconnu et déclaré être titulaire d’un compte bancaire ouvert le 18 février 2005 au Luxembourg ne permet pas d’établir que ce compte a été ouvert à la suite de la demande de mise en relation précitée et, par suite, que Madame E. A. était co-titulaire du compte ouvert et déclaré par Monsieur C. B. Dans ces conditions, et en l’absence d’autres éléments, l’administration fiscale n’a pas apporté la preuve, qui lui incombe, de ce que Madame E. A. détenait personnellement un compte bancaire au Luxembourg au cours des années 2007, 2008 et 2009. Au surplus, l’administration fiscale n’établit ni même n’allègue que le compte bancaire en cause aurait été ouvert, clos, ou utilisé au cours des années 2007, 2008 et 2009. C’est donc à tort que l’administration fiscale a mis à la charge de Madame E. A. les amendes litigieuses en application du IV de l’article 1736 du CGI. C’est donc à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande, conclut la cour administrative d’appel de Lyon, satisfaisant aux demandes de Madame E. A.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CAA Lyon, 30 août 2016, n° 14LY01821.
  • 2.
    L. n° 2012-354, 14 mars 2012, de finances rectificative pour 2012.
  • 3.
    CE, QPC, 22 juill. 2016, n° 2016-554.
  • 4.
    CE, 17 déc. 2010, n° 330666, Throude.
  • 5.
    TA Dijon, 15 avr. 2014, n° 1300934.
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