Perquisitions fiscales : bilan des dernières jurisprudences (Partie 2)

Publié le 23/01/2017

Inventaire des éléments saisis par l’administration fiscale, conséquence de l’annulation des pièces saisies, le point sur les nouvelles précisions jurisprudentielles en matière de déroulement des visites domiciliaires.

Le cadre d’application de la procédure de visite et saisie domiciliaire, codifiée à l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (LPF), est régulièrement complété par le juge judiciaire et par le Conseil d’État. Retour sur les principaux apports jurisprudentiels de l’année 2016.

Le rôle de l’inventaire

Le juge de cassation apporte des précisions à l’inventaire qui doit être transmis par l’Administration à la fin de la visite domiciliaire1. L’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales prévoit la remise de l’inventaire des pièces saisies qui doit mettre le contribuable en mesure de vérifier la nature des pièces et documents saisis. « Cet inventaire n’est soumis à aucune condition de forme, mais doit identifier précisément les éléments saisis pour permettre un recours effectif du contribuable », analyse Me Delphine Ravon, avocate au barreau de Paris. Dans cette espèce, pour rejeter le recours contre le déroulement des opérations de visite et saisies, l’ordonnance a retenu que l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales n’exige pas la remise, aux personnes contrôlées, d’une copie du CD-Rom contenant les fichiers informatiques saisis et que ces personnes, à partir du moment où elles disposent de l’inventaire des pièces saisies, sont en mesure, surtout s’il s’agit de documents informatisés qui ont été copiés lors de la saisie, de vérifier la nature de ces pièces et documents. Pour la Cour de cassation, en se déterminant ainsi, sans vérifier concrètement si l’inventaire litigieux identifiait précisément les fichiers saisis, de façon à mettre les personnes concernées en mesure de connaître le contenu des données appréhendées et d’exercer un recours effectif, le premier président a privé sa décision de base légale. « En pratique, lorsque les agents qui ont effectué la perquisition donnent au contribuable un CD-Rom, celui-ci pense qu’il s’agit d’une copie des éléments saisis alors que ce CD-Rom ne contient que la liste des fichiers saisis assortie de l’empreinte numérique de chacun d’entre eux », avertit Me Delphine Ravon. Il était reproché à l’Administration de ne pas avoir remis aux personnes contrôlées la copie d’un CD-Rom regroupant l’ensemble des fichiers et données saisis qui seul leur aurait permis de connaître le contenu des fichiers et données saisis. Cependant, l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales exige seulement que, s’il y a lieu, soit dressé un inventaire des pièces et documents saisi, inventaire dont il est donné copie à la personne saisie. Ce texte n’exige pas en revanche, quelle que soit la nature des pièces saisies, que copie de leur contenu soit remise à la personne contrôlée. En effet, cette personne, à partir du moment où elle dispose de l’inventaire des pièces saisies, est en mesure, surtout s’il s’agit de documents informatisés qui ont été copiés lors de la saisie, de vérifier la nature de ces pièces et documents. En effet, partant des fichiers informatiques saisis dont l’inventaire leur a été remis, les personnes contrôlées étaient en mesure, même pendant la période où les fichiers copiés étaient en possession de l’Administration avant qu’ils ne leur soient restitués, de vérifier les documents se trouvant dans ces fichiers ainsi que les pièces éventuellement annexées à ces documents.

