Perquisitions fiscales : bilan des dernières jurisprudences (Partie 1)

Publié le 11/01/2017

Recours à un interprète, saisie de la totalité d’une messagerie, étendue du secret professionnel, fouille d’un salarié, le juge continue à apporter un certain nombre de précisions jurisprudentielles en matière de déroulement des visites domiciliaires.

Le juge continue de préciser le cadre d’application de la procédure de visite et saisie domiciliaire, codifiée à l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (LPF). Cette procédure d’exception compte parmi les instruments dont dispose l’Administration pour lutter contre la fraude fiscale en matière de taxes sur le chiffre d’affaires, d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu. Les services fiscaux, pour effectuer une perquisition fiscale, doivent préalablement obtenir une ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) les autorisant à effectuer cet acte. Munis de ce document, les agents des impôts accompagnés d’un officier de police judiciaire (OPJ) peuvent perquisitionner les locaux de la société comme le siège social mais aussi les entrepôts, les établissements secondaires, etc., afin de saisir pièces et documents attestant la réalité des infractions fiscales présumées. Depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) qui a réformé la procédure de visite et de saisie domiciliaire, à la suite de l’arrêt Ravon1 rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui a jugé la procédure des perquisitions fiscales contraire à l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les facultés de recours effectif du contribuable, en appel et en cassation, ont été étendues. Désormais, le contribuable dispose d’une double voie de recours, afférente à l’ordonnance autorisant la visite domiciliaire et au déroulement des opérations de visite et de saisie, consistant en un appel non suspensif puis un pourvoi en cassation, dans un délai de 15 jours et selon les règles prévues par le Code de procédure civile. « La jurisprudence précise peu à peu le cadre de ces recours. Et si les annulations intégrales sont rares, les annulations partielles sont nombreuses. Les justiciables ne doivent pas hésiter à se saisir de ces voies de recours », commente Delphine Ravon, avocate au barreau de Paris.

Compétence exclusive du juge judiciaire

Le Conseil d’État a affirmé la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de perquisitions fiscales. Pour le juge administratif, l’appréciation de la régularité d’une visite domiciliaire et d’une saisie faite au cours de cette visite relève de la compétence exclusive du juge judiciaire, y compris pour les tiers à l’objet de la visite. « Il ressort des termes mêmes de l’article 164 de la loi du 4 août 2008 que la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF peut être contestée non devant le juge de l’impôt mais devant le premier président de la cour d’appel », explique Delphine Ravon. La contestation de la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF peut également être formée par des tiers à l’objet de la visite, dès lors que des impositions ont été établies, ou des rectifications effectuées, à leur encontre, à partir d’éléments obtenus par l’Administration dans le cadre d’une telle opération. « La jurisprudence de la Cour de cassation est bien établie sur ce sujet. Dans la mesure où le tiers n’a pas été informé par l’administration fiscale de cette visite domiciliaire et de l’existence de voies de recours, il peut saisir le premier président de la cour d’appel, pour contester la régularité de cette visite sans condition de délai, remarque Delphine Ravon. Son intérêt à agir est évident et ne saurait être contesté ». Le juge administratif n’est en revanche pas compétent pour examiner un moyen tiré de l’irrégularité d’une saisie par l’administration fiscale, dans le cadre d’une opération de visite et de saisie autorisée sur le fondement des dispositions de l’article L. 16 B du LPF, même lorsque les documents saisis concernent un tiers.

Pas de recours à un interprète

La Cour de cassation vient de préciser que le recours à un interprète n’était pas une des conditions de régularité du déroulé de la procédure de perquisition2. Cette affaire concernait une perquisition avec saisies dans des locaux et dépendances à Brides-les-Bains, susceptibles d’être occupés notamment par une société de droit letton, afin de rechercher la preuve de la soustraction de cette dernière à l’établissement et au paiement des impôts sur le bénéfice et des taxes sur le chiffre d’affaires. La société avançait que tout accusé qui ne comprend pas la langue employée à l’audience a droit à se faire assister gratuitement d’un interprète, conformément à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme. Elle estimait que ce droit bénéficie également à la personne faisant l’objet d’une visite domiciliaire. En l’espèce, le représentant de la société présent lors de la visite domiciliaire, M. Janis X., ne parlait pas le français et les échanges avaient eu lieu en anglais sans que les agents de la direction nationale des enquêtes fiscales aient été habilités à assumer la fonction d’interprète et sans que l’assistance d’un interprète ait été proposée au représentant de la personne visitée. Or il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme3 que la contestation portant sur la régularité d’une visite opérée sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales s’analyse en une contestation sur un droit de nature civile. « Il ne s’agit pas d’une mesure pénale mais d’une simple mesure d’instruction civile, résume Delphine Ravon. L’article 6, § 3(c) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme ne peut donc être invoqué en la matière ».

