Retraite de source française et centre des intérêts économiques

Publié le 07/06/2017

Un contribuable vivant à l’étranger mais percevant une retraite de source française peut être considéré comme ayant conservé en France le centre de ses intérêts économiques.

Comment déterminer le domicile fiscal des contribuables français qui ont pris leur retraite à l’étranger ? C’est à cette question que vient de s’attaquer la cour administrative d’appel de Bordeaux, dans une affaire relative à un couple de retraités installés au Sénégal1. La jurisprudence relative aux contribuables susceptibles d’être imposables à l’impôt sur le revenu dans plusieurs États est traditionnellement abondante. La définition du domicile fiscal proposée par le CGI comporte en effet plusieurs critères alternatifs. Et cette définition en droit interne doit également s’articuler avec les dispositions conventionnelles applicables. Les jurisprudences relatives aux retraités installés à l’étranger devraient se faire plus nombreuses, ces situations étant plus fréquentes. D’après les chiffres de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), 10 % des retraités percevant une pension française, vivent à l’étranger. Et ces chiffres ne cessent d’augmenter. En 2013, les 1,3 millions de retraités résidant à l’étranger se répartissaient dans 180 pays. Les premiers pays d’accueil sont l’Algérie (440 000 retraités), l’Espagne (191 159 retraités), le Portugal (178 000 retraités) et l’Italie (91 300 retraités) ou encore le Maroc et la Tunisie, la Suisse, la Turquie, les États-Unis, la Serbie, Israël. En l’espèce, un couple de contribuables avait choisi de s’installer au Sénégal. Il se sont vu imposer à l’impôt sur le revenu en France, imposition qu’ils ont contestée sans succès auprès de l’administration fiscale. Les contribuables ont adressé le 20 septembre 2013 à l’administration fiscale une réclamation tendant au dégrèvement de leur cotisation d’impôt sur les revenus de l’année 2012 au motif que, ayant résidé plus de la moitié de l’année au Sénégal, ils ne pouvaient être regardés comme redevables de cet impôt en France. Après avoir vu leur réclamation rejetée, les contribuables ont demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2012. Le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande2. Ils se sont donc pourvus en appel devant la cour administrative d’appel de Bordeaux afin d’obtenir l’annulation du jugement du tribunal administratif de Pau et la décharge de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2012.

Le principe de subsidiarité

Le juge de l’impôt rappelle le principe de subsidiarité applicable aux conventions fiscales internationales. Si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions, en vertu de l’article 55 de la Constitution, peut conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition. Par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale. En l’espèce, même si la convention entre la France et le Sénégal3 définit directement les critères de la résidence fiscale à prendre en compte pour les besoins de son application, le juge se réfère aux articles 4A et 4B du Code général des impôts (CGI) pour établir le domicile fiscal des époux. Conformément aux termes de l’article 4 A du Code général des impôts (CGI), les personnes qui ont leur domicile fiscal en France sont passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. Alors que celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. Et aux termes de l’article 4 B du CGI, sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France, les personnes qui correspondent à trois critères alternatifs. Celles qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal, celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire et enfin celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. En l’espèce, la très grande majorité (75 %) des pensions de retraite perçues par les contribuables au titre de l’année 2012 provenaient du système de pension français et étaient versés sur un compte bancaire en France. Aucun des documents produits par les requérants n’atteste par ailleurs de la perception par eux de quelques revenus de source sénégalaise que ce soit au cours de cette même année. Dès lors, quand bien même ils ont résidé 183 jours au Sénégal en 2012 et ont laissé durant ce temps la maison qu’ils possèdent à Labastide-Clairence à la disposition de leur fille, ils doivent être regardés comme ayant eu en France le centre de leurs intérêts économiques au sens du c) du 1 de l’article 4 B du Code général des impôts, et leur domicile fiscal.

Notion conventionnelle de foyer d’habitation permanent

Dans un second temps, le juge de l’impôt examine la notion de foyer d’habitation permanent à laquelle se réfère la convention France-Sénégal afin d’examiner si les stipulations de la convention franco-sénégalaise feraient obstacle à l’application de la loi fiscale interne. Conformément aux dispositions conventionnelles invoquées et plus particulièrement à son article 2, « une personne physique est domiciliée, au sens de la présente convention, au lieu où elle a son foyer permanent d’habitation, cette expression désignant le centre des intérêts vitaux, c’est-à-dire le lieu avec lequel les relations personnelles sont les plus étroites ». La notion de foyer d’habitation permanent retenue par ces stipulations doit être définie en fonction d’éléments d’appréciation relatifs à la personne du contribuable et non à son patrimoine. Il y a lieu, en conséquence, d’examiner les relations qu’entretient le contribuable avec la France et le Sénégal du point de vue professionnel, familial, de sa situation administrative et de l’utilisation des résidences dont il dispose dans ces deux pays. Or il résulte de l’instruction que les requérants étaient propriétaires d’une maison dont ils se réservaient la jouissance lors de leurs séjours en France, où ils disposaient également d’un véhicule et d’un compte bancaire. Ils n’ont aucune famille au Sénégal alors que leurs deux enfants majeurs résidaient en France. Au cours de l’année en litige, ils ont été simplement locataires au Sénégal de plusieurs logements meublés successifs. Au regard de ces éléments, les circonstances qu’ils aient acquis un second véhicule au Sénégal à la fin de l’année 2011, y aient souscrit des abonnements téléphoniques, se soient inscrits dans un club de golf et aient opéré des retraits réguliers d’argent dans ce pays sont inhérents à un séjour de longue durée mais ne suffisent pas à attester de l’existence d’un foyer d’habitation permanent au sens des stipulations qui précèdent. Les contribuables faisaient également valoir qu’ils ont acquis une concession funéraire dans la commune de Saly Joseph, mais cette acquisition n’est intervenue, en tout état de cause, qu’en 2015. Si les requérants, qui ont déposé une déclaration de revenus en France au titre de l’année 2012, invoquent le dépôt d’une déclaration de même nature auprès des services fiscaux sénégalais et produisent en appel un certificat d’imposition de leurs pensions au titre des années 2012 à 2014 établi par le centre des services fiscaux de Mbour, ces éléments sont sans incidence sur la détermination de leur foyer permanent d’habitation en 2012. Dans ces conditions, c’est en France qu’ils doivent être regardés comme ayant eu, au cours de cette année, leur foyer permanent d’habitation. Les stipulations conventionnelles ne peuvent au cas présent être invoquées pour faire obstacle à l’application de la loi française. Les époux ne sont donc pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CAA Bordeaux, 11 avr. 2017, n° 15BX02015.
  • 2.
    TA Pau,16 avr. 2015, n° 1302206.
  • 3.
    Convention franco-sénégalaise conclue le 29 mars 1974.
  • 4.
    CE, 17 juin 2015, n° 371412.
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