Annulation de pièces saisies et redressement fiscal

« Le Conseil d’État vient de préciser que l’administration fiscale ne peut se prévaloir, pour fonder une imposition de pièces recueillies au cours d’une visite domiciliaire conduite dans des conditions déclarées ultérieurement illégales, que cette opération ait été conduite à l’égard du contribuable lui-même ou d’un tiers2, explique Me Delphine Ravon. En l’espèce, le juge judiciaire ayant annulé une saisie de documents d’une société effectuée sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF, l’Administration ne peut se prévaloir de ces documents pour redresser l’imposition du directeur général et administrateur de cette société », poursuit la fiscaliste. Dans cette affaire, à la suite d’un examen de sa situation fiscale personnelle et de plusieurs procédures de perquisition et de saisie pratiquées en application de l’article L. 16 B du LPF, l’administration fiscale a estimé qu’un contribuable, M. B., avait son domicile fiscal en France, conformément à l’article 4B du Code général des impôts (CGI) et l’a assujetti, au titre de l’année 2004, à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales selon la procédure contradictoire pour les traitements et salaires et selon la procédure de taxation d’office prévue à l’article L. 69 du LPF pour des revenus d’origine indéterminée. La SA Holteide Investissement, société dont M. B. était directeur général et administrateur, a saisi le juge d’une contestation relative à la régularité des opérations de visite et de saisie qui avaient été autorisées, notamment dans des locaux susceptibles d’être occupés par cette société, par une ordonnance du 23 juin 2004 du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Draguignan et demandé l’annulation de la saisie de certaines pièces. Le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a, par ordonnance du 3 avril 2014, annulé la saisie de huit pièces par les agents de l’Administration. L’Administration a eu recours, pour asseoir l’imposition en litige, à de nombreuses pièces dont les huit pièces en question. La cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant que l’annulation de la saisie de ces huit pièces était sans incidence sur l’imposition établie à l’encontre de M. B. au motif que, ces pièces étant constituées de courriers à caractère strictement professionnel échangés entre M.B., en sa qualité de dirigeant de la société Holteide Investissement, et d’autres sociétés et ses avocats, il n’avait été porté aucune atteinte au droit de M. B. lui-même au secret des correspondances avec ses avocats.

Conséquences de l’annulation de la saisie de pièces

Dans un arrêt3 lié à la même affaire, concernant cette fois la procédure d’imposition établie à la charge de la société, le juge administratif a décidé qu’une annulation de saisie de pièces opérée dans le cadre d’une perquisition fiscale qui a servi à fonder une procédure d’imposition à l’égard de la société dont les locaux ont été perquisitionnés, qui a pour effet d’interdire à l’administration fiscale de les utiliser, affecte la régularité de la procédure d’imposition dans la mesure où elle résulte de l’exploitation de ces informations. En revanche, cette annulation est sans conséquences sur la régularité de la décision d’imposition si celle-ci résulte d’autres éléments. La SA Holteide Investissement a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt ainsi que de la retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2002 à 2004 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2004, ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes4. La cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et fait partiellement droit aux conclusions de la société Holteide Investissement5. La société s’est pourvue devant le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de cet arrêt. Pour le Conseil d’État, la procédure de visite et de saisie instituée par cet article doit nécessairement être combinée avec la procédure de vérification concernant le même contribuable, de sorte que ces procédures, qui constituent deux étapes de la procédure d’imposition, concourent à la décision d’imposition de l’intéressé qui sera prise par l’Administration. Par suite, l’annulation par le juge judiciaire de la saisie de pièces opérée dans le cadre de la mise en œuvre de cette procédure, qui a pour effet d’interdire à l’administration fiscale de les utiliser, affecte la régularité de la décision d’imposition, dans la mesure où celle-ci procède de l’exploitation des informations ainsi recueillies. Cette annulation demeure, en revanche, sans incidence sur la régularité de la décision d’imposition, dans la mesure où celle-ci procède de l’exploitation de renseignements que l’Administration n’a pas recueillis à cette occasion.

En l’espèce, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a, par une ordonnance du 3 avril 2014, annulé la saisie par l’administration fiscale de huit pièces recueillies lors des opérations autorisées par l’ordonnance du 23 juin 2004 du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Draguignan, prise sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF. Dans l’arrêt attaqué, la cour a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que l’Administration s’était fondée, pour établir que la société disposait en France d’un établissement stable, sur ces huit pièces, constituées de correspondances échangées entre le dirigeant de la société et trois de ses avocats, qui faisaient partie des documents recensés dans les propositions de rectification des 10 avril et 9 octobre 2006. La cour n’avait pas à rechercher si les autres éléments utilisés par l’Administration pour établir les impositions litigieuses étaient de nature à fonder, à eux seuls, les redressements. Dès lors, elle n’a pas commis d’erreur de droit en en déduisant que la procédure d’imposition avait été irrégulière et que la société était dès lors fondée à demander la décharge des impositions en résultant. « Le juge n’a pas à regarder si les pièces ont été déterminantes pour fonder le redressement », résume Me Delphine Ravon. C’est l’ensemble du redressement qui tombe ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 7 juin 2016, n° 15-14564.
  • 2.
    CE, 23 nov. 2016, n° 387485.
  • 3.
    CE, 4 mai 2016, n° 387188.
  • 4.
    TA Toulon, 24 mai 2012, nos 1000774 et 1000911.
  • 5.
    CAA Marseille, 2 déc. 2014, nos 12MA03120 et 12MA03121.
X