Droit de saisie sur une messagerie mail

L’administration fiscale, qui a été autorisée sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF à procéder à une visite et des saisies afin de rechercher la preuve d’une fraude fiscale, est en droit d’appréhender tous les documents contenus dans un support de documents indivisible, telle la messagerie électronique d’un ordinateur, si certains d’entre eux se rapportent, au moins en partie, aux agissements visés par l’autorisation4. Il appartient ensuite au demandeur au recours de préciser et produire les éléments du fichier qui seraient insaisissables, en indiquant la raison pour chacun de ces éléments. Pour Delphine Ravon, « cette solution s’avère très défavorable pour le contribuable. L’administration fiscale considère qu’une messagerie Outlook, par exemple, forme un élément indivisible, insécable, ce qui est faux ! Exercer un recours devient à la fois très fastidieux et très compliqué pour le contribuable puisqu’il doit produire chaque message dont il demande l’annulation de la saisie et justifier précisément cette demande. De quoi décourager plus d’un contribuable désireux d’entamer un recours. On assiste à un renversement de la charge de la preuve, poursuit l’avocate. L’Administration a un blanc-seing pour saisir l’ensemble des éléments. Un tri ne sera fait qu’en cas de recours exercé par le contribuable. C’est inadmissible », conclut la spécialiste.

Pour les requérants, trois sociétés luxembourgeoises, dont les locaux avaient fait l’objet d’une visite domiciliaire, le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales s’oppose à ce que l’Administration d’un État procède à des saisies massives et indifférenciées de documents. En outre, ils avançaient que dès lors que, dans le cadre de visites et saisies domiciliaires, l’Administration peut isoler, grâce à une recherche par mots-clés, les documents informatiques ou courriels susceptibles de se rapporter aux agissements de fraude recherchés, elle ne peut copier, sur DVD ou CD, l’intégralité de fichiers informatiques ou de courriels se trouvant sur un même support informatique, sous prétexte qu’elle ne pourrait procéder à l’extraction des seuls documents et courriers utiles à la recherche de cette fraude. Ils précisaient que la saisie peut être réalisée sur n’importe quel support, en particulier, par impression desdits documents sur un support papier et qu’en cas de difficulté, les pièces saisies peuvent être placées sous scellés. Pour la Cour de cassation, une messagerie Outlook se présente sur le disque dur sous la forme d’un fichier unique, indivisible et insécable, contenant tous les messages. Elle relève que les agents de l’administration fiscale ont procédé à la saisie de fichiers informatiques extraits de deux ordinateurs après y avoir constaté la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation de visite. L’ordonnance ajoute que ces fichiers ont été copiés sur un disque dur externe appartenant à l’Administration, après avoir été sélectionnés, sur chacun des supports informatiques, par un moteur de recherche basé sur des mots-clés pour les identifier. Lorsqu’un support de documents est indivisible, l’Administration est en droit d’appréhender tous les documents qui y sont contenus.

L’étendue du secret professionnel

Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation5 vient préciser que la personne destinataire d’une correspondance saisie en vertu de l’article L. 16 B du LPF, fût-ce dans les locaux d’un tiers, a qualité et intérêt pour contester la régularité de cette saisie et peut donc introduire un recours devant le premier président de la cour d’appel territorialement compétente. « L’arrêt ne le précise pas mais la particularité de ce recours dont dispose tout tiers auquel la visite fait grief, est qu’il peut être exercé sans condition de délai puisque ni l’ordonnance ni le procès-verbal, comportant tous deux la mention des voies de recours qui peuvent être exercées, ne lui sont notifiés », commente Delphine Ravon. Cet arrêt réaffirme également que les factures jointes à une correspondance d’avocat sont couvertes par le secret professionnel de ce dernier sans qu’il y ait lieu d’opérer une distinction entre la correspondance elle-même et les pièces qui s’y trouvent jointes. En considérant que les factures d’honoraires d’avocats pouvaient être saisies du fait qu’elles constituaient des pièces comptables devant être émises par tout prestataire de services, quand de telles factures, qui accompagnaient des documents couverts par le secret professionnel des avocats, ne pouvaient faire l’objet d’une saisie, le premier président de la cour d’appel a violé les articles 66-5 de la loi n° 71-1 130 du 31 décembre 1971 et L. 16 B du LPF, précise la Cour de cassation.

L’impact de la fouille d’un salarié

La Cour de cassation a eu cette année l’occasion de confirmer que la fouille sans autorisation du juge du sac de la salariée, au surplus représentante de la société visitée, constitue une irrégularité6. « Mais, en l’absence d’une saisie dans ce sac, l’arrêt analysé la juge sans incidence sur la régularité des autres saisies, qui n’en dépendent pas7, explique Delphine Ravon. Malgré cette solution favorable, l’Administration devrait donner des instructions pour que de telles fouilles soient évitées a priori. Si des soupçons de détention de documents apparaissent, les agents ont la faculté d’obtenir une autorisation complémentaire8, même téléphonique9. L’autorisation téléphonique ne dispense pas le juge d’établir une ordonnance complémentaire en bonne et due forme afin qu’elle soit versée au dossier », précise la fiscaliste.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France.
  • 2.
    Cass. com., 4 oct. 2016, nos 15-10775 et 15-10778.
  • 3.
    CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France.
  • 4.
    Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-26929.
  • 5.
    Cass. com., 6 déc. 2016, n° 15-14554.
  • 6.
    Cass. com., 12 avr. 2016, n° 14-22260.
  • 7.
    Dans le même sens, Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80331.
  • 8.
    Cass. crim., 25 janv. 2001, n° 00-30029 et Cass. crim., 14 juin 2001, n° 4436, FD.
  • 9.
    Cass. com., 7 juin 1994, n° 1400, P.